jeudi 6 avril 2006
La dynastie ottomane connut à ses débuts des succès fulgurants. Les puissants premiers sultans firent passer le nouvel État islamique du stade de simple émirat à celui de plus grand Empire du monde, un Empire développé et structuré qui s’étendait sur les trois continents de l’Ancien Monde, l’Afrique, l’Asie et l’Europe.
Le Sultan Murâd II (Murat II) fut l’un des plus grands Califes de la maison ottomane. Actif et dynamique, il participa à la construction d’un État puissant, stable et prospère. À peine âgé de 18 ans, le décès de son père, le Sultan Muhammad Jalabî (Mehmet Ier), lui permit d’accéder au trône à un âge précoce en 1421 E.C. Ambitieux et enthousiaste, il rêvait d’asseoir durablement l’autorité et l’influence de l’Empire.
À peine Murâd II s’était-il installé à la tête du sultanat que des troubles et des révoltes éclatèrent et faillirent le déchoir. Ces troubles furent notamment fomentés par son oncle Mustafâ Jalabî qui aspirait au pouvoir après la mort de son frère, Muhammad Ier. Mustafâ Jalabî était soutenu par l’Empire byzantin qui redoutait la puissance émergente des Ottomans. Les Byzantins cherchaient en effet à attiser les querelles intestines entre les Turcs dans le but de les détourner du projet de conquérir Constantinople.
Des mouvements de rébellion contre l’autorité ottomane éclatèrent également dans la région des Balkans. Murâd II entreprit de mater ces révoltes et de réaffirmer la souveraineté turque sur ces territoires d’Europe orientale. Il contraignit ainsi le Despote de Serbie, Georges Brankovic, devenant de facto un vassal du Sultan ottoman, à payer un tribut annuel, à fournir des soldats pour aider l’Empire ottoman en temps de guerre, à lui accorder la main de sa fille Mara et à rompre toutes relations avec le Roi de Hongrie.
Grand rival des Turcs dans les Balkans, le Royaume de Hongrie ne cessait d’inciter le Despotat de Serbie à se rebeller contre l’Empire ottoman, après que les Serbes furent intégrés dans la zone d’influence turque. Décidé à mettre un terme à cette ingérence extérieure, le Sultan Murâd II marcha contre la Hongrie et lui infligea une défaite sans appel en 1438 E.C. Certaines sources précisent que soixante-dix mille soldats ennemis furent capturés au cours de cette expédition.
L’année suivante, le Despote de Serbie, Georges Brankovic, entra en dissidence contre le Sultan ottoman. Ce dernier, résolu à rappeler son vassal chrétien à l’ordre, prit la tête de son armée et se rendit jusqu’à Belgrade, capitale de la Serbie, qu’il assiégea en vain pendant six mois. La bravoure des soldats serbes empêcha la ville de tomber entre les mains des Turcs. Rebroussant chemin, Murâd II se dirigea vers la Transylvanie sur laquelle il étendit sa suzeraineté. Cette expédition fut l’occasion pour le Pape Eugène IV d’appeler, en 1439 E.C., à une croisade contre l’Empire ottoman. L’appel fut largement entendu en Europe, et très vite, se constitua une coalition chrétienne formée de la Hongrie, de la Pologne, de la Serbie, de la Valachie et de Venise. La coalition croisée fut dirigée par le régent de Hongrie, Jean Hunyadi, qui était un Catholique fanatique, ayant pour seule et unique obsession de bouter les Turcs hors des Balkans et d’Europe. Jean Hunyadi parvint à infliger une écrasante défaite à l’armée ottomane en 1442 E.C., après avoir tué vingt mille soldats turcs, dont le commandant de l’armée, contraignant le reste des troupes à se retirer derrière le Danube. Lorsque la nouvelle de cette défaite parvint au Sultan Murâd II, il décida de venger l’honneur de l’Empire en envoyant une nouvelle armée de quatre-vingt mille hommes, sous le commandement de Shihâb Ad-Dîn Pacha. Une nouvelle fois, le régent hongrois Jean Hunyadi vainquit les Turcs dans une bataille décisive près de Belgrade.
Les revers ottomans se succédèrent, contraignant le Sultan à accepter une trêve de dix ans avec la Hongrie, aux termes de laquelle il renoncerait à ses prétentions sur la Serbie, reconnaîtrait le Despotat de Georges Brankovic et céderait la Valachie à la Hongrie. Cette trêve fut signée le 13 juillet 1444. À son retour dans sa capitale Edirne, le Sultan fut bouleversé par la mort tragique de son aîné et futur successeur ʿAlâ’ Ad-Dîn. Voyant que le sort s’acharnait contre lui, il décida d’abdiquer en faveur de son fils de 14 ans, Muhammad, que l’histoire connaîtra par la suite comme Muhammad Al-Fâtih ou Mehmet le Conquérant, l’homme qui mit fin à un millénaire d’Empire byzantin et qui prit Constantinople en 1453 E.C. Murâd II se retira quant à lui dans la ville de Magnésie (ou Manisa) en Asie Mineure, pour passer le restant de ses jours loin des intrigues politiques et des préoccupations du pouvoir, et pour se consacrer à la méditation et à l’adoration de Dieu.
L’abdication du Sultan Murâd II fit renaître chez les Européens l’espoir de venir à bout de l’Empire ottoman. Le jeune nouveau Sultan Muhammad II n’était pas encore apte à supporter le poids d’une confrontation avec une coalition croisée. Sous les exhortations de l’ambassadeur du Pape qui le convainquit qu’il était libre de tout engagement avec les infidèles, le Roi de Hongrie, Ladislas III, saisit cette conjoncture de faiblesse à la tête de l’Empire pour rompre la trêve signée en juillet 1444. Celui-ci avait pourtant juré sur la Bible, tandis que Murâd II jurait sur le Coran, qu’aucun des deux ne trahirait les clauses du pacte, aussi longtemps qu’ils seraient en vie.
Foulant ses engagements aux pieds, la chrétienté forma une nouvelle coalition composée de la Hongrie, de la Pologne, de l’Allemagne, de la France, de Venise et de l’Empire byzantin et mit sur pied une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes.
Ces troupes marchèrent contre l’Empire ottoman et débarquèrent sur les côtes de la Mer Noire, près de la ville bulgare de Varna. Pendant que ces manœuvres militaires avaient lieu, l’inquiétude et l’angoisse gagnaient l’élite dirigeante à Edirne. Le jeune Sultan n’était pas en mesure de dissiper ces craintes ni de contrôler la situation, et encore moins d’arracher la victoire aux ennemis. Un conseil se tint alors dans la capitale ottomane pour décider de la marche à suivre. La décision, communiquée à Muhammad II, était de cette teneur : « Nous ne pourrons résister à l’ennemi que si votre père le Sultan reprend votre place. [...] Faîtes venir votre père pour qu’il affronte l’ennemi et profitez pleinement de votre repos. Le sultanat vous reviendra après l’accomplissement de cette mission. »
Muhammad II envoya derechef une missive à son père, Murâd II, à Manisa, lui demandant de rentrer à Edirne. Ce dernier, voulant que son fils ait confiance en lui-même, lui répondit : « La défense de l’Empire est un devoir incombant au Sultan ! » Muhammad II lui écrivit en retour : « Si Nous sommes le Sultan, alors nous vous ordonnons de venir à la tête de votre armée. Et si vous êtes le Sultan, alors venez défendre votre Empire ! »
Murâd II prit la tête de son armée et se dirigea vers Varna. Il y arriva en même temps que l’armée croisée. Le lendemain, une bataille décisive commença. Le Sultan ottoman accrocha sur une lance le texte du pacte de 1444 afin que le monde entier soit témoin de la perfidie d’un ennemi qui trahit ses engagements.
Les affrontements éclatèrent lorsque Jean Hunyadi, qui dirigeait l’armée croisée, lança l’assaut contre les flancs de l’armée ottomane. Dans un premier temps, Murâd II laissa l’ennemi s’enfoncer à l’intérieur des rangs de ses troupes. Puis il donna l’ordre de la contre-attaque. Ses forces parvinrent à encercler l’ennemi et à décapiter le Roi Ladislas III. La tête de ce dernier fut accrochée au bout d’une lance afin de terroriser l’armée croisée et les abattre sur le plan psychologique. Le chef hongrois Jean Hunyadi prit la fuite, laissant ses hommes derrière lui se faire capturer. Entre quatre-vingt mille et quatre-vingt-dix mille soldats chrétiens furent faits prisonniers par les Musulmans. Cette victoire historique eut lieu le 10 novembre 1444 et son écho retentit dans tout le monde musulman.
Quatre ans après sa défaite à Varna, Jean Hunyadi ne décolérait pas et sa soif de vengeance ne s’était pas étanchée. Voulant effacer l’affront de ce revers, il mobilisa la sixième croisade anti-ottomane, à laquelle participèrent cent mille Chrétiens venus de Hongrie, d’Allemagne, de Pologne, de Sicile et de Naples. L’armée croisée était composée de trente-huit bataillons, dont la plupart ne connaissait même pas la langue de l’autre.
Elle se mit en branle en direction de la plaine du Kosovo, où elle rencontra l’armée ottomane conduite par le Sultan Murâd II. La bataille s’étendit sur plusieurs jours, à compter du 17 octobre 1448. Au troisième jour de combats, Murâd II parvint à encercler l’ennemi, exténué par la fatigue et les frappes continuelles des forces turques. Il lui barra la route pour l’empêcher de s’échapper.
Jean Hunyadi fut incapable de résister plus longtemps. Profitant de la tombée de la nuit, il réussit à prendre la fuite comme il l’avait fait à Varna, abandonnant derrière lui dix-sept mille soldats morts et des dizaines de milliers de prisonniers. Cette victoire musulmane dans les plaines du Kosovo vint rappeler une victoire similaire qui avait eu lieu au même endroit une soixantaine d’années plus tôt, lorsque le Sultan Murâd Ier avait défait le Roi Lazare de Serbie en 1389. Cette deuxième bataille de Kosovo mit fin pour de nombreux siècles aux espoirs européens de voir les Ottomans boutés hors des Balkans.
Source : Islam-Online.net.
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