jeudi 17 février 2005
Le mouvement soufi sénousi, appelé Sénousisme, fondé par Sayyid Muhammad As-Sunûsî au XIXe siècle se développa essentiellement en Libye. Cette confrérie soufie cura les âmes musulmanes et raffermit leur foi. Elle répandit le savoir et la justice et combattit l’ignorance et l’injustice. Elle se distingua au début du XXe siècle en devenant le fer de lance de la résistance islamique en Afrique du Nord, contre les puissances colonialistes.
Après que la France eut colonisé la Tunisie, l’Algérie et le Maroc et que l’Angleterre eut fait de même avec l’Égypte et Chypre, l’Italie commença à regarder du côté de la Libye.
L’Italie débuta son plan de colonisation en 1910 avec l’envoi d’une mission archéologique en Tripolitaine, dirigée par le Comte Sforza, et dont les buts annoncés était la quête de phosphate et des recherches archéologiques. En réalité, la mission devait explorer le territoire libyen et dessiner des cartes précises indispensables aux opérations militaires qui se préparaient.
Les Libyens saisirent rapidement les véritables desseins de cette mission. Ils organisèrent alors le premier congrès national réunissant les différents chefs du pays, afin de trouver un moyen pour faire face à la menace italienne, et pour contrecarrer les convoitises que les Italiens nourrissaient pour la Libye. Le congrès s’engagea également à faire prendre conscience aux Libyens des objectifs colonialistes de l’Italie, et à les mettre en garde contre le danger qu’ils représentaient, mobilisant ainsi toutes les forces nationales pour l’affrontement avec l’envahisseur.
Mais la situation politico-militaire en Libye n’était pas de nature à permettre aux Libyens de résister ou de combattre les Italiens. Le pays accusait des déficits flagrants en armes et en munitions. Par ailleurs, la situation économique que traversait la Libye poussa une grande partie de l’élite à quitter le pays. Et la chose empira lorsque l’Empire ottoman décida de retirer un grand nombre de ses fonctionnaires, ignorant au même instant les réclamations des patriotes libyens qui voulaient s’engager dans l’armée ottomane pour défendre leur pays.
Quelques mois plus tard, l’Italie commença à briguer la Libye et l’Empire ottoman. Elle envoya à Istanbul un avertissement menaçant, qui comportait un grand nombre de mensonges et de propos fallacieux, et qui démontrait la réalité des intentions belliqueuses de l’Italie. Cette dernière accusait l’Empire ottoman d’italianophobie, d’oppression et de persécution des minorités italiennes qui vivaient en Libye. Elle déclara qu’il était vain de poursuivre les négociations à ce sujet et qu’elle avait décidé d’occuper militairement le pays, prétextant son devoir de préserver les intérêts des Italiens et de défendre leur honneur.
Le mépris affiché par les Italiens atteignit un tel stade qu’ils demandèrent à l’Empire ottoman de les aider à occuper la Libye, ou tout du moins de ne pas essayer de les en empêcher. Ils fixèrent une durée de vingt-quatre heures pour la réponse à cet ultimatum. La Turquie chercha d’abord à calmer les esprits et demanda aux pays européens de servir d’intermédiaire entre l’Empire ottoman et l’Italie. Mais ces pays, tous des puissances colonialistes qui attendaient de se partager la succession du vieil homme malade de l’Europe, déclarèrent qu’ils préféraient rester neutres dans ce conflit.
Bien que les Libyens se soient défendus des accusations qui leur étaient portées et qu’ils aient invité le gouvernement italien à des pourparlers, les Italiens n’en tinrent pas compte et poursuivirent leur projet d’offensive militaire et d’occupation de la Libye.
Le 29 septembre 1911, l’Italie déclara la guerre à l’Empire ottoman. Le lendemain, sa flotte maritime voguait au large des côtes libyennes, en face de Tripoli. La ville fut assiégée pendant trois jours, au cours desquels elle fut bombardée sans relâche, jusqu’à sa chute le 4 octobre 1911. Une bataille se déroula quelques jours plus tard entre les combattants, qui quittèrent Tripoli pour Bûmilyânah, et les Italiens qui avaient décidé de faire avorter tout mouvement de résistance et de mater les combattants libyens. Ce fut une victoire italienne.
Après cette bataille, les combattants arabes et turcs se regroupèrent à ʿAyn Zârah pour affronter à nouveau les Italiens. Mais encore une fois, la supériorité numérique et militaire des Italiens pesa tant et si bien sur la bataille que ces derniers finirent par l’emporter. Simultanément, les Italiens envahissaient la Cyrénaïque par la mer. Il purent ainsi occuper Tobrouk le 17 octobre 1911, avant de se diriger vers Benghasi. Là, ils durent faire face à une violente résistance de la part des combattants arabes et turcs, dont faisait partie le héros musulman ʿUmar Al-Mukhtâr.
Avant la fin du mois d’octobre 1911, les Italiens réussirent à prendre Tripoli, Tobrouk, Darnah, Benghasi et Homs. Très vite, ils parvinrent à prendre le contrôle de la Cyrénaïque.
Cette agression italienne eut pour conséquence le resserrement des rangs libyens, l’unification du peuple sous la bannière du jihâd, et la relégation au second plan de tous les différends internes. Le peuple se mobilisa dans son intégralité pour résister au colonialisme et pour libérer le pays.
Cette agression eut également pour effet de dissoudre les divergences qui existaient entre le chef reconnu de la Libye, As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf, établi à Koufra, et le pouvoir ottoman.
Les appels d’As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf à l’intention des Libyens et des Arabes, pour lutter contre le colonisateur trouvèrent de nombreux échos chez des milliers de combattants et de volontaires qui affluèrent sur les camps militaires ottomans pour soutenir les forces ottomanes et les résistants arabes.
Pendant toute la durée de l’occupation de la Libye, le colonisateur italien voulut se donner une justification religieuse. Les évêques italiens bénirent ainsi les flottes maritimes qui ammarrèrent pour lancer l’offensive contre la Libye ; les cloches sonnèrent et des prières furent récitées ; les hommes d’Église distribuèrent aux soldats participant à la campagne des crucifix. Les Italiens prirent d’ailleurs habitude de célébrer chacune de leurs victoires dans les églises, non seulement en métropole, mais également à Tripoli. Ils remerciaient le Seigneur Qui les avaient aidés à abattre le croissant et à élever la croix. Ces considérations exacerbèrent la sensibilité des combattants libyens.
Le colonialisme italien tenta également de convaincre ses soldats qu’ils étaient les porteurs d’un message d’humanisme et qu’ils étaient venus en Libye pour sauver et libérer des peuples... Le boucher de la Libye, le Général italien Rodolfo Graziani écrit dans son livre Vers le Fezzan : « Les soldats italiens étaient convaincus qu’ils étaient la nation dominatrice investie d’une mission noble et civilisatrice. Ils étaient ici, non pour exploiter autrui, mais pour améliorer la situation du pays. Les Italiens se devaient de remplir ce devoir humain, quel qu’en fût le prix. Il faut donc soumettre le peuple libyen de son plein gré au colonialisme italien ainsi qu’aux coutumes et aux lois de l’Italie. Si les Libyens ne se convainquent pas du bien-fondé de ce qui leur est proposé, alors les Italiens devront mener une lutte continuelle contre eux et pourront détruire tout le peuple libyen pour parvenir à la paix, la paix des cimetières... »
Les Italiens exterminèrent ainsi la population de tout le village d’Al-Manshiyyah, situé à l’est de Tripoli. Nul ne fut épargné, pas mêmes les femmes, les enfants et les vieillards. Les massacres s’étendirent ensuite à d’autres villes. Ils parvinrent ainsi à tuer près de sept mille Libyens en trois jours et à en déporter deux mille autres. Les atrocités ne cessaient de s’amplifier au fil des jours. Ils violèrent les femmes et exécutèrent sommairement les hommes, dévoilant ainsi au grand jour la face hideuse d’une Italie colonialiste, animée par de bas desseins de domination. Un peuple désarmé était exterminé parce qu’il n’était pas convaincu par les mobiles humanistes de son bourreau.
Le 6 novembre 1911, l’Italie déclara avoir pris le contrôle de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Les Libyens répondirent à cette déclaration en intensifiant les actes de résistance. Ils attaquèrent les camps italiens sur tout le territoire libyen, mais étaient souvent matés avec une violence inouïe par les forces d’occupation.
Cette étape de la résistance était marquée par des raids éclairs contre les positions ennemies, mais les capacités militaires des Italiens - des armes modernes, des armées régulières - venaient invariablement à bout des attaques libyennes, d’autant plus qu’ils étaient soutenus pas les autres grands pays colonialistes.
Mais malgré tous ces avantages militaires et diplomatiques évidents, l’invasion de la Libye fut loin d’être une promenade de santé pour les Italiens. Même si les attaques libyennes étaient insuffisantes, elles permettaient de maintenir un climat de terreur et d’anxiété dans les rangs du colon. Par ailleurs, l’appel au jihâd fut proclamé dans tout le monde arabo-musulman pour voler au secours du peuple libyen. Des milliers de volontaires arrivèrent ainsi pour soutenir la résistance à l’envahisseur.
Voyant qu’elle avait affaire à des hommes qui aspiraient à la mort comme ses soldats aspiraient à la vie, l’Italie demanda aux pays européens de faire pression sur l’Empire ottoman pour qu’il arrête de soutenir les Sénousis. Dans le cas contraire, l’Italie menaçait de bombarder les côtes ottomanes. La France, la Russie, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie volèrent au secours de leur consœur italienne et obtinrent des Ottomans, le 3 octobre 1912, la signature du Traité d’Ouchy, près de Lausanne, en Suisse, dans lequel les Turcs reconnaissaient officiellement l’annexion de Tripoli à l’Italie et acceptaient de se retirer de la Libye.
Lorsque les combattants libyens apprirent la nouvelle, Ash-Sharîf As-Sunûsî, chef de la confrérie sénousie, répliqua : « Nous sommes radicalement opposés à ce traité. Et nous n’accepterons aucun traité dont le prix serait l’abandon du territoire à l’ennemi. »
L’offensive contre la Libye provoqua un tollé général dans tout l’Empire ottoman et dans le monde musulman. L’opinion publique islamique se révolta et prit le parti de soutenir le jihâd en Libye contre les Italiens. L’Imâm du Yémen Yahyâ Hamîd Ad-Dîn fit signifier à l’Empire ottoman qu’il était prêt à lever cent mille hommes sous son commandement pour défendre l’Empire musulman. L’Émir de Najd ʿAbd Al-ʿAzîz Ibn Saʿûd fit de même et déclara être prêt à mobiliser toutes les tribus qu’il contrôlait et à les faire marcher sous le drapeau ottoman.
Les volontaires affluèrent de toutes les contrées musulmanes pour participer au jihâd, si bien qu’après un an du début de l’invasion italienne, ils étaient plus de douze mille volontaires prêts au combat. Des comités furent organisés pour porter secours aux sinistrés. Des missions médicales furent envoyées sur le terrain, en Tripolitaine et en Cyrénaïque. Le peuple égyptien se montra le plus zélé en soutien au peuple libyen. On récolta des dons et on les distribua via des associations humanitaires, comme celle créée par l’Émir ʿUmar Tûsûn. Ce fut également à cette occasion que fut créé le Croissant-Rouge Égyptien. Le Croissant-Rouge était dirigé à cette époque par le Sheikh ʿAlî Yûsuf, et sa première mission se rendit en Libye le 7 novembre 1911.
La cause la plus importante de cette mobilisation générale était la puissance de la fibre islamique qui reliait tous ces peuples et toutes ces contrées. Par ailleurs, les Musulmans ressentaient une grande motivation pour défendre le Califat menacé de toutes parts par les puissances colonialistes. Ils savaient que le démembrement du Califat causerait indubitablement la division et la faiblesse de la Communauté musulmane. Les années semblent leur avoir donné raison. Ils comprirent également que contrairement à ses prétentions, le colonialisme n’avait aucune mission civilisatrice ou humaniste. Ses seuls desseins étaient de décimer les peuples et de piller leurs richesses, comme le démontrèrent brillamment les Italiens en Libye ou les Français en Algérie.
Le mouvement de la résistance se poursuivit jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. L’Italie entra en guerre du côté des Alliés, tandis que la Turquie s’allia à l’Allemagne. La Turquie afficha ainsi clairement son soutien aux Libyens menés par As-Sayyid Ahmad As-Sunûsî, et se lança avec eux contre leur ennemi commun.
Mais très vite, les relations entre As-Sunûsî et les Turcs se détériorèrent, du fait que ces derniers avaient levé les Anglais contre lui, alors que lui-même désirait garder de bonnes relations avec eux pour ne pas se voir fermer la porte de l’Égypte. La situation en Libye devenait de plus en plus critique, notamment à cause de la conjoncture économique défavorable et d’un désastre humain qui emporta des centaines de vies. Toutes ces raisons amenèrent le successeur de Ahmad As-Sunûsî, Idrîs As-Sunûsî, à entamer des pourparlers, le 16 avril 1917, avec les deux puissances alliées, l’Angleterre et l’Italie. Ces négociations aboutirent à l’Accord de ʿIkrimah qui définissait les zones d’influence des Sénousis d’une part et des Italiens d’autre part. L’accord stipulait également un cessez-le-feu et autorisait la liberté de déplacement entre les deux zones d’influence.
Un autre accord, l’Accord d’Ar-Rajmah, fut signé quelques années plus tard, le 25 octobre 1920, dans lequel les Italiens reconnurent l’autorité légitime d’As-Sunûsî en tant que gouverneur civil et leader de la partie intérieure de la Cyrénaïque. Idrîs As-Sunûsî se vit accorder le titre d’Émir et la région qu’il contrôlait devint un émirat héréditaire.
Mais toutes ces décisions ne mirent guère fin au conflit italo-libyen. La résistance était toujours sur le pied de guerre, le peuple refusait de se soumettre à la colonisation et la flamme du jihâd ne voulait pas s’éteindre.
En 1918, après la fin de la Première Guerre mondiale d’où l’Italie était ressortie meurtrie, une trêve fut signée entre les deux parties belligérantes. L’accord stipulait la fin de l’état de guerre et la mise en place d’une république. Il reconnaissait l’autonomie intérieure de la Tripolitaine, placée néanmoins sous tutelle italienne. On décida également de créer un parlement et un gouvernement locaux qui dirigeraient le pays. Mais cette république ne vécut pas bien longtemps, l’Italie n’ayant accepté les mesures de cet accord que pour gagner du temps et récupérer ses esprits après la Grande Guerre.
Les Libyens furent les auteurs d’une épopée glorieuse dans leur résistance au colonialisme. Avec leur cavalerie menée par le grand héros ʿUmar Al-Mukhtâr, ils surent infliger de lourdes défaites à l’armée moderne de l’envahisseur, tout comme ils surent attirer sur eux l’attention de la communauté internationale. L’Italie employa tous ses efforts pour liquider ʿUmar Al-Mukhtâr, âgé de près de 80 ans, et ses compagnons. Après plusieurs vaines tentatives, elle finit par le capturer le 11 septembre 1931, après que le cheval qu’il chevauchait eut été blessé. Suite à un procès sommaire et expéditif qui ne dura guère plus d’une heure, il fut condamné à la peine capitale. Son exécution eut lieu le matin du 16 septembre 1931, devant une foule de Libyens rassemblée pour l’occasion.
Mais le jihâd ne s’interrompit pas pour autant. Le peuple libyen poursuivit sa lutte jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Le dernier soldat italien quitta le sol libyen le 25 janvier 1943, après plus de 30 ans d’une guerre de libération qui coûta la vie à plus d’un demi-million de martyrs, soit un cinquième de la population totale de la Libye à cette époque.
Sources : deux articles du site Islamonline.net, Le Fascisme occupe la Lybie et L’indépendance libyenne... Panislamisme et efforts populaires, et un article du site Nfsl-Lybia.com.
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