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La bataille de ʿAyn Jâlût

lundi 18 août 2003

Hulagu

L’État islamique n’avait jamais connu de moments plus difficiles que ceux qu’il dut endurer au septième siècle hégirien. Les armées mongoles, menées par Gengis Khan, détruisaient alors les capitales de l’Orient musulman ; elles répandaient impitoyablement le sang musulman ; elles mirent à sac tous les aspects de la civilisation. Aucune puissance islamique ne sut stopper leur avancée fulgurante ; les armées musulmanes s’effondraient les unes après les autres, accompagnant ainsi le cortège des royaumes et des villes musulmanes qui tombaient tels des feuilles d’arbres en automne.

La faiblesse des Musulmans et la perte de leur courage incitèrent les Mongols à poursuivre leur marche vers l’Ouest et à détruire le Califat ʿabbâside de Bagdad. D’ailleurs, au moment de l’invasion mongole, le Califat n’avait jamais été au plus mal. En 1253, Hulagu, le petit-fils de Gengis Khan, sortit à la tête d’une immense armée de 120000 soldats, choisis parmi l’élite de l’armée mongole, ayant subi des entraînements militaires de haut niveau, et munis des armes de combat et de siège les plus redoutables. Leur terrible célébrité de grands massacreurs, de redoutables combattants et de soldats téméraires les devançait où qu’ils allassent.

La chute du Califat ʿabbâside

Les troupes mongoles envahirent les territoires iraniens, sans rencontrer de véritable résistance. Elles purent ainsi cheminer jusqu’à Bagdad... C’était la capitale du monde musulman qui était assiégée ! La ville n’avait ni les moyens ni la force de repousser cette innombrable armée venue de l’Est. Elle se résigna alors à accepter la défaite et à s’incliner devant l’envahisseur. Investie le 4 Safar 656 de l’Hégire, soit le 10 février 1258, elle fut pour ainsi dire détruite. La majeure partie de ses habitants furent massacrés. Les estimations les plus indulgentes font état d’un million de morts, massacrés en 40 jours. Le Tigre était devenu rouge de sang. Le Calife des Musulmans et sa famille ne devaient pas non plus connaître un sort plus heureux que celui de leurs sujets. Al-Mustaʿsim Billâh était le dernier représentant de la dynastie ʿabbâside de Bagdad. Les Tatars incendièrent toute la ville. Ils en détruisirent aussi bien les mosquées que les palais que les bibliothèques. Tout l’héritage de la l’humanité était anéanti. La capitale du monde et le lieu de pèlerinage de la civilisation humaine n’était plus que monceaux de décombres.

La situation de la Syrie avant la campagne de Hulagu

A la même époque, la Syrie était dirigée en grande partie par les Ayyûbides. Les relations que ces roitelets avaient entre eux n’étaient pas des plus cordiales malgré leur rattachement à la même noble famille, la famille de Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî (Saladin). Au lieu que la crise que traversait le monde musulman les amenât à se rapprocher les uns des autres et à s’ériger tels un seul homme face à la menace mongole, certains d’entre eux prirent le parti de se précipiter devant Hulagu pour lui déclarer leur soumission, à l’instar de la position adoptée par An-Nâsir Yûsuf Al-Ayyûbî, le gouverneur de Damas et d’Alep. Ce dernier figurait pourtant parmi les plus puissants princes ayyûbides et les plus aptes à affronter Hulagu, s’il l’avait voulu. Néanmoins, il ne le fit pas et préféra envoyer son fils Al-ʿAzîz, accompagné de cadeaux, pour annoncer sa soumission à Hulagu. Pire, il alla jusqu’à lui demander de l’aider à reprendre le trône d’Égypte et à débarrasser le pays des Mamelouks qui le gouvernaient depuis récemment.

Mais Hulagu considéra comme un affront qui lui était fait le fait qu’An-Nâsir n’était pas venu jusqu’à lui en personne pour lui déclarer sa soumission. Il lui envoya alors une lettre d’indignation dans laquelle il lui ordonnait de se présenter sans tarder pour lui annoncer lui-même sa reddition et sa soumission inconditionnelle. An-Nâsir fut troublé par une telle réponse. Il comprit alors que ses attentes étaient vaines et se prépara, terrifié, à tenir tête aux Mongols, non sans avoir pris la précaution d’envoyer toute sa famille se réfugier en Égypte.

La campagne de Hulagu

Hulagu quitta la capitale de son Empire, Marâgheh (Iran), au mois de Ramadân 657 de l’Hégire, soit en 1259 de l’ère chrétienne. Il prit la direction de la Syrie, en compagnie de ses alliés, les rois de Géorgie et d’Arménie. La tête de l’armée était placée sous le commandement du général Kîtbûqâ (Kâtubghâ). Mayâfârqîn, dans le Diyâr Bakr (Turquie), allait être la première cible de cette invasion. La ville résista pendant longtemps avant que les Mongols ne pussent l’investir, le manque de vivres et la propagation des maladies étant finalement venus à bout d’une grande partie de la population.

Pendant le siège de cette ville, les troupes mongoles prirent également les villes avoisinantes de Mârdîn, Harrân, Édesse, Sarrûj et Al-Bîrah. Les Mongols poursuivirent ensuite leur route jusqu’à Alep qu’ils assiégèrent fermement jusqu’à sa reddition le 25 janvier 1260. Hulagu donna l’ordre à ses soldats de mettre la ville à sac pendant sept jours. A peine ces nouvelles catastrophiques étaient-elles arrivées à Damas que les habitants de la ville décidèrent de se rendre à Hulagu, notamment après la fuite du gouverneur An-Nâsir Yûsuf Al-Ayyûbî. Mais le destin fit en sorte que Hulagu ne put entrer dans la ville, suite à des problèmes survenus dans son pays. Ce fut donc au général Kîtbûqâ que revint le privilège de prendre la ville, le 1er mars 1260.

La position de l’Europe

L’Europe chrétienne se félicitait des victoires mongoles contre les Musulmans. Les Mongols étaient en effet des amis des Chrétiens, tout comme certains, parmi eux, étaient eux-mêmes Chrétiens. Tout cela poussa le Pape et les rois d’Europe à considérer les Tatars comme leurs alliés contre les Musulmans. En réalité, l’idée d’une coalition mogholo-européenne en vue de détruire le monde musulman était à l’ordre du jour à Rome depuis déjà longtemps. Les papes successifs travaillaient en effet à propager le Christianisme parmi les Tatars. De plus, les rois d’Europe échangeaient des délégations avec les Mongols. Ainsi, Saint Louis invita un certain nombre de chefs mongols à venir en France pour négocier avec eux une alliance militaire qui consisterait pour les deux parties à mener conjointement des opérations contre les Musulmans. Les Tatars devraient envahir l’Irak, détruire Bagdad et anéantir le Califat islamique tandis que les Croisés devraient couvrir l’offensive tatare en contenant l’armée égyptienne et en l’empêchant de se porter au secours des Musulmans d’Asie. Autrement dit, il s’agissait d’isoler totalement l’Égypte des autres territoires musulmans.

Saint Louis n’eut de cesse de chercher à attirer vers lui les Tatars et à utiliser leur puissance destructrice pour frapper l’Islam. Le 17 janvier 1249, il envoya au Prince mongol de précieux présents, avec une ambassade à la tête de laquelle il plaça le moine dominicain André de Longjumeau. On relate que parmi ces cadeaux, on trouvait une pièce de la relique de la Sainte Croix, un portrait de la Vierge Marie et diverses maquettes d’un certain nombre d’églises.

Le chanoine Du Mesnil, sous-directeur de l’Œuvre d’Orient, dit dans son livre sur l’Église et les Croisades que Hulagu fut célèbre pour son inclination aux Chrétiens nestoriens. Sa cour en comptait en effet un grand nombre, et parmi eux, on trouvait le grand général Kîtbûqâ, turc d’origine ayant embrassé la doctrine nestorienne. La princesse Dûks Khâtûn, l’épouse de Hulagu était également chrétienne.

D’ailleurs, cette princesse eut sur son époux une influence telle qu’elle fit la fierté de l’Église, dans la mesure où elle dissuada Hulagu d’attaquer l’Europe chrétienne et de concentrer tous ses efforts sur les Arabes et les Musulmans. Ainsi, à Bagdad, les Mongols se contentèrent d’égorger les Musulmans en épargnant les Chrétiens de la ville. Rien ne fut ôté ou spolié à ces derniers. La princesse joua également un grand rôle pour convaincre son mari d’envahir la Syrie. Le chanoine Du Mesnil écrit que le campagne tatare contre l’Islam et les Arabes était une véritable croisade, au sens premier du terme. C’était une campagne chrétienne nestorienne, en laquelle tout l’Occident plaçait ses espérances. Les Européens attendaient d’être enfin débarrassés des Musulmans grâce à Hulagu et à son général chrétien Kîtbûqâ, chose qu’eux-mêmes n’avait pu réussir à accomplir lorsque les Croisades battaient leur plein un siècle plus tôt.

Par ailleurs, le Roi d’Arménie Hétoum Ier, le Comte de Tripoli Bohémond VI, ainsi que les princes croisés de Tyr, de Saint Jean d’Âcre et de Chypre, décidèrent tous ensemble de former une alliance avec les Tatars, dont l’objectif serait d’éradiquer les Musulmans du continent asiatique et de récupérer la Ville sainte de Jérusalem.

Du Mesnil dit également dans son livre sur l’hisoire de l’évangélisation que ce furent les Chrétiens qui incitèrent Hulagu à quitter la Syrie pour aller combattre son propre frère qui affichait sa sympathie pour l’Islam.

Mais les espoirs nourris par les Croisés s’éteignirent définitivement lorsque les Mongols embrassèrent l’Islam. Le chanoine Du Mesnil décrit cet épilogue en ces termes : « Nous constatons ainsi que l’Islam, dont la puissance était à deux doigts de disparaître, revint à la vie. Le danger qu’il représentait alors se fit encore plus menaçant qu’auparavant. »

La situation en Égypte

Une des conséquences de l’invasion de la Syrie par les Mongols fut qu’une grande partie des Syriens allèrent se réfugier en Égypte, qui était alors gouvernée par les Mamelouks. Le pays avait pour Sultan un enfant : Al-Malik Al-Mansûr Nûr Ad-Dîn ʿAlî, fils du Sultan al-Muʿizz Aybak. Al-Malik An-Nâsir Yûsuf, Sultan de Damas et d’Alep, s’étant réveillé trop tard pour estimer à sa juste valeur la menace mongole, avait envoyé en Égypte un émissaire pour demander des renforts militaires qui lui permettraient de faire face à l’avancée mongole. Les nouvelles de ces envahisseurs avaient néanmoins déjà provoqué en Égypte une terreur générale.

Le Sultan d’Égypte n’était pas apte à porter la responsabilité de son pays, au milieu des dangers imminents qui le menaçaient. Son régent, Sayf Ad-Dîn Qutuz, décida alors de le déposer arguant que l’ennemi auquel ils étaient confrontés devait être combattu par un Sultan puissant, chose que l’enfant roi ne saurait assumer. Qutuz ne rencontra pas d’objection à sa décision, car tous étaient conscients de la menace qui pesait sur eux.

La lettre de Hulagu

Le Sultan Qutuz commença par renforcer les assises de son pouvoir. Il désigna des gens en qui il avait confiance pour occuper les hautes charges administratives de l’État. Il fit arrêter les partisans de l’ancien Sultan qui s’activaient à répandre le trouble dans la société égyptienne. Il se mit ensuite à préparer le jihâd contre les Mongols. Pour ce faire, il autorisa un certain nombre de Mamelouks, qui étaient ses adversaires d’hier et qui s’étaient établis en Syrie, à revenir en Égypte pour l’aider à mener la lutte contre l’envahisseur. A la tête de ces Mamelouks rivaux, figurait le célèbre Baybars Al-Bunduqdârî, futur successeur de Qutuz à la tête de l’Égypte. Le Sultan accueillit son rival avec toutes les honneurs et lui fit le meilleur accueil. Il lui octroya la province de Qalyûb et les campagnes avoisinantes. Qutuz exhorta également les soldats d’An-Nâsir Yûsuf Al-Ayyûbî - qui avait fui Damas pour demander le secours des Mamelouks d’Égypte - à se joindre à son armée, campée près de Gaza. Ceux-ci répondirent favorablement à l’appel. Les armées de Syrie et d’Égypte formaient désormais un front uni contre la menace mongole.

Entretemps, des ambassadeurs de Hulagu arrivèrent au Caire avec une lettre de leur souverain, une lettre qui transpirait l’orgueil et la vanité, une lettre bourrée de menaces et d’intimidations. Le texte de cette célèbre lettre est le suivant :

« De la part du Roi des rois, en Orient et en Occident, le Chef Suprême,

Au nom de Toi, Ô Dieu, Créateur de la Terre et du Ciel.

Al-Malik Al-Mudhaffar Qutuz, celui-là qui fait partie de la race des Mamelouks qui ont fui ces contrées devant nos épées, qui jouissaient des délices de cette terre et qui tuaient ceux qu’ils avaient sous leur autorité... Al-Malik Al-Mudhaffar Qutuz et l’ensemble des princes de son État et de ses territoires égyptiens doivent savoir que nous sommes les soldats de Dieu sur Terre. Il nous a créés par Sa colère et nous a enjoint de combattre ceux contre qui Il est en colère. Vous avez un exemple dans tous les pays que nous avons traversés et notre détermination ne saurait être arrêtée. Méfiez-vous d’agir comme d’autres l’ont fait, et rendez-vous à nous de votre plein gré. Avant que la coupe ne déborde : vous le regretterez alors et vous morfondrez en remords. Car nous n’avons pas pitié de ceux qui pleurent ni ne nous attendrissons sur ceux qui souffrent. Vous avez entendu que nous avons conquis le monde, nous avons épuré la terre de toute forme de corruption et nous avons tué la plupart des humains. Vous devez donc fuir et nous devons vous soumettre. Quelle terre vous protégera ? Quelle route vous sauvera ? Quel pays vous défendra ? Vous ne pourrez échapper à nos épées, ni vous soustraire à notre terreur. Car nos chevaux sont des éclairs, nos flèches ne manquent jamais leur cible. Nos cœurs sont tels des montagnes, et nous sommes aussi nombreux que les grains de sable. Les châteaux ne nous résistent point. Les armées dressées contre nous ne servent à rien. Et vos imprécations ne nous toucheront point. Car vous consommez l’interdit, vous dites des obscénités, vous trahissez vos promesses et vos serments, parmi vous s’est répandue la désobéissance et l’impiété. Réjouissez-vous de l’humiliation et de l’avilissement qui vous attendent. On vous rétribue donc aujourd’hui du châtiment avilissant, pour l’orgueil dont vous vous enfliez injustement sur terre, et pour votre perversité. Les injustes verront bientôt le revirement qu’ils éprouveront ! Quiconque a cherché à nous combattre l’a regretté, et quiconque a cherché à s’attirer nos faveurs s’est retrouvé en sécurité. Si vous obéissez à nos ordres et vous soumettez à nos conditions, vous et nous aurons les mêmes droits et les mêmes devoirs. Mais si vous refusez, votre sort sera scellé. Ne perdez donc pas vous-mêmes vos vies. Nous vous aurons avertis. Il est établi chez vous que nous sommes les mécréants. Et il est établi chez nous que vous êtes les débauchés. Le Détenteur de la destinée nous a lâchés contre vous. Le noble parmi vous est un vaurien chez nous. Et le puissant chez vous est un esclave chez nous. Ne perdez donc pas de temps en de longs discours. Et répondez-nous rapidement, avant que ne fusent les étincelles de la guerre et qu’elle ne projette ses flammes contre vous. Vous ne trouverez alors chez nous ni puissance ni reconnaissance, ni protecteur ni secoureur. Vous trouverez plutôt en nous des gens extrêmement puissants qui ne vous épargneront guère. Votre pays sera désert. Nous avons été justes envers vous puisque nous vous avons prévenus par cette lettre. Nous vous avons réveillés afin que vous soyez avertis. Car vous êtes notre dernière cible.

Que la paix soit sur nous et sur vous, ainsi que sur ceux qui suivent la vraie voie, qui craignent les conséquences de l’insoumission et qui obéissent au Chef Suprême. »

C’était au début de l’année 1260.

Une réunion historique

Face à ce danger mortel, le Sultan Qutuz convoqua un conseil rassemblant les plus grands princes de son royaume. On décida de répondre aux menaces mongoles par une mobilisation générale des armées et par l’assassinat des ambassadeurs mongols. Ces derniers furent tués aussi cruellement qu’eux-mêmes étaient capables de la faire : on les frappa au milieu de la tête de sorte que leur corps se divise en deux parties symétriques. Ils furent rassemblés par petits groupes, chaque groupe devant être exécuté devant une des portes de la capitale, le Caire. Leurs têtes furent accrochées à la Porte de Zuwaylah, pour signifier à la population égyptienne que la guerre contre les Mongols était enfin déclarée.

Qutuz rassembla les juges, les juristes et les notables de son État pour les consulter sur ce qu’il devait faire avec les Tatars, et les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour les combattre. Parmi les participants à cette réunion historique, on trouvait le Sheikh Al-ʿIzz Ibn ʿAbd As-Salâm, le plus illustre des savants musulmans de son temps, ainsi que le Juge Badr Ad-Dîn As-Sinjârî, le Juge Suprême d’Égypte. Tous les participants soutinrent le discours prononcé et la fatwâ émise par le Sheikh Ibn ʿAbd As-Salâm et s’en tinrent à sa tranchante conclusion : « Si un ennemi envahit les territoires de l’Islam, tout le monde est tenu de le combattre. Et il vous est permis de prélever de la population l’argent nécessaire aux dépenses militaires, à condition qu’il ne reste plus rien dans le Trésor Public et que vous ayez dépensé vous-mêmes vos parures, les parures de vos bêtes et vos pierres précieuses, de sorte que le soldat ne dispose plus que de sa monture et de ses armes, devenant ainsi semblable au reste de la population. En revanche, il n’est pas permis de prélever les biens de la population tant que des soldats disposent encore de biens propres et de pierreries. »

Qutuz éprouva quelques difficultés à convaincre un grand nombre de princes à sortir avec lui pour affronter les Tatars. Ce ne fut qu’après de longues discussions et de laborieuses exhortations que le Sultan parvint enfin à remuer la fierté et le courage de ces princes : « Ô Princes des Musulmans, leur dit-il en pleurant ! A une époque, vous viviez aux dépens du Trésor Public. Et aujourd’hui, vous n’avez pas envie de combattre l’envahisseur. Sachez que je vais partir. Quiconque choisit le jihâd, qu’il m’accompagne ! Et quiconque choisit autre chose, qu’il retourne chez lui et Dieu est parfaitement Connaisseur des secrets de son âme. » Il leur dit encore : « Mon opinion est que nous devons tous partir au combat. Si nous gagnons, nous aurons réalisé ce que nous voulons. Sinon, nous ne mériterons plus jamais d’être Musulmans à la face de l’univers. » Ces paroles marquèrent profondément les princes et ravivèrent leur courage. Ils sortirent donc avec le Sultan et lui promirent d’être à ses côtés dans la bataille.

L’heure du départ

Au mois de Ramadân 658 de l’Hégire, soit en août 1260 de l’ère chrétienne, Qutuz quitta l’Égypte à la tête des armées égyptienne, syrienne et autres factions provenues des différentes contrées du monde musulman. Il laissa au Caire un suppléant, l’Atabek Fâris Ad-Dîn Aqtây Al-Mustaʿrib, qui le remplacerait pendant son absence. Il envoya le Prince Baybars Al-Bunduqdârî en mission de reconnaissance avec une partie de l’armée. Le Prince mamelouk rencontra à Gaza des contingents mongols auxquels il se heurta et infligea une sérieuse défaite. Cette première victoire, aussi petite fût-elle, releva le moral très bas des troupes musulmanes. Elle leur permit de dépasser leur peur, ce qui constituait déjà un avantage psychologique sur leurs ennemis. Le Sultan s’avança alors jusqu’à Gaza en compagnie de son armée. Il y demeura pendant un jour, après quoi il suivit un parcours côtier pour atteindre la ville de Saint Jean d’Âcre, qui était encore sous la tutelle croisée. Les Croisés lui proposèrent leur aide mais le Sultan refusa et se contenta de s’assurer de leur neutralité dans la guerre qui s’annonçait. Qutuz rejoignit enfin le Prince Baybars dans la vallée de ʿAyn Jâlût, entre Bîsân et Naplouse.

L’armée mongole, quant à elle, était désormais menée par Kîtbûqâ, suite au départ soudain de Hulagu vers son pays. Kîtbûqâ entreprit de rassembler ses troupes qui s’étaient éparpillées en Syrie, en une seule et unique armée. Sa vanité le fit refuser d’attendre des renforts de la part de Hulagu. Les Mongols s’avancèrent alors également jusqu’à ʿAyn Jâlût.

La grande rencontre

Le plan du Sultan Qutuz consistait à cacher le gros de ses troupes derrière les monts et les collines avoisinant la vallée de ʿAyn Jâlût. Il ne dresserait face à son redoutable ennemi que l’avant de l’armée, placé sous le commandement de Baybars. La bataille commença le vendredi 3 septembre 1260, soit le 25 Ramadân 658 de l’Hégire. La bataille se déroulait en somme en un jour béni et en un mois béni pour les Musulmans. Les deux groupes s’affrontèrent. Les soldats mongols déferlèrent sur l’avant de l’armée musulmane tels un raz de marée. Les Tatars allaient remporter, comme à leur habitude, une victoire-éclair, grâce notamment à la puissance et à la rapidité de leur cavalerie. Aussi la partie gauche de l’armée musulmane céda-t-elle face à cette vague humaine qui l’emporta. Mais le Sultan Qutuz, tel une fière montagne, demeura ferme sur ses pas. Il cria de toute la puissance de sa voix : « Wâ Islâmâh ! Wâ Islâmâh ! Wâ Islâmâh ! » Ce cri de détresse, désormais célèbre, signifiant que l’Islam tout entier était en danger et pouvait succomber à tout moment sous les sabots des chevaux mongols, fut entendu sur tout le champ de bataille. Les soldats musulmans accoururent autour du Sultan pour défendre avec lui l’idéal qui les animait. Tous fondirent sur l’armée mongole, stupéfiée de voir une telle endurance et une telle fermeté de la part des Musulmans, qui les avaient auparavant accoutumés à leur offrir des victoires faciles. Le courage mongol s’effondra et les soldats mongols se sauvèrent dans toutes les directions, parvenant à peine à imaginer qu’ils étaient en train de subir leur première défaite, eux qui avaient pourtant terrorisé l’humanité d’Est en Ouest. Le coup de grâce leur fut porté par la mort de leur général Kîtbûqâ.

Les Musulmans ne se contentèrent pas de cette bataille. Ils poursuivirent les soldats mongols qui avaient fui et s’étaient rassemblé à nouveau à Bîsân, près de ʿAyn Jâlût. Ils les affrontèrent à nouveau dans une bataille décisive et sanglante qui allait sceller à tout jamais le sort de la puissance mongole. Néanmoins, au cours de la bataille, l’issue demeurait incertaine, si bien que le Sultan Qutuz fut amené à pousser une nouvelle fois son terrible cri de détresse : « Wâ Islâmâh ! » Tous ses hommes l’entendirent. Le Sultan commença ensuite à prier Dieu pour lui accorder la victoire : « Ô Dieu ! Accorde la vicoire à Ton Serviteur Qutuz. » Une heure ne s’était écoulée que la victoire oscilla du côté musulman et que l’affaire fut scellée par une retentissante défaite des Mongols, chose qu’ils n’avaient jamais connue depuis Gengis Khan. Après la victoire, le Sultan descendit de son cheval, se jeta face contre terre pour baiser ce sol si sacré. Puis il accomplit deux cycles de prières, deux rakʿah, en guise de remerciement à Dieu.

Les conséquences de ʿAyn Jâlût

La bataille de ʿAyn Jâlût fut l’une des batailles les plus cruciales de l’Histoire. Ce fut elle qui sauva le monde musulman d’un danger imminent auquel jamais il n’avait été auparavant confronté. Elle sauva la civilisation musulmane de la destruction et de l’anéantissement. Elle protégea également le monde occidental d’un mal auquel aucun roi d’Europe ne pourrait prétendre se mesurer ni le repousser.

Cette victoire permit en outre de libérer la Syrie de l’emprise mongole qui avait duré plus de sept mois. Qutuz entra à Damas le 27 Ramadân 658 et entreprit de sécuriser l’ensemble des villes syriennes, tout comme il réorganisa le pays, et y nomma des gouverneurs. Cette bataille démontra également que la sécurité de l’Égypte dépendait directement de celle de la Syrie et de la Palestine. Cette vérité avait eu et aurait l’occasion d’être redémontrée à maintes reprises dans l’histoire de la région. Enfin, une des conséquences les plus importantes de cette bataille fut la réunification de l’Égypte, de la Syrie et de la Palestine sous l’autorité des Mamelouks pendant plus de 270 ans.

P.-S.

Sources : Al-Eman.com et les deux articles suivants en ligne sur Islamonline.net, ʿAyn Jâlût... Wâ Islâmâh ! et Qutuz, victorieux des Tatars à la bataille de ʿAyn Jâlût.

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