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Le sacrifice rituel de l’Aïd Al-Adhâ

lundi 25 décembre 2006

Question

Quelle est l’origine de la prescription du sacrifice rituel de l’Aïd Al-Adhâ ? Est-ce une obligation ou bien une sunnah ? Quelles caractéristiques doivent être remplies par la bête offerte en sacrifice ? Est-il vrai que l’on peut offrir un coq en sacrifice ?

Réponse de Sheikh ʿAtiyyah Saqr

Définitions linguistique et juridique

Le vocable ud-hiyah possède quatre variantes dans la langue arabe :

  1. ud-hiyah ou ud-hiyyah ;
  2. id-hiyah ou id-hiyyah, dont le pluriel est adâhî ou adâhiyy ;
  3. dahiyyah dont le pluriel est dahâyâ ;
  4. ad-hâh dont le pluriel est ad-hâ, à l’instar de artâh et artâ. C’est cette variante qui a donné son nom au jour (de la fête) du sacrifice. Ce terme désigne la bête offerte en sacrifice car le rituel est accompli au lever du soleil (en arabe, duhâ). An-Nawawî dit : « Le vocable ad-hâ est masculin dans le dialecte de Qays et féminin dans celui de Tamîm. » [1]

Dans le jargon juridique, le vocable ud-hiyah désigne les chameaux, bovins, ovins et caprins sacrifiés le Jour du Sacrifice (Yawm An-Nahr) et pendant les jours du Tashrîq dans le dessein de se rapprocher de Dieu — Exalté soit-Il —. Toute bête immolée n’appartenant pas à l’une de ces trois catégories n’est pas une ud-hiyah. Toute bête immolée en dehors des jours susmentionnés n’est pas une ud-hiyah non plus, pas plus que celle immolée pour un autre dessein que celui de se rapprocher de Dieu.

Rétrospective historique

Faire des offrandes aux dieux est une pratique ancienne. Dieu — Exalté soit-Il — dit au sujet des deux enfants d’Adam, Abel et Caïn : « Récite-leur encore l’histoire des fils d’Adam, en vérité, lorsque tous deux offrirent une oblation : accueillie de la part de l’un d’eux, elle ne le fut pas de l’autre. » [2] Il dit également au sujet des Juifs : « À ceux qui disent : “Dieu a requis de nous pacte de ne croire à aucun envoyé tant qu’il ne nous produirait pas une offrande que dévorât le feu (céleste)” » [3]

Les exégètes disent que : « La sœur jumelle de Caïn, prénommée Iqlîmyâ’, était belle tandis que la sœur jumelle d’Abel, qui se prénomait Liyûdhâ, ne l’était pas. Or, la loi d’Adam stipulait qu’une sœur née d’une grossesse devait épouser son frère né d’une autre grossesse. [4] Caïn envia alors Abel et voulut garder sa belle sœur jumelle pour lui. Les injonctions et remontrances de son père n’y firent rien. Ils décidèrent alors de faire une offrande ; Caïn offrit une botte de blé en épi tandis que Abel offrit un bélier. Dieu accepta l’offrande d’Abel. On rapporta que ce bélier fut élevé au paradis avant que Dieu ne l’envoie en substitution du sacrifice d’Ismaël — paix sur lui —. Récit rapporté par Saʿîd Ibn Jubayr et d’autres ; Seul Dieu en connaît l’authenticité. » [5]

La production d’offrandes fut une pratique courante chez les Juifs pour reconnaître la véracité des prophètes, puis abrogée par Jésus le fils de Marie, conformément au rapport d’Al-Qurtubî [6].

Les historiens disent que les oblations consistaient à offrir des animaux, puis cette pratique s’étendit au sacrifice d’êtres humains. Il se peut même que la vision d’Abraham qu’il sacrifiait son fils procède de cette pratique. Le Très-Haut dit : « Quand celui-ci eut l’âge d’aller avec son père, son père lui dit : “Mon fils, je me suis vu en songe en train de t’immoler. Qu’en penses-tu ?” Il dit : “Mon père, fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras endurant si Dieu veut.” » jusqu’à ce qu’Il dise : « Nous le rachetâmes par un prestigieux sacrifice. » [7]

De même, le sacrifice humain était connu chez les Arabes avant l’avènement de l’islam. On relate que ʿAbd Al-Muttalib fit vœu de sacrifier l’un de ses enfants, si Dieu lui en donnait dix. Le tirage au sort désigna son fils ʿAbd Allâh, le père du Prophète — paix et bénédictions sur lui —, mais les Quraysh l’empêchèrent de le sacrifier de peur que cette pratique devienne une tradition. Cette affaire se dénoua par le sacrifice de cent chameaux à la place de l’enfant. Al-Hâkim rapporta selon Muʿâwiyah qu’un bédouin s’adressa au Messager — paix et bénédictions sur lui — lui disant : « Ô fils des deux sacrifiés ». Le Prophète sourit et ne s’en offusqua point. Les deux sacrifiés dont il est question sont Ismaël le fils d’Abraham et ʿAbd Allâh le fils de ʿAbd Al-Muttalib.

Dans l’Égypte ancienne, certains notables sacrifiaient leurs épouses et leurs esclaves et l’on brisait les lances et les flèches près de leurs tombes, afin qu’ils aillent dans l’au-delà complètement purifiés sans armes ni courtisans. On enterrait avec eux des miniatures de leurs maisons, de leurs commerces, de leurs serviteurs et de leurs troupeaux. Puis les sacrifices humains disparurent cédant la place au sacrifice des animaux et de poupées faites en croûte de porc ; la pratique légendaire consistant à offrir une jeune vierge en sacrifice au Nil lors des crues est une sorte de sacrifice humain envers les divinités. Ce genre de pratique n’était pas confiné à l’Égypte, on le retrouve dans tous les bassins fluviaux : à Sumer, en Irak, en Chine et en Inde. Puis, au sixième siècle avant Jésus-Christ, Bouddha apparut en Inde et Confucius en Chine, en conséquence de quoi les sacrifices furent limités aux animaux. Les sacrifices humains ne disparurent pas totalement pour autant. À Rome, il y eut une procession humaine sanglante au cours de laquelle Rome sacrifia aux divinités le fleuron de sa jeunesse lorsque Hannibal envahit le Sud de l’Italie et ce, deux siècles et demi avant Jésus-Christ.

De même, les Juifs offraient des sacrifices au Dieu « Yahvé » pour remercier et demander pardon lors d’un festival imposant tenu au Temple sous l’égide des prêtres ; le jour du Shabbat — le jour de repos — se tenait un festival spectaculaire à cette fin. Jusqu’au temps de la scission, le Judaïsme était une religion de peur et de terreur où les sacrifices humains avaient cours. Ainsi le Roi Âkhadh [8] sacrifia-t-il son fils à Dieu, puis les prêtres modifièrent le protocole du sacrifice autorisant l’être humain à sacrifier une partie de son corps, par le biais de la circoncision car cela suffisait à satisfaire la Divinité. Enfin, par la bénédiction des prêtres, les sacrifices évoluèrent vers l’offrande d’animaux et de végétaux. La Bible recèle de nombreux récits de sacrifices, comme celui d’Abel et Caïn, ou encore celui où le Roi Jephté offrit sa fille en sacrifice d’holocauste [9]. La crucifixion du Christ est pour les Chrétiens le sacrifice par excellence et est désignée symboliquement par l’offrande d’un agneau. Les Catholiques et les Orthodoxes utilisent l’ostie, les cierges et les statues en guise d’offrande.

Dans l’Arabie anté-islamique, les bestiaux étaient sacrifiés à la Kaʿbah et immolés au nom des dieux ; les murs de la Kaʿbah étaient parfois badigeonnés du sang des sacrifices. On accrochait des guirlandes au cou des bêtes destinées au sacrifice afin de les distinguer : « Ô les croyants ! Ne profanez ni les rites de Dieu, ni le mois sacré, ni les animaux de sacrifice, ni les guirlandes » [10] Selon une opinion, le terme shaʿâ’ir, qui est le pluriel de shaʿîrah, désigne les chamelles offertes en sacrifice à la Kaʿbah, tandis que le ishʿâr désigne la pratique consistant à raser la bosse de l’animal jusqu’à ce qu’il saigne afin que l’on sache qu’il est destiné au sacrifice. Notons au passage que les païens accomplissaient les grand et petit pèlerinages et sacrifiaient des bêtes. Lorsque les musulmans voulurent s’emparer de ces bêtes au cours d’une campagne militaire, Dieu révéla le verset : « Ô les croyants ! Ne profanez ni les rites de Dieu [...] ». Dans ce verset, les guirlandes (al-qalâ’id) désignent les choses que l’on accrochait à la bosse et au cou des chameaux pour indiquer qu’ils sont offerts à Dieu — Exalté soit-Il —. Il s’agit d’une tradition abrahamique qui perdura pendant l’ère de la jâhiliyyah [11] et que l’islam avalisa [12].

Le sacrifice rituel dans l’islam

Après cette introduction historique, nous affirmons que l’islam avalisa le principe de se rapprocher de Dieu par le sacrifice des animaux et le régula d’une manière très précise. La sagesse sous-jacente à ce rite possède deux dimensions. La première est historique et consiste à commémorer le sacrifice d’Abraham de son fils Ismaël — paix sur eux —. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — le souligna dans un hadith rapporté par Ahmad, Ibn Mâjah et At-Tirmidhî, selon Zayd Ibn Arqam : « On interrogea le Prophète disant : “Ô Messager d’Allâh, que sont ces offrandes ?” Il répondit : “C’est la tradition de votre père Abraham.” On demanda : “Quelle est notre rétribution ?” Il répondit : “Pour chaque poil, vous recevez une bonne action.” On demanda : “Et (les animaux à) laine ?” Il dit : “Pour chaque fibre de laine, vous recevez une bonne action.” » La seconde dimension est sociale et consiste à offrir de la nourriture et à contribuer au bien-être des pauvres à l’occasion de la fête ; à l’origine, il s’agissait de faire profiter les habitants de la Mecque et les visiteurs venus pour accomplir les rites du pèlerinage. Le Très-Haut dit : « À chaque communauté Nous avons assigné un lieu rituel afin qu’ils invoquent le nom de Dieu sur la bête de troupeau qu’il leur a attribuée » [13] Il dit également : « Lance parmi les hommes l’appel au pèlerinage : ils viendront à toi à pied ou sur quelque bête amaigrie, affluant de tout profond défilé § pour participer aux avantages qui leur ont été accordés et pour invoquer le nom de Dieu, en des jours bien déterminés, sur Notre attribution, sous la forme d’une bête de troupeau : Mangez-en et nourrissez-en le malheureux indigent » [14]

Quant à ceux qui ne participent pas à la saison du pèlerinage, le sacrifice consiste pour eux — outre le fait de commémorer la tradition d’Abraham — à contribuer au bien-être des pauvres et à répandre la gaieté et la joie, sans oublier la rétribution divine escomptée pour cet acte.

Preuves de l’institution du sacrifice en islam

Le sacrifice est un rituel institué par l’islam, comme le démontrent les textes tirés du Coran, de la Sunnah et l’unanimité des savants à ce sujet. En ce qui concerne le Coran, le Très-Haut dit : « Nous t’avons certes, accordé l’Abondance. § Accomplis donc la prière pour ton Seigneur et sacrifie. § C’est certes celui qui te hait qui est sans postérité » [15] et ce, conformément à l’avis qui affirme que cette sourate est médinoise car les prières des deux Aïds ont été instituées après l’hégire. Cette opinion est celle d’Al-Hasan, ʿIkrimah, Mujâhid et Qatâdah. Ainsi Dieu ordonna à Son Messager de procéder au sacrifice après la prière, alors qu’avant cette injonction il sacrifiait d’abord puis priait, d’après le rapport de Anas [16]. On dit aussi que cette sourate fut révélée à Al-Hudaybiyah, lorsqu’on empêcha le Prophète — paix et bénédictions sur lui — de se rendre en pèlerinage à la Mecque. Alors, Dieu lui ordonna d’accomplir la prière et de sacrifier les chameaux qu’il avait emmenés en guise d’offrande, puis de s’en aller. Telle est l’opinion de Saʿîd Ibn Jubayr.

Enfin, si l’on adopte l’avis selon lequel cette sourate serait mecquoise, alors elle ne peut pas servir de preuve pour l’institution du sacrifice rituel, car le pèlerinage et le sacrifice rituel ne furent institués qu’après l’immigration depuis la Mecque (l’hégire). Et puis, quel rapport y a-t-il entre le fait que Dieu ait accordé Al-Kawthar (l’Abondance) — ce terme désigne l’apostolat, ou un fleuve magnifique dans le Paradis, ou encore le Bien en abondance — à son Messager et la prière et le sacrifice subséquent ? On dit que cette sourate fut révélée après que les polythéistes mecquois aient raillé le Prophète suite au décès de son fils et l’aient traité de abtar c’est-à-dire l’homme privé de descendance et de postérité. Dieu l’en consola disant qu’Il lui avait accordé un bien meilleur qu’une descendance, à savoir Al-Kawthar ; « ne sois donc pas affligé de leurs propos et voue ton culte et tes offrandes à Dieu exclusivement, et ne fais pas comme les polythéistes qui vouent leur culte et leurs offrandes aux divinités et aux idoles ». Autrement dit : « Tiens-toi ô Muhammad à ton Message et à ton obéissance exclusive à Dieu. Quiconque te traite de sans postérité c’est celui-là même qui est coupé et privé de la Miséricorde de Dieu. » Cette opinion est la plus juste à mon avis. Muhammad Ibn Kaʿb Al-Quradhî interpréta cette sourate disant : « Il est des gens qui offrent des prières pour d’autres divinités que Dieu et sacrifient à d’autres divinités que Dieu. Quant à toi, Nous t’avons accordé l’Abondance ; que ta prière et tes sacrifices ne soient voués qu’à Dieu exclusivement. » Ibn Al-ʿArabî dit : « Je suis d’avis que ce passage signifie : “Adore ton Seigneur et sacrifie pour lui car ton œuvre ne doit être vouée qu’à Celui Qui t’a accordé l’Abondance.” Il est plus censé de penser que c’est l’ensemble de l’œuvre qui vaut ce Bien Abondant que Dieu t’a accordé, ou encore ce fleuve dont la boue est faite de musc et dont les cruches sont aussi nombreuses que les étoiles du ciel. Mais penser que cela soit la rétribution de la prière de l’aïd et du sacrifice d’un bouc, d’une vache ou d’une chamelle, voilà une rétribution invraisemblable eu égard à la mesure existant entre l’œuvre et sa rétribution. [17]

On en retient que le recours à cette sourate comme preuve de l’institution du sacrifice rituel n’est pas solide.

Les preuves tirées de la Sunnah proviennent du hadith rapporté par Al-Bukhârî et Muslim, d’après Anas : « Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — sacrifia deux boucs quasiment blancs (amlahayn) et cornus. Il les sacrifia de sa propre main et prononça le Nom de Dieu et dit “Allâhu Akbar”, et mit son pied sur leur flanc. » [18] L’épithète amlah désigne la chose qui est plus blanche que noire. On dit aussi que cela désigne la chose qui est d’un blanc très pur. [...] Des preuves supplémentaires sont tirées des hadiths relatant les mérites du sacrifice et la meilleure heure pour l’accomplir.

De plus, les savants sont unanimes sur l’institution de ce rituel.

Le statut juridique du sacrifice

Ayant apporté la preuve que le sacrifice rituel est une institution islamique, et que ce n’est nullement une pratique interdite, on peut s’interroger sur le statut juridique de ce rituel : est-il obligatoire ou recommandé ? Rappelons en effet que les obligations appellent une rétribution pour celui qui les accomplit et un châtiment pour celui qui s’en abstient, tandis que les choses recommandées appellent une rétribution pour celui qui les accomplit mais n’engagent pas de châtiment pour celui qui s’en abstient.

La majorité des savants est d’avis qu’il s’agit d’une sunnah non obligatoire. Dans son commentaire de Sahîh Muslim [19], An-Nawawî dit : « Les savants divergèrent sur le caractère obligatoire du sacrifice pour le riche. La majorité dit qu’il s’agit d’une sunnah pour lui ; s’il s’en abstient sans raison, il ne commet point de péché et il n’est pas tenu de le rattraper. Telle était l’opinion d’Abû Bakr As-Siddîq, de ʿUmar Ibn Al-Khattâb, de Bilâl, de Abû Masʿûd Al-Badrî, de Saʿîd Ibn Al-Musayyib, de ʿAlqamah, d’Al-Aswad, de ʿAtâ’, de Mâlik, de Ahmad, de Abû Yûsuf, de Ishâq, de Abû Thawr, d’Al-Muzanî, d’Ibn Al-Mundhir, de Dâwûd et d’autres. Tandis que Rabîʿah, Al-Awzâʿî, Abû Hanîfah et Al-Layth dirent que c’est une obligation pour le riche, opinion partagée par certains malékites. An-Nakhaʿî dit : “(Le sacrifice) est obligatoire pour le riche sauf celui qui est en pèlerinage à Minâ.” Muhammad Ibn Al-Hasan dit : “C’est obligatoire pour les sédentaires (ceux qui ne sont pas en voyage).” L’opinion notoirement connue d’Abû Hanîfah stipule que le sacrifice est obligatoire (wâjib) pour le sédentaire qui possède la quotité (an-nisâb). Et Dieu est le plus savant. »

Ceux qui le tiennent pour une obligation s’appuient sur le verset : « Accomplis donc la prière pour ton Seigneur et sacrifie. » [20] affirmant que l’impératif signifie l’obligation. On répondit à ceux-là que le verset ne concerne pas le sacrifice rituel (al-ud-hiyah), comme nous l’avons précisé précédemment, et qu’il englobe tout culte qui ne doit être voué qu’à Dieu exclusivement.

Parmi les preuves avancées par ceux qui le tiennent pour une sunnah, il y a le hadith rapporté par Ahmad, Abû Dâwûd et At-Tirmidhî, d’après Jâbir : « J’accomplis la prière de la fête d’Al-Adhâ avec le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui —. Quand il en eut fini, il amena un bouc, le sacrifia et dit : “Bismillâh (Au Nom de Dieu) Allâhu Akbar. Ô Allâh, ceci est de ma part et de la part des membres de ma communauté qui n’ont pas sacrifié.” » ; et le hadîth narré par Ahmad et Al-Bazzâr selon une bonne chaîne de garants, d’après Abû Râfiʿ : « Lors de la fête d’Al-Adhâ, le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — achetait deux gros boucs cornus et majoritairement blancs. Après qu’il eut prié et prêché, il amenait l’un des deux boucs sur son lieu de prière et l’immolait lui-même avec un couteau, disant : “Ô Allâh, ceci est de la part de ma communauté toute entière, de la part de toute personne (de ma communauté) ayant témoigné de Ton Unicité et témoigné que j’ai transmis (le Message).” Puis, on lui apportait le second bouc qu’il immolait lui-même disant : “Ceci est de la part de Muhammad et de la famille de Muhammad.” Ensuite, il distribuait leur viande aux pauvres et en mangeait lui et sa famille. De nombreuses années passèrent sans que nous ayions vu un homme des Banû Hâshim offrir de sacrifice, car Allâh, par le geste de Son Messager, les avait exemptés — paix et bénédictions sur lui — et dispensés de cette dépense. » Une autre preuve du fait qu’il s’agit d’une sunnah et non d’une obligation réside dans le hadith rapporté par Ahmad, d’après Ibn ʿAbbâs, et attribué au Prophète : « Je fus ordonné d’accomplir les deux rakʿahs de la prière d’ad-duhâ mais pas vous, et je fus ordonné d’offrir le sacrifice mais pas vous. » Ce hadith fut également rapporté par Al-Bazzâr, Ibn ʿAdiyy et Al-Hâkim d’après Ibn ʿAbbâs avec cet énoncé : « Trois choses sont obligatoires pour moi et facultatives pour vous : le sacrifice, (la prière) d’al-watr et les deux rakʿahs d’ad-duhâ. » Cependant, ce hadith est jugé faible.

La majorité répondit au hadith avancé par les tenants de l’obligation, à savoir le hadîth rapporté par Ahmad et Ibn Mâjah, selon Abû Hurayrah, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Quiconque est aisé et n’offre pas de sacrifice, qu’il n’approche pas notre lieu de prière. », que ce hadith n’exprime pas explicitement l’obligation — comme cela est précisé dans le Fath —, au même titre que les hadiths que nous citerons plus bas et qui indiquent le temps imparti pour le sacrifice et que toute personne ayant sacrifié avant cet intervalle de temps n’a plus qu’à recommencer.

Qui offre le sacrifice ?

Le sacrifice rituel est une sunnah confirmée soumise à la suffisance familiale lorsque plusieurs personnes habitent le même foyer c’est-à-dire que, si l’un d’entre eux offre le sacrifice, cela exempte les autres. Lorsqu’une personne habite seule, le sacrifice devient une sunnah d’ordre individuel (sunnat ʿayn). Il faut néanmoins que l’offrande soit excédentaire par rapport aux besoins de l’individu pendant le jour et la nuit en cours, et à ses besoins vestimentaires pour la saison en cours, à l’instar de l’aumône volontaire. Il faut également qu’elle soit excédentaire par rapport à ses besoins pendant le jour de l’aïd et les trois jours du Tashrîq car ces jours correspondent au temps imparti pour le sacrifice, tout comme le jour et la nuit de l’aïd correspondent au temps imparti pour l’aumône de la rupture du jeûne. Cependant, le sacrifice rituel est meilleur que l’aumône volontaire eu égard à la divergence qui existe sur son statut d’obligation. Ash-Shâfiʿî dit : « Je n’autorise pas celui qui en a les moyens d’y déroger. » Ainsi est-il détestable pour le riche d’y déroger, comme nous le détaillerons plus avant.

Par ailleurs, le sacrifice peut devenir obligatoire lorsqu’il correspond à un vœu (nadhr) en vertu du hadith selon lequel : « Quiconque fait vœu d’obéir à Dieu qu’il Lui obéisse. » [21] et en vertu de la Parole du Très-Haut : « qu’ils s’acquittent de leurs vœux » [22]. Même si celui qui prend l’engagement vient à mourir, il est possible de le remplacer dans l’exécution du vœu qu’il a formulé avant son décès. Selon Mâlik, si l’on achète une bête avec l’intention de l’offrir en sacrifice, cela devient une obligation.

Le mérite du sacrifice

De nombreux hadiths consacrent le mérite du sacrifice. Par exemple, At-Tirmidhî rapporta selon ʿÂ’ishah que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Il n’y a pas une œuvre plus agréable auprès de Dieu que l’homme puisse accomplir le jour du sacrifice que de faire couler le sang. La bête sacrifiée est amenée le jour de la résurrection avec ses cornes, ses poils et ses sabots ; son sang atteint une place élevée auprès de Dieu avant même qu’il ne touche le sol. Réjouissez-vous en ! » On peut également rappeler le hadith précité rapporté par Zayd Ibn Arqam concernant la sagesse liée au sacrifice. On peut aussi citer le hadith rapporté par Ahmad et Ibn Mâjah selon lequel « Quiconque est aisé et n’offre pas de sacrifice, qu’il n’approche pas notre lieu de prière. » Le Hâfidh dit dans Bulûgh Al-Marâm : « Les autres Imâms penchent pour le waqf du hadith » , c’est-à-dire qu’il n’est pas attribué au Prophète — paix et bénédictions sur lui — . Il dit dans le Fath : « Ses narrateurs sont fiables mais on divergea sur son attribution ou non (au Prophète). Son waqf (attribution au narrateur) est vraisemblablement l’opinion correcte. »

Il y a également le hadith attribué au Prophète, rapporté par Ad-Dâraqutnî selon Ibn ʿAbbâs : « L’argent n’est dépensé dans rien qui soit meilleur qu’une bête de sacrifice en un jour d’aïd. » Quant au hadith rapporté par Al-Hâkim, selon lequel le Prophète — paix et bénédictions sur lui — aurait dit à Fâtimah — que Dieu l’agrée — : « Lève-toi pour assister à ton sacrifice car avec la première goutte de son sang tes péchés antérieurs seront pardonnés », ce hadith est rejeté (munkar), tout comme le hadith rapporté par At-Tabarânî : « Quiconque sacrifie de bon gré espérant la rétribution divine par son offrande, celle-ci sera pour lui une protection contre le Feu » car sa chaîne de narrateurs comporte un menteur.

Quand sacrifier ?

Le temps légal du sacrifice fait l’objet de plusieurs textes dont celui rapporté par Al-Bukhârî et Muslim, d’après Jundub : « Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — accomplit la prière le jour du sacrifice puis immola et dit : “Quiconque immole avant de prier, qu’il immole une autre bête en remplacement. Que celui qui n’a pas immolé immole au nom d’Allâh.” » et le hadith qu’ils rapportèrent, d’après Al-Barâ’ Ibn ʿÂzib dont l’oncle Abû Baradah avait sacrifié avant la prière, geste que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — commenta disant : « Quiconque immole avant la prière, il aura immolé pour lui-même et quiconque immole après la prière aura accompli le rituel et respecté la tradition des musulmans. » Dans une autre narration rapportée par Muslim selon Al-Barâ’ Ibn ʿÂzib : « En ce jour-ci, nous commençons par prier, puis nous nous en retournons et sacrifions. Quiconque procède de cette manière aura respecté notre tradition. Quiconque immole en premier aura offert de la viande à sa famille sans aucun rapport avec le rituel. »

Dans son commentaire de Sahîh Muslim [23], An-Nawawî dit : « En ce qui concerne l’heure du sacrifice, il convient que l’on sacrifie après la prière avec l’imam, auquel cas le rite est dûment accompli, à l’unanimité. Ibn Al-Mundhir dit : “Les savants sont unanimes que le sacrifice n’est pas permis avant l’aube du jour du sacrifice.” À partir de cette heure, une divergence les sépare. Ash-Shâfiʿî, Dâwûd, Ibn Al-Mundhir et d’autres disent : “Son heure arrive après le lever du soleil avec une marge suffisante pour accomplir la prière de l’aïd et deux sermons. Si (l’individu) sacrifie après avoir attendu ce laps de temps, le rite est dûment accompli, que l’imam ait prié ou non, que l’individu ait accompli la prière d’Ad-Duhâ ou pas, fût-il un résident des villes, des campagnes, des déserts ou un voyageur, et indépendamment du fait que l’imam ait sacrifié ou non.” ʿAtâ’ et Abû Hanîfah estiment pour leur part que : “Pour les habitants de la campagne et des déserts, l’heure du sacrifice correspond à la seconde aube — dite véridique —, tandis que les habitants des villes doivent attendre que l’imam ait prié et prêché. Si l’individu sacrifie avant cela, il n’en est pas quitte.” Mâlik dit : “Le sacrifice n’est pas permis avant que l’imam ait prié, prêché et sacrifié.” Ahmad dit : “Il n’est point permis de sacrifier avant la prière de l’imam ; cela est permis après la prière de l’imam et (le cas échéant) avant que ce dernier ait lui-même sacrifié” et ce, sans distinction entre les habitants des villes et des campagnes. Un avis similaire fut rapporté de la part d’Al-Hasan, d’Al-Awzâʿî et de Ishâq Ibn Râhweih. Ath-Thawrî dit : “Cela n’est pas permis après la prière de l’imam, avant ou pendant le prêche.” Rabîʿah dit concernant l’individu qui n’a pas d’imam : “S’il sacrifie avant le lever du soleil, il n’en est pas quitte ; après le lever, il en est quitte.” » De ce qui précède, on retient que ceux qui immolent le jour de ʿArafah ou la veille de l’aïd au soir n’accomplissent pas le sacrifice rituel de l’aïd.

La fin du temps imparti pour le sacrifice est large. Ash-Shâfiʿî dit : « Il est permis de sacrifier le jour du sacrifice et pendant les trois jours du Tashrîq qui le suivent. » Cet avis est celui de ʿAlî Ibn Abî Tâlib, Jubayr Ibn Mutʿim, Ibn ʿAbbâs, ʿAtâ’, Al-Hasan Al-Basrî, ʿUmar Ibn ʿAbd Al-ʿAzîz, Sulaymân Ibn Mûsâ Al-Asadî le savant de la Syrie, Makhûl, Dâwûd At-Tâhirî et d’autres. Abû Hanîfah et Ahmad dirent : « Le sacrifice se limite au jour du sacrifice et aux deux jours suivants. » On rapporta cette opinion de la part de ʿUmar Ibn Al-Khattâb, ʿAlî, Ibn ʿUmar et Anas — que Dieu les agrée —. Saʿîd Ibn Jubayr dit : « Le sacrifice est permis pour les habitants de la ville le jour du sacrifice spécifiquement et pour les habitants des campagnes le jour du sacrifice et les jours du Tashrîq. » Muhammad Ibn Sîrîn dit : « Cela n’est permis pour personne sauf le jour du sacrifice. » Par ailleurs, Al-Qâdî rapporta de la part de certains savants que le sacrifice est permis pendant tout le mois de Dhû Al-Hijjah. Cependant, les savants divergèrent sur le moment idéal pour le sacrifice pendant cet intervalle de temps. Ash-Shâfiʿî dit : « Le sacrifice est permis pendant la nuit, tout en étant détestable. » Cette opinion fut partagée par Abû Hanîfah, Ahmad, Ishâq, Abû Thawr et la majorité des juristes. L’avis notoire de Mâlik et de ses compagnons et une variante selon Ahmad stipule que : « L’immolation nocturne n’acquitte pas son auteur du sacrifice rituel ; la viande de la bête immolée n’est qu’une viande comme les autres. »

De ce qui précède, on retient que le début de la période impartie pour le sacrifice est déterminé par des hadiths bien établis, avec une part de divergence sur l’interprétation de certains d’entre eux. En revanche, la détermination de la fin de cette période est purement basée sur l’ijtihâd, bien qu’il soit censé que cette période couvre le jour de l’aïd et se poursuit pendant les trois jours du Tashrîq car ce sont les jours où les gens mangent, boivent et fêtent l’aïd, à l’instar de ceux qui passent la nuit à Minâ et immolent les bêtes de sacrifice. Quant au hadith attribué au Prophète, selon Jubayr Ibn Mutʿim stipulant que : « Tous les jours du Tashrîq sont (des jours de) sacrifice », ce hadith rapporté par Ahmad et Ad-Dâraqutnî est faible, voire controuvé d’après certains. De même, les opinions concernant le sacrifice de jour ou de nuit ne s’appuient sur aucune preuve fiable ; le récit rapporté par At-Tabarânî interdisant le sacrifice pendant la nuit présente un narrateur délaissé dans sa chaîne de garants, ou bien il est mursal [24].

Enfin, nous avons mentionné précédemment la divergence qui existe quant au statut juridique du sacrifice entre obligation et recommandation, et ce, pour les gens qui ont la capacité financière de s’en acquitter. On rapporta dans l’encyclopédie intitulée Le fiqh selon les quatre écoles (Al-Fiqh ʿAlâ Al-Madhâhib Al-Arbaʿah) que :

— Les Hanafites estiment que la personne capable financièrement est celle qui possède 200 dirhams ou possède un bien d’une valeur équivalente à cette somme sous réserve qu’elle ait de quoi subvenir à ses besoins en logement, en vêtement et en entretien. L’individu est tenu d’offrir un sacrifice s’il possède un bien immobilier qui lui rapporte un revenu suffisant pour ses besoins pendant un an et à condition qu’il ait en sa possession la quotité susmentionnée. On dit aussi qu’il est tenu de sacrifier si le bien lui rapporte la somme nécessaire pour subvenir à ses besoins pendant un mois. Si le bien en question est un bien de mainmorte, il doit offrir un sacrifice si le bien lui rapporte la valeur de la quotité au moment du sacrifice.

— Pour les Hanbalites, la personne capable est celle qui peut payer le prix de la bête à sacrifier, quitte à emprunter l’argent si elle est sure de pouvoir rembourser.

— Pour les Malékites, la personne capable est celle qui n’a pas besoin du prix de la bête pour un besoin important pendant l’année en cours. En présence d’un tel besoin, il n’est pas sunnah d’offrir un sacrifice, et s’il peut emprunter qu’il le fasse ; mais certains s’opposèrent à l’emprunt.

— Pour les Shaféites, la personne capable est celle qui possède le prix de la bête en plus de l’argent nécessaire pour subvenir à ses besoins et aux besoins des personnes à sa charge pendant le jour de l’aïd et les jours du Tashrîq. Rentrent dans l’évaluation des besoins les choses coutumières comme les gâteaux, les tartes etc. [25]

Quoi sacrifier ?

Les animaux elligibles au sacrifice sont les chamélidés, les bovins, les ovins et les caprins. Dans son commentaire de Sahîh Muslim [26], An-Nawawî dit : Les savants sont unanimement d’accord sur le fait que le sacrifice ne peut être accompli que moyennant un chameau, un bovin, un ovin ou un caprin, exception faite de l’avis rapporté par Ibn Al-Mundhir selon Al-Hasan Sâlih, selon qui il serait valide de sacrifier une vache sauvage de la part de sept personnes, ou une gazelle de la part d’une personne. Dâwûd adopta un avis similaire concernant les vaches sauvages. En dehors de cela, aucun autre animal ne peut servir de sacrifice. On ne peut pas non plus acheter de la viande et la donner en guise de sacrifice, ni utiliser à cette fin des animaux congelés ou de la viande en conserve, leur immolation étant intervenue avant l’échéance du sacrifice et parce que ces animaux n’appartiennent pas au moment de l’immolation à l’acheteur qui les offrirait en sacrifice. Fait également exception l’avis rapporté de la part de Bilâl qui dit : "Peu m’importe de ne sacrifier qu’un coq, et si je le donnais à un orphelin démuni, cela me serait plus agréable." Ces avis reflètent l’avis de certains qui préféraient que l’on fasse don du prix de la bête sacrifiée plutôt que de l’immoler. Telle fut l’opinion d’Ash-Shaʿbî, de Mâlik et de Abû Thawr. [27] L’opinion la plus juste est celle qui considère que l’accomplissement du sacrifice est plus méritoire que le versement de sa valeur en aumône, car il s’agit d’une sunnah confirmée dont le mérite est mentionné dans les textes.

De même, les récits rapportant que certains Compagnons ou pieux prédécesseurs (salaf) achetaient de la viande et l’offraient en sacrifice ne signifie pas que la viande suffit à récolter la rétribution liée au sacrifice ni qu’elle puisse le remplacer au titre de l’obligation. Cette pratique visait simplement à faire savoir que le sacrifice n’est pas une obligation ferme, mais qu’il s’agit plutôt d’une sunnah facultative. ʿIkrimah dit : « Le jour d’Al-Adhâ, Ibn ʿAbbâs m’envoyait avec deux dirhams quérir de la viande et me donnait pour consigne : "Quiconque te croise dis lui : "Voici le sacrifice d’Ibn ʿAbbâs." " » D’après Tafsîr Al-Qurtubî [28], les récits rapportés à cet effet selon Ibn ʿAbbâs, Abû Bakr et ʿUmar indiquent la pratique intermittente du sacrifice, pour éviter que le commun des gens le prennent pour une obligation prescrite. Ces Compagnons étaient des guides à suivre par tout musulman soucieux de respecter sa religion parmi les générations suivantes, car ils constituent le maillon reliant le Prophète — paix et bénédictions sur lui — à sa oummah. Par conséquent, il leur était permis de leur temps de prendre des initiatives en matière d’ijtihâd, comme il ne serait point permis à quiconque aujourd’hui.

Ceci dit, quels sont les critères d’âge, de forme et de quantité que l’on doit veiller à respecter lors du sacrifice des chameaux, des bovins, des ovins ou des caprins ? Plusieurs hadiths furent relatés concernant l’âge et les caractéristiques affectant l’acceptabilité de la bête de sacrifice, comme le hadith rapporté par Muslim et d’autres stipulant : « Ne sacrifiez qu’une bête âgée de deux ans et plus (musinnah), sauf si vous n’avez pas les moyens, auquel cas sacrifiez un mouton âgé d’un an (jadhʿ) » ou le hadith de Muslim stipulant que la chèvre âgée d’un an n’est pas un sacrifice valable. Il y a aussi le hadîth rapporté par Ahmad et par les auteurs des Sunan interdisant le sacrifice des bêtes ayant perdu une moitié de corne ou d’oreille, ou celles manifestement borgnes ou clairement malades, ou les bêtes boiteuses ou chétives, ou celles ayant l’oreille coupée en grande partie par devant, sur le côté, ou fendue dans le sens de la longueur ou percée, ainsi que le hadith rapporté par Ahmad et Abû Dâwûd interdisant le sacrifice de la bête amputée totalement de l’oreille (musfarrah), ou de la corne (musta’salah), ou la bête aveugle (bakhqâ’) ou poussive (mushayyaʿah).

Concernant le sens de ces termes, on dit qu’une bête est dite musinnah s’agissant des chameaux, des bovins, des ovins et des caprins, lorsqu’elle a deux ans passés ou plus. Un mouton est dit jadhʿ lorsqu’il a un an passé. Telle est la signification retenue pour ces termes par les linguistes et la majorité des savants appartenant à d’autres disciplines. On dit aussi que jadhʿ désigne aussi l’animal ayant six, sept, huit ou dix mois. Une chèvre de cet âge ne constitue pas un sacrifice valable selon la majorité des savants, contrairement à l’avis de ʿAtâ, Al-Awzâʿî et à une variante chez les Shâféites d’après le rapport d’Ar-Râfiʿî. An-Nawawî commenta que cette variante est marginale voire erronée. Par ailleurs, l’expression aʿdab al-qarn ou aʿdab al-udhun désigne l’animal ayant perdu la moitié de sa corne ou la moitié de son oreille respectivement. Abû Hanîfah, Ash-Shâfiʿî et la majorité des savants estimèrent qu’il est permis absolument de sacrifier les bêtes ayant la corne cassée. Mâlik jugea cela détestable si la bête saigne de la corne et tint cela pour un défaut. Enfin, Ahmad rapporta un hadith autorisant le sacrifice des animaux castrés. [...]

À lire les opinions des juristes, il me semble que ces défauts affectent la qualité de la viande, si la bête destinée au sacrifice est désignée longtemps à l’avance. Car ces défauts l’empêchent de paître et de croître comme les animaux qui en sont exempts. L’irrecevabilité d’une bête ayant ce genre de défaut se manifeste lorsqu’elle est vouée (mandhûrah) car elle doit avoir une bonne chair. Mais lorsqu’un défaut de dernière minute affecte une bête destinée au sacrifice ayant une bonne chair et une bonne forme, pourquoi cesserait-elle d’être recevable ? C’est pourquoi je relève d’étranges contradictions dans les opinions des juristes concernant ces défauts, car quel mal y a-t-il à accepter la bête ayant l’oreille coupée ou fendue, alors que cela est sans aucun effet sur la viande, quand bien même la bête ferait l’objet d’un vœu et qu’elle reste longtemps avant d’être sacrifiée ? Que penser du refus des Malékites de sacrifier la bête muette ? Quel rapport y a-t-il entre sa voix et la qualité de la viande ? Que penser du refus des Shâféites de la bête devenue boiteuse pendant qu’elle est immolée, même si ses veines et œsophage ont été tranchés correctement ?

Une brebis ou une chèvre est un sacrifice suffisant pour une seule personne ou pour la famille dont elle a la charge, tandis qu’une vache ou un chameau suffit pour sept personnes. Les Hanafites exigent que le mouton soit âgé d’un an au minimum, ou qu’il ait six mois mais soit bien en chair. Les chèvres doivent avoir un an révolu et avoir entamé la deuxième année, au minimum. Les bovins et les buffles doivent avoir deux ans révolus et avoir entamé la troisième année. Ils exigent aussi que les chameaux aient cinq années révolues et qu’ils aient entamé leur sixième année. Les Shâféites quant à eux exigent que les chèvres soient âgées de deux années révolues, au minimum.

Autres directives relatives au sacrifice

Si le sacrifice correspond à un vœu (nadhr), il n’est pas licite pour son propriétaire d’en manger quoi que ce soit ; il doit en faire don entièrement, selon les Hanafites et les Shâféites. Tandis que pour les Hanbalites, il est au contraire sunnah d’en manger : on en mange un tiers, on fait cadeau d’un tiers et on fait aumône d’un tiers. Quant au sacrifice non lié à un vœu, il n’est pas obligatoire d’en donner une part en aumône, mais cela est sunnah seulement.

Abû Saʿîd rapporta que Qatâdah Ibn An-Nuʿmân l’informa que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — se leva (un jour) et dit : « Je vous avais interdit de manger la viande du sacrifice au-delà de trois jours. Je vous y autorise désormais ; mangez-en comme bon vous semble. Mais ne vendez pas les viandes de sacrifice (hady et udhiyah inclus). Mangez-en, donnez-en en aumône, profitez de leurs peaux mais ne les vendez pas. Et si l’on vous en propose quelque chose, mangez-en comme il vous plaît. » [29] Le Messager avait interdit à ses Compagnons de faire des réserves de viande, et leur avait dicté d’en donner une part aux nécessiteux qui se rendaient exprès à Médine pendant l’aïd pour recevoir cette obole. Puis, il leur permit d’en manger et d’en mettre de côté pour leurs enfants. De nombreux hadiths, dont l’authenticité est unanimement reconnue, nous sont parvenus à ce sujet [30]. Mais il n’est pas permis de vendre la bête sacrifiée, ni même sa peau.

Il existe d’autres directives concernant la manière d’accomplir le sacrifice citées par An-Nawawî [31] dont : Il est recommandé que l’on procède soi-même au sacrifice et que cela ne soit délégué que pour une excuse valable, auquel cas il est recommandé d’assister au sacrifice. En cas de délégation, le délégué choisi peut être musulman selon l’avis unanime des savants, ou un scripturaire mais cela est détestable (makrûh tanzîhan) et le sacrifice est valide et son auteur en est quitte. Telle est notre opinion (madhhab) et l’opinion de tous les savants, excepté Mâlik dans l’un des deux avis qui lui sont attribués où il n’autorise pas cela. Il est aussi possible de déléguer à un garçon ou à une femme ayant ses menstrues, mais il est détestable de déléguer à un garçon. Quant au fait qu’il soit détestable de déléguer à une femme ayant ses menstrues, il existe deux avis. Nos compagnons (i.e. les Shâféites) estiment qu’une femme ayant ses menstrues est préférable à un garçon, tandis qu’un garçon est préférable à un scripturaire. Nos compagnons disent qu’il est préférable que celui qui délègue le sacrifice assigne cette tâche à une personne connaissant la jurisprudence relative au sacrifice rituel, de manière à ce qu’il soit au fait de ses exigences et de ses sunan.

Poèmes à propos du mouton de l’aïd

Parmi les divertissements littéraires concernant le mouton de l’aïd, on peut citer ces quelques vers de Muhammad Ibn Nasr Allâh Ad-Dimashqî Al-Ansârî :

À moi est venu un mouton qui *** manifestement était malheureux en amour
Lorsqu’il se levait sous le soleil de midi *** il était tel un spectre, sans ombre projeter
Je lui ai demandé ce qu’il souhaitait, il a dit : de la trigonelle *** Je l’ai adjuré de me dire ce qu’il lui plairait, il a dit : en manger.
Je lui en ai donc apporté un bouquet tout vert *** ses feuilles étaient pleines de fraîcheur
Il n’a alors cessé de la regarder d’un œil attendri *** et de lui déclamer un poème, les yeux emplis de larmes
« Elle est venue tandis que les bassins de la mort nous séparait *** Elle a consenti de se rapprocher, alors que la proximité ne sert plus »

On peut aussi citer les vers du défunt Sheikh Muhammad Al-Asmar concernant le mouton de l’aïd :

Si tu as chez toi un mouton à deux cornes *** envoie-le nous afin que nous voyions la lumière de son front
Afin qu’il réponde ou bêle en chœur *** car dans la maison de mes voisins il y a son frère
Et afin que les créditeurs se rassurent et qu’ils sachent *** que je suis de ceux qui règlent leurs dettes
Puis nous te le rendrons sain et sauf *** avec sa toison soyeuse et l’ivoire de ses cornes
Je serai son gardien tant qu’il sera chez moi *** contre tout boucher et contre tout couteau

Notes terminologiques

Il y a des termes qui reviennent sur le thème du sacrifice qu’il est important de distinguer :

  1. Al-Hady désigne les sacrifices de caprins, ovins, bovins ou chameaux offerts à Allâh pendant le pèlerinage. Tantôt cela est obligatoire, lorsqu’il s’agit d’un vœu ou d’une compensation pour une obligation manquée ou un interdit commis comme dans Sa Parole — Exalté soit-Il — « quiconque a joui d’une vie normale après avoir accompli la ʿUmrah en attendant le pèlerinage, doit faire un sacrifice qui lui soit facile » [32], et tantôt cela est recommandé lorsque cela est fait de manière volontaire, sans rapport avec une compensation.
  2. Al-Fidyah désigne tout ce que l’on fait en guise de rachat, pour avoir manqué à une obligation ou commis un interdit, que ce soit sous forme de sacrifice, d’aumône, de jeûne, ou autre chose. Le Très-Haut dit : « Si l’un d’entre vous est malade ou souffre d’une affection de la tête (et doit se raser), qu’il se rachète alors par un jeûne ou par une aumône ou par un sacrifice ». [33] De même, Il dit à propos de ceux qui éprouvent des difficultés à jeûner : « Mais ceux qui ne pourraient le supporter (qu’avec grande difficulté) qu’ils se rachètent en nourrissant un pauvre » [34]
  3. Al-Udhiyah désigne ce que l’on sacrifie dans le but de se rapprocher de Dieu à l’occasion de l’aïd Al-Adhâ.

P.-S.

Traduit de l’arabe de l’encyclopédie de fatwas d’Al-Azhar.

Notes

[1Qays et Tamîm sont deux tribus arabes anciennes. NdT.

[2Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 27.

[3Sourate 3, Âl ʿImrân, La famille d’Amram, verset 183.

[4D’après la tradition, les enfants d’Adam et d’Ève naissaient deux par deux, un garçon et une fille dans chaque grossesse. NdT.

[5Tafsîr Al-Qurtubî, volume 6, pages 133—134.

[6Tafsîr Al-Qurtubî, volume 4, page 296.

[7Sourate 37, As-Sâffât, Les rangées, versets 102 à 107.

[8Il pourrait s’agir du nom arabe du roi Achazia. NdT.

[9Le Livre des Juges, 20—40.

[10Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 2.

[11al-jâhiliyyah, littéralement l’ère de lignorance, désigne la période précédant l’avènement de l’islam. NdT.

[12Tafsîr Al-Qurtubî, volume 6, page 40.

[13Sourate 22, Al-Hajj, Le pèlerinage, verset 34.

[14Sourate 22, Al-Hajj, Le pèlerinage, versets 27 et 28.

[15Sourate 108, Al-Kawthar, L’abondance, versets 1 à 3. NdT.

[16Tafsîr Al-Qurtubî, volume 20, page 218.

[17Tafsîr Al-Qurtubî.

[18Conférer le hadith dans Sahîh Muslim avec le commentaire d’An-Nawawî. NdT.

[19Sharh Sahîh Muslim, volume 13, page 110.

[20Sourate 108, Al-Kawthar, L’abondance, verset 2. NdT.

[21Rapporté par Al-Bukhârî et Muslim.

[22Sourate 22, Al-Hajj, Le pèlerinage, verset 29.

[23Sharh Sahîh Muslim, volume 13, page 110.

[24Le hadith dit mursal présente un ou plusieurs maillons absents au début de sa chaîne de narrateurs. NdT.

[25Al-Fiqh ʿAlâ Al-Madhâhib Al-Arbaʿah, page 208.

[26Sharh Sahîh Muslim, volume 13, page 117.

[27Tafsîr Al-Qurtubî, volume 15, page 107.

[28Tafsîr Al-Qurtubî, volume 15, page 108.

[29Rapporté par Ahmad.

[30Nayl Al-Awtâr, volume 5, page 134.

[31Sharh Sahîh Muslim, volume 13, page 120.

[32Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 196.

[33Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 196.

[34Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 184.

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