jeudi 7 février 2008
L’Imâm Adh-Dhahabî dit dans Tadhkirat Al-Huffâdh au sujet d’Ibn Al-Mubârak : “Par Dieu, je l’aime, et j’espère du bien par son amour, au vue de la piété, la dévotion, la sincérité, l’effort sacré, l’étendue du savoir, le perfectionnement, la compassion, la générosité de l’âme, et les nobles attributs que Dieu lui accorda”.
Le deuxième siècle hégirien connut une élite de dévots et de savants qui vécurent pour Dieu. Ils furent des modèles de droiture, de générosité, de scrupule et de raffinement. Des hommes et des femmes qui furent sevrés par la Sunnah du Prophète, le modèle humain parfait dans toute sa splendeur. Parmi ceux-là, trois hommes se distinguèrent par leurs mérites et l’amitié qui les lia : ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak, Sufyân Ath-Thawrî et Al-Fudayl Ibn ʿIyâd. Trois hommes de haut calibre.
L’Imâm Ath-Thawrî fut un expert du Hadîth, si bien qu’on le qualifia de l’Émir des Croyants en Science du Hadîth, un titre qui distingue les sommités de cet art. Il fut par ailleurs un modèle de bravoure, de sincérité, d’altruisme et ne cessa de prêcher la vérité si bien que le gouverneur de son époque, Abû Jaʿfar Al-Mansûr, ordonna sa crucifixion. Mais Abû Jaʿfar décéda, et l’Imâm Ath-Thawrî survécut à cette épreuve par la grâce divine et des éléments de sa vie bénie furent consignés et transmis au sein de la communauté musulmane. On demanda à l’Imâm Ibn Al-Mubârak : Quels sont les Imâms de notre temps ? Il dit : Sufyân et les siens.
L’Imâm Al-Fudayl Ibn ʿIyâd fut un savant distingué, un homme connu pour son scrupule, et un narrateur du Hadith de confiance de qui les Imâms Al-Bukhârî et Muslim rapportent certaines traditions prophétiques. Ibn Al-Mubârak disait à son sujet : “Je réunis le savoir des savants. De ce que je réunis, nulle science n’est plus chère à mon cœur que le savoir d’Al-Fudayl Ibn ʿIyâd”.
L’Imâm Abû ʿAbd Ar-Rahmân ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak Al-Marûzî naquit en 118 A.H. (736 E.C.) d’une mère de Khawârizm et d’un père Turc. Il vécut à Marw, une ville du Khorâsân, jusqu’à l’âge de vingt-trois ans. Il y apprit le Noble Coran et se forma aux sciences de la langue arabe, la jurisprudence islamique et la science du Hadith. Il acquit ainsi des bases solides en sciences religieuses et se distingua dans sa jeunesse par une excellente mémoire. On raconte à ce titre que son père le menaça de brûler ses livres, mais Ibn Al-Mubârak lui dit avec quiétude que ses livres reposaient désormais dans sa poitrine.
Ibn Al-Mubârak préserva son esprit et sa mémoire des futilités et orienta son énergie vers le savoir utile et le cheminement vers Dieu. Une personne de son entourage lui dit un jour : “T’es-tu appliqué dans l’apprentissage du Hadith ?”. Ibn Al-Mubârak répliqua : “Je lis. Ce que j’aime s’inscrit dans mon cœur et y reste gravé”. Muhammad Ibn An-Nadir Ibn Miswâr dit : “Mon père demanda à Ibn Al-Mubârak : T’efforces-tu à apprendre le Hadith ?” L’humeur d’Ibn Al-Mubârak changea et il dit : “Je ne me suis point efforcé à apprendre le Hadith. Sauf que je saisis les écrits et je les scrute. Ce que j’aime reste accroché à mon cœur”.
L’intelligence et la droiture d’Ibn Al-Mubârak lui valurent d’être célèbre dans sa jeunesse même. Ahmad Ibn Sinân relate qu’Ibn Al-Mubârak rencontra Hammâd Ibn Zayd dans ses débuts. Hammâd Ibn Zayd apprécia sa maîtrise de la grammaire arabe et lui dit : “D’où viens-tu ?” Il lui dit : “Du Khorâsân”. “De quelle ville du Khorâsân ?” poursuivit Hammâd. “De Marw”, répondit Ibn Al-Mubârak. Et Hammâd de continuer : “Connais-tu un homme du nom de ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak ?” Ibn Al-Mubârak lui dit : “Il s’agit de ton interlocuteur”. Hammâd le salua, l’honora et ils furent liés d’une solide amitié. Un jour, Ibn Al-Mubârak vint rendre visite à Hammâd Ibn Zayd qu’il trouva entouré de ses disciples. Ces derniers souhaitèrent écouter les narrations du Hadith par Ibn Al-Mubârak et demandèrent à Hammâd d’exprimer leur requête. Ibn Al-Mubârak lui dit : “Comment puis-je narrer le Hadith alors que tu es parmi nous ?!” Mais Ibn Al-Mubârak s’inclina devant l’insistance de Hammâd, et non sans une note d’humour, il se mit à narrer des hadiths prophétiques qu’il tient de Hammâd Ibn Zayd !
Sa quête du savoir l’emmena à Bagdad, puis il séjourna dans d’autres villes irakiennes et se rendit au Hijaz. Lorsqu’il arrivait à la Mecque Honorée, il se dirigeait vers la Mosquée Sacrée et allait s’abreuver de l’eau de Zamzam en disant : “O Dieu, Ibn Abî Al-Mawâl nous rapporta selon Muhammad Ibn Al-Munkadir selon Jâbir que le Prophète dit : L’eau de Zamzam est pour la finalité pour laquelle elle est bue, et moi je la bois contre la soif du Jour de la Résurrection”.
Au cours de ses voyages, il rencontra des savants vertueux et fut épris, en particulier, d’Al-Fudayl Ibn ʿIyâd, Sufyân Ath-Thawrî, Mâlik et Abû Hanîfah, puisse Dieu les agréer.
L’auteur de Wafiyyât Al-Aʿyân dit d’Ibn Al-Mubârak : “Il allia le savoir et l’ascétisme et se forma en jurisprudence auprès de Sufyân Ath-Thawrî et Mâlik Ibn Anas, puisse Dieu les agréer tous deux, et il rapporta le Muwatta’. Il se livrait souvent à la solitude et aimait la retraite. Il fut d’un grand scrupule, et ainsi fut son père”.
Ibn Al-Mubârak fut un savant qui apporta sa contribution à diverses sciences islamiques majeures. Selon Adh-Dhahabî, il consigna son savoir en matière de jurisprudence, récits des batailles islamiques, ascétisme et spiritualité. Les historiens et biographes mentionnent aussi qu’il composa une exégèse coranique, un ouvrage d’histoire, un livre de fatwas, et un livre où il réunit les sunnan en matière de jurisprudence.
Selon lbn Saʿd : “Il étudia, rapporta les narrations avec profusion, et composa de nombreux ouvrages dans les différentes branches du savoir qui furent transmis par un groupe de disciples et les gens les copièrent ainsi. Il visita l’Iraq, le Hijaz, le Shâm, l’Égypte et le Yémen, et recueillit un savoir abondant”.
Quant à son rapport à l’Imâm Abû Hanîfah, l’auteur d’An-Nujûm Az-Zâhirah dit : “Il voyagea beaucoup en quête de science et il rapporta les narrations selon de nombreuses personnes. Aussi, nombreux sont ceux qui rapportèrent le Hadith par son biais. Il se forma en jurisprudence auprès d’Abû Hanîfah”.
Muhammad Ibn Al-Muʿtamir Ibn Sulaymân raconte : “Je dis à mon père : Qui est le juriste des Arabes. Il répondit : Sufyân Ath-Thawrî. Lorsque Sufyân décéda, je reposai ma question et il me répliqua : ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak”.
Ibrâhîm Ibn Shammâs témoigna du rang d’Ibn Al-Mubârak en matière de jurisprudence en ces termes : “Je vis l’homme le plus doué en matière de jurisprudence, l’homme le plus scrupuleux, et l’homme doué de la meilleure mémorisation. Quant au plus doué en matière de jurisprudence, il s’agit d’Ibn Al-Mubârak. L’homme le plus scrupuleux c’est Al-Fudayl Ibn ʿIyâd. Quant à l’homme ayant la meilleure mémorisation, il s’agit de Wakîʿ Ibn Al-Jarrâh”.
Notre homme aimait la retraite solitaire et inspira de nombreuses générations de soufis. Il profitait de ces moments pour méditer et pour se pencher sur le savoir des pieux prédécesseurs.
Abû Dawûd demanda un jour à Ibn Al-Mubârak : “Qui côtoies-tu au Khorâsân”. Il répondit : “Je m’assieds avec Shuʿbah et Sufyân.” Abû Dawûd d’expliquer que cela signifie qu’il consultait leurs ouvrages et restait en compagnie de leur science.
Shaqîq Ibn Ibrâhîm Al-Balkhî relate qu’on dit à Ibn Al-Mubârak : “Quand tu accomplis la prière avec nous, pourquoi ne restes-tu pas en notre compagnie ? Ibn Al-Mubârak répliqua : Je m’en vais voir les compagnons et leurs successeurs. On lui dit : Mais quels compagnons et successeurs ? Il répondit : Je m’en vais et je médite mon savoir. Je réalise ainsi leurs legs et leurs œuvres. Qu’ai-je à faire avec vous ?! Vous passez votre temps dans la médisance”.
Al-Muʿtamir Ibn Sulaymân dit : “Je ne vis personne comme Ibn Al-Mubârak. On trouve auprès de lui ce que l’on ne trouve nulle par ailleurs”.
Ibn Al-Mubârak prit conscience du caractère sacré et noble du savoir religieux. Il disait : “Nous avions appris le savoir pour l’ici-bas, mais il nous apprit à nous détourner de l’ici-bas”. Il disait aussi : “Je m’étonne de l’étudiant en quête de savoir. Comment son ego l’appelle à aimer l’ici-bas, alors qu’il croit en la science qu’il porte”. Il pensait par ailleurs qu’“une condition nécessaire pour le savant stipule que l’amour de l’ici-bas n’effleure pas son esprit”.
Mais ce savant humble, ce grand ascète et célèbre dévot fut aussi un commerçant très aisé. Aux yeux d’Ibn Al-Mubârak, l’aisance n’est pas en contradiction avec l’ascétisme, mais un moyen de l’atteindre, tout en préservant sa dignité. Posséder l’ici-bas, sans que celui-ci ne possède notre cœur. Ibn Al-Mubârak achetait des marchandises qu’il revendait ailleurs avec une marge de profit. ʿAlî Ibn Al-Fudayl raconte à cet égard : “Un jour, j’entendis mon père dire à Ibn Al-Mubârak : Tu nous recommandes l’ascétisme et une vie simple et modeste, alors que nous te voyons prendre des marchandises au Khorâsân que tu revends dans les Terres Sacrées, comment donc ? Ibn Al-Mubârak lui répondit : O Abû ʿAlî, je ne fais cela que pour préserver ma dignité et protéger mon honneur. Je me sers de mon commerce pour obéir à mon Seigneur, et chaque fois que je vois un Droit de Dieu, j’accours pour l’honorer”.
Commerçant, certes, mais un homme très généreux, si bien qu’Al-ʿAbbâs Ibn Musʿab Al-Marûzî dit : “Ibn Al-Mubârak réunit le Hadîth, le fiqh, la langue arabe, l’histoire, le courage et la générosité”. Relatant des signes de sa générosité, Ismâʿîl Ibn ʿAyyâsh dit : “Il n’y a sur terre un homme comme Ibn Al-Mubârak... Il n’y a pas un noble caractère sans que je ne le trouve vivant en la personne d’Ibn Al-Mubârak. Certains de mes amis me racontent même qu’ils l’accompagnèrent dans un voyage depuis l’Égypte jusqu’à la Mecque ; il leur offrait du khabîs [1] alors qu’il ne cessait, lui, de jeûner”.
La générosité d’Ibn Al-Mubârak atteignit des dimensions exceptionnelles pendant la saison du pèlerinage. Muhammad Ibn ʿAlî Ibn Al-Hasan Ibn Shaqîq dit : “A l’approche de la saison du hajj, les habitants de Marw allaient voir Ibn Al-Mubârak : Pouvons-nous t’accompagner, ô Abû ʿAbd Ar-Rahmân ? Il leur disait : Apportez-moi l’argent que vous avez préparé à cette fin. Il rassemblait leur argent dans un coffre qu’il fermait soigneusement. Puis, il leur louait des montures et les prenait de Marw jusqu’à Bagdad. Ce faisant, il ne cessait de couvrir leurs dépenses, il leur achetait les mets les plus délicieux et les desserts les meilleurs. Puis, à leur départ de Bagdad, il leur achetait les plus beaux habits et les comblait de tous les honneurs et ce jusqu’à ce qu’ils arrivent à la Ville du Messager de Dieu. Une fois à Médine, il disait à chacun d’eux : Qu’est-ce que ta famille t’a demandé d’acheter à Médine ? Et il achetait pour chacun ce dont il avait besoin. Ils se dirigeaient ensuite vers la Mecque et accomplissaient le hajj. Puis il disait à chacun : Qu’est-ce que ta famille t’a demandé d’acheter à la Mecque ? Et il honorait tous leurs besoins. Ils prenaient alors la route de la Mecque vers Marw et il ne cessait de couvrir leurs dépenses sur le chemin du retour. Arrivés à Marw, il rénovait leurs portes et leurs demeures, puis, trois jours plus tard, il leur organisait un grand repas, leur offrait de nouveaux habits. Après qu’ils aient mangé à leur guise, il demandait qu’on lui apporte le coffre où il avait réuni leur argent. Puis il rendait à chacun sa somme d’argent ”.
Ni l’ascétisme, ni la dévotion, ni son commerce ne l’empêchaient de porter ses armes et d’aller faire face aux armées ennemies. Il voyait même en cela un devoir religieux et acte de dévotion qui surpasse celui des ascètes en retraite dans les mosquées. Il composa à cet effet des vers devenus célèbres après lui :
Ô toi, le serviteur des Deux Saintes Mosquées, si tu nous voyais
Tu aurais réalisé que ta dévotion n’est qu’un jeu d’enfants
Si certains couvrent leurs joues de leurs larmes
Qu’ils sachent que nos gorges de notre sang sont couvertes
Et que ceux qui épuisent leurs montures dans les futilités
Sachent que nos montures de bon matin se fatiguent
La brise parfumée leur appartient, mais notre parfum à nous
Ce sont les éclats des sabots et la poussière sacrée
Les propos de notre Prophète nous sont bien parvenus
Des paroles authentiques, véridiques, sans mensonges
Ne sont point égales la poussière des chevaux de Dieu
Dans les narines d’un cavalier et la fumée d’un feu enragé
Voici le Livre de Dieu, tranchant entre nous deux
Le martyr n’est pas mort, et le Livre ne ment point
Souvent des savants et étudiants allaient le voir et une fois arrivés à sa demeure, on les informait qu’Ibn Al-Mubârak avait pris ses armes et était parti affronter les armées ennemies. Et c’est ainsi que cet Imâm quitta ce monde, dans la ville de Hît en Iraq en 181 A.H. (797 E.C.), à son retour d’un combat qu’il menait pour défendre les musulmans.
Puisse Dieu lui faire miséricorde.
Source biographique arabe : Al-Imâm Ar-Rabbânî Az-Zâhid, ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak, de Sheikh ʿAbd Al-Halîm Mahmoud.
[1] Un dessert à base de dattes et de beurre.
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