lundi 11 août 2003
Le destin avait fait en sorte que Salâh Ad-Dîn (Saladin) brillât de mille feux sur le ciel du sixième siècle hégirien. Ses capacités et ses potentialités allaient surgir d’une manière époustouflante, si bien que par son œuvre, il allait devenir l’un des plus grands chefs d’État que le monde eût connus, l’un de ces chefs qui parviennent à modifier le cours de l’Histoire.
La mort de Nûr Ad-Dîn Mahmûd en 1174 constitua un tournant dans la vie de Salâh Ad-Dîn, car l’unité islamique - qu’était parvenu à construire le sublime héros Nûr Ad-Dîn Mahmûd - était dans une mauvaise passe et vivait au seuil de sa perte. Il n’y avait personne pour combler le vide laissé par Nûr Ad-Dîn et ce fut Salâh Ad-Dîn qui s’engagea à poursuivre le chemin initié par son prédécesseur et à renforcer les assises de l’unité islamique. La voie empruntée était difficile et l’espoir encore lointain.
Nûr Ad-Dîn mourut et laissa derrière lui un jeune fils d’à peine onze ans. Un conflit éclata alors entre les princes qui se disputaient la régence de l’État nûride. La situation en Syrie se détériorait inexorablement, bien que Salâh Ad-Dîn, en Égypte, suivait assidûment les événements. Il attendait en réalité que se présentât à lui l’occasion d’unifier le front islamique. Son attente ne dura pas longtemps puisqu’il fut promptement invité par un prince damascène à venir prendre la ville de Damas. Il se mit aussitôt en route pour être accueilli en grande pompe par les habitants. Il put ainsi mettre la main sur la ville et sa citadelle en 1174, après quoi il se dirigea vers Homs puis vers Hamâh pour les annexer également à son État. Il était à présent aux abords d’Alep qu’il tenta en vain de conquérir, après que les gouverneurs de la ville eurent fait appel à l’aide des Croisés. Salâh Ad-Dîn abandonna alors la ville, se promettant néanmoins d’y revenir plus tard. Huit années passèrent avant qu’il ne pût concrétiser sa promesse. Ce ne fut que le 12 juin 1183 qu’il put annexer Alep à son État. C’était une étape décisive dans la construction d’un front islamique uni face à la menace croisée.
Pour achever l’unification des Musulmans, il ne restait plus devant Salâh Ad-Dîn que la ville de Mossoul, qu’il assiégea d’ailleurs à plusieurs reprises jusqu’à la signature du traité de paix, en 1186, avec le gouverneur de la ville ʿIzz Ad-Dîn Masʿûd.
Durant la période au cours de laquelle Salâh Ad-Dîn œuvrait pour redonner vie à l’État islamique unifié et pour se préparer à lancer le jihâd contre l’ennemi croisé, il avait signé une trêve de quatre ans avec ce dernier. Il voulait ainsi se consacrer entièrement à la gestion de son pays et à la remise en ordre de sa situation auparavant délabrée.
Cependant, par sa stupidité, Renaud de Châtillon, le Seigneur de Kérak, empêcha les Croisés de profiter de cette trêve qu’ils avaient signée. Il commit une erreur monumentale, en dénonçant la trêve, en reprenant les armes et en s’attaquant ouvertement à une caravane commerciale qui se rendait d’Égypte à Damas. Il captura les commerçants et les caravaniers et les emprisonna dans la citadelle de Kérak.
Salâh Ad-Dîn essaya de se montrer patient : il envoya un message d’indignation à Renaud de Châtillon dans lequel il le menaçait si les biens de la caravane n’étaient pas restitués et les prisonniers libérés. Mais au lieu de répondre à l’appel, Renaud, enorgueilli par sa force, répondit avec mépris aux émissaires de Salâh Ad-Dîn : « Demandez à votre Muhammad (le Prophète) de venir vous sauver ! »
Le Roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, tenta en vain de contenir la grave crise dans laquelle Renaud de Châtillon avait placé les Croisés. Mais ce dernier persista dans son refus de rendre les biens de la caravane et de libérer les prisonniers. Tout allait pour le mal chez les Croisés, d’autant plus que Salâh Ad-Dîn ne voyait plus d’autre issue que la guerre et la vengeance.
Salâh Ad-Dîn mobilisa ses troupes et se prépara à la confrontation avec les Croisés, à qui il allait livrer l’une des plus grandes batailles de l’Histoire de l’Islam. Cela faisait dix ans que le Sultan attendait cette occasion, et la politique insensée de Renaud de Châtillon n’était qu’un prétexte pour l’éclatement de la fougue de Salâh Ad-Dîn et pour la déclaration de cette guerre si longtemps espérée.
Les troupes de Salâh Ad-Dîn, au nombre de 12000 combattants rassemblés d’Égypte, d’Alep, de Péninsule arabique et du Diyâr Bakr, quittèrent Damas en mars 1187 et prirent la route de la citadelle de Kérak. Celle-ci fut assiégée et ses champs détruits. Salâh Ad-Dîn se rendit ensuite à la citadelle de Shaubak pour lui faire subir le même sort que celle de Kérak. Il se dirigea enfin vers Banias, près de Tibériade, pour observer la situation.
Pendant ce temps, les troupes croisées, sous le commandement de Guy de Lusignan, Roi de Jérusalem, se rassemblaient dans la ville de Séphorie. Se joignirent à elles les troupes de Raymond III, Comte de Tripoli, qui dénonçait ainsi à son tour la trêve qu’il avait signée avec Salâh Ad-Dîn, préférant plutôt soutenir les siens, malgré les profondes dissensions qu’il avait avec Guy de Lusignan. Les Croisés se retrouvèrent au final au nombre de 63000 soldats.
Salâh Ad-Dîn voulait pousser les Croisés à venir jusqu’à lui, afin qu’il pût les rencontrer alors qu’ils étaient exténués par la distance qu’ils avaient parcourue tandis que lui et son armée étaient encore tout frais. Pour réaliser cet objectif stratégique, il attaqua Tibériade, dans le château de laquelle était réfugiée l’épouse de Raymond III. Les Croisés crièrent vengeance et convoquèrent un conseil de guerre. Deux opinions s’élevèrent : les uns estimaient qu’il était nécessaire de marcher sur Tibériade le plus tôt possible afin de frapper Salâh Ad-Dîn, tandis que les autres, à la tête desquels Raymond III, considéraient comme périlleuse une telle entreprise, dans la mesure où la route était difficile et l’eau peu abondante. Mais Renaud de Châtillon accusa Raymond de lâcheté : « Je ne doute pas un seul instant, lui dit-il, que tu aimes les Musulmans et que tu cherches à nous effrayer par leur nombre. » Renaud parvint ainsi à convaincre le Roi de Jérusalem de la nécessité de marcher sur Tibériade.
Les troupes croisées prirent la route dans des conditions extrêmement difficiles, le 1er juillet 1187. Leurs visages étaient brûlés par la chaleur du Soleil, et ils souffraient du manque d’eau et de la difficulté du parcours qui s’étendait sur 27 kilomètres. Au même moment, Salâh Ad-Dîn et ses soldats profitaient de l’abondance de l’eau et de la fraîcheur de l’ombre : ils préservaient ainsi leurs forces pour le rendez-vous décisif. Lorsque le Sultan apprit que les Croisés avaient pris la route, il s’avança avec ses troupes sur une distance de quelques 9 kilomètres et campa à l’Ouest de Tibériade, près du village de Hattin.
Les Croisés atteignirent la cime du Mont Tibériade, qui surplombait la plaine de Hattin, le 3 juillet 1187. Cette région avait la forme d’un monticule dont l’altitude dépassait les 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, et était constituée de deux pics dont la forme ressemblait étrangement à celle de deux cornes. C’est pour cette raison que les Arabes désignaient cette région par « les Cornes de Hattin ».
Salâh Ad-Dîn fit tout son possible pour empêcher les Croisés de parvenir jusqu’à l’eau du lac Tibériade, au moment où la soif de ces derniers atteignait son paroxysme. Les Musulmans allumèrent de plus un grand feu dans les broussailles qui recouvraient la colline, de sorte que le vent emmenait le feu, sa chaleur et sa fumée, en direction des Croisés. Une terrible nuit les attendait : assoiffés et exténués, ils ne purent même pas fermer l’œil de la nuit, car les Musulmans ne cessaient de glorifier et de rendre louanges à Dieu, ce qui avait pour effet de terroriser les Croisés.
Le matin du samedi 4 juillet 1187, les Croisés découvrirent avec stupeur que Salâh Ad-Dîn avait profité de l’obscurité de la nuit pour les cerner de toutes parts. Ce fut alors que l’attaque générale fut déclenchée. Les sabres musulmans s’activaient à terrasser les Croisés, si bien que ceux-ci finirent par desserrer leurs rangs, tandis que d’autres tentèrent de se rassembler sur le monticule de Hattin. Ils furent à nouveau encerclés par les Musulmans. A chaque fois qu’ils essayaient de reculer vers le sommet du mont, les Musulmans augmentaient leur pression. Au final, il ne restait plus que Guy de Lusignan, le Roi de Jérusalem, et 150 de ses chevaliers. Tous furent faits prisonniers et conduits à la tente de Salâh Ad-Dîn. Parmi les captifs, on trouvait justement Renaud de Châtillon, le Seigneur de Kérak, ainsi que d’autres grands princes croisés. Salâh Ad-Dîn les accueillit avec la plus grande hospitalité et ordonna qu’on leur servît de l’eau glacée. Néanmoins, il refusa d’accorder cet honneur à Renaud. Lorsque Guy de Lusignan étancha sa soif et qu’il donna l’eau qui restait à Renaud, Salâh Ad-Dîn se mit en colère : « Ce maudit n’a pas ma permission pour boire de l’eau. Car s’il le fait, je lui devrai la protection. » Il était en effet de coutume chez les Arabes que si l’on servait de l’eau et de la nourriture à un prisonnier, ce dernier aurait la vie sauve. Salâh Ad-Dîn rentra ensuite dans sa tente et fit venir Renaud de Châtillon pour lui proposer de se convertir à l’Islam. Ce dernier refusa. Le Sultan lui rappela alors ses crimes et le sermonna sur ses méfaits, après quoi, il se leva et lui trancha la tête. « J’avais juré par deux fois, commenta-t-il, de le tuer si je me saisissais de lui. La première, c’était lorsqu’il avait entrepris de marcher sur la Mecque et Médine, et la seconde, c’était lorsqu’il avait attaqué la caravane et qu’il s’en était traîtreusement emparé. » Salâh Ad-Dîn fit ensuite tuer les prisonniers appartenant à l’Ordre du Temple ainsi que ceux appartenant à l’Ordre de l’Hôpital, car ils avaient été les plus redoutables ennemis des Musulmans.
La défaite croisée de Hattin n’était pas une simple défaite anecdotique. C’était une catastrophe qui s’était abattue sur les royaumes chrétiens d’Orient. Ils y avaient perdu la fleur de leur chevalerie, 30000 soldats y avaient laissé la vie et un nombre équivalent avait été capturé. On se disait alors : « Qui voit les tués pense qu’il n’y a aucun prisonnier. Et qui voit les prisonniers pense qu’il n’y a aucun tué. » Par ailleurs, les Musulmans réussirent au cours de cette bataille à infliger une dure défaite psychologique aux Croisés, car ils purent mettre la main sur la relique de la Sainte Croix, l’emblème de la chrétienté.
Après Hattin, la Palestine était devenue sous l’emprise de Salâh Ad-Dîn. Il se mit alors à abattre les villes et les citadelles croisées les unes après les autres, jusqu’à être parvenu à couronner ses succès et ses efforts par la libération de Jérusalem le 12 octobre 1187.
Certaines personnes croient cependant que la bataille de Hattin signe la fin de la présence franque dans la région. En réalité, elle signe le début de la fin. Car les guerres entre Musulmans et Croisés se sont poursuivies encore pendant près d’un siècle après cette bataille, avant le démantèlement des derniers États latins d’Orient. Hattin n’a donc pas détruit définitivement les Croisés. Elle a plutôt posé les bases d’un nouvel équilibre des forces et a démontré de la manière la plus flagrante que les Francs n’étaient plus invincibles. Hattin marque la fin d’une ère caractérisée par des déroutes et des défaites successives et l’avènement d’une nouvelle ère de victoires et de progrès.
Sources : Alshaab.com, Altareekh.com et Islamonline.net.
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