mardi 7 août 2001
L’histoire du monde est navrante.
Depuis qu’Adam et ses enfants sont descendus sur terre, et après que des siècles sont passés, que des villes ont été érigées, que des civilisations se sont ramifiées, que des générations ont disparu, remplacées par de nouvelles, depuis cette lointaine époque, les gens forment des groupes disparates et opposés. Ils n’empruntent pas un jour le bon chemin sans qu’ils n’en dévient durant de nombreux autres jours. Ils ne s’attachent guère à la vérité pendant quelque temps, sans que ne s’abattent sur eux les ténèbres de l’erreur, la plupart du temps. Si nous examinions l’histoire de l’humanité à la lumière de la foi en Dieu et de notre prochaine rencontre avec Lui, nous découvririons que le monde est semblable à un ivrogne dont les moments d’ivresse priment sur les moments de lucidité, ou à une personne fiévreuse qui, dans son immense douleur, a perdu la raison et délire sans le savoir.
Les expériences des hommes avec eux-mêmes et avec la vie d’ici-bas suffiraient à prévenir le mal et à orienter vers le bien, mais toute connaissance de ces expériences semble futile lorsque la passion domine. Combien de siècles de l’âge de l’humanité se sont écoulés avant l’arrivée de Muhammad, paix et bénédictions d’Allâh sur lui ? De longs siècles se sont écoulés, durant lesquels l’humanité a produit un savoir colossal, a assimilé des expériences cruciales, durant lesquels se sont développés les lettres et les arts, se sont propagées des philosophies et des idées. Mais malgré tout, l’égarement a eu une emprise totale sur le monde. De nombreux peuples sont tombés en deçà de la position qu’ils pouvaient espérer.
Quel a été le sort des civilisations égyptienne, grecque, indienne, chinoise, perse et romaine ? Je ne parle pas de leur sort d’un point de vue politique, mais plutôt d’un point de vue intellectuel et sentimental. L’idolâtrie les a saignées et les a condamnées à cette chute dans un abrutissement indigne. L’homme, qu’Allâh a désigné comme un vicaire régnant sur terre et dans les cieux, est ainsi devenu un esclave au service des choses les plus viles qui soient dans les cieux et sur la terre. Que reste-t-il après la sacralisation des veaux et des vaches, après l’adoration du bois et des pierres, après que des peuples entiers adhèrent becs et ongles à ces chimères ?
L’idolâtrie est un avilissement qui provient de l’intérieur de soi, et non pas des éléments extérieurs du monde environnant. De même qu’une personne triste impose son affliction autour d’elle, de même que la personne terrifiée voit dans les formes qui l’entourent des fantômes immobiles, la personne dénaturée par l’idolâtrie impose sa petitesse et sa stupidité dans le milieu dans lequel elle vit, en divinisant ce qui lui plaît parmi les objets inanimés et les animaux. Lorsque le cœur étroit s’élargit, lorsque la pensée inerte s’illumine, lorsque l’homme saisit les significations profondes de son existence, ces considérations idolâtres disparaissent d’elles-mêmes.
C’est pour cette raison que l’œuvre première de la religion se situe à l’intérieur même de l’homme. On aura beau égorger les veaux sacrés et abattre les idoles vénérées, si l’âme persiste dans ses vieilles ténèbres, cela ne sera d’aucune utilité dans la guerre contre l’idolâtrie ! Les adorateurs affligés se chercheront alors d’autres divinités que celles qu’ils viennent de perdre et se dirigeront à nouveau vers elles. Très nombreux sont les idolâtres sur terre, quand bien même ils ne se rassembleraient pas autour d’un autel. Très prompts sont les hommes quant à oublier la véritable existence et leur Très-Haut Seigneur, en se précipitant derrière de lointaines illusions !
La chimère ne s’immisce pas dans la vie en s’annonçant comme une foutaise ou une inanité. Bien au contraire, elle revêt la cape du sérieux pour dissimuler sa perversité. Elle emprunte l’habit policé de la vérité ainsi que certains de ses prémices et de ses conclusions, puis s’embellit ensuite pour les personnes dupées.
C’est ainsi qu’a procédé l’idolâtrie ! Elle s’est attaquée à la religion authentique et à ses vérités lustrales, non pas comme des abeilles qui s’attaquent aux fleurs du printemps, mais comme des vers de terre ou des nuées de criquets qui s’attaquent à des jardins florissants pour les transformer en terres dévastées. En plus d’avoir corrompu ce qu’elle a laissé, elle n’a pas amélioré ce qu’elle a pris. Si ce qu’elle a pris était un bien avant qu’elle n’entre en contact avec lui, c’est devenu un mal, après qu’elle l’ait transformé en son sein en poisons. Ceci explique pourquoi l’idolâtrie, qui ne connaît pourtant pas Allâh, prétend se rapprocher de Dieu et rechercher Son Agrément à travers ses idoles ! Une part de vérité, noyée dans des parts de mensonge, d’une manière qui, en somme, détourne les gens d’Allâh et les éloigne de Son domaine.
La plus grande catastrophe qui s’est abattue sur les religions suite à l’attaque des idolâtries est celle qui a frappé la Loi de Jésus fils de Marie, que la paix soit sur lui. Cette Loi a été frappée par un changement effrayant : le jour s’est transformé en nuit, la paix en malheur, l’unité divine est devenue association divine. L’homme a rechuté. Sa motivation s’est orientée vers les offrandes, et sa pensée a été habitée par d’obscurs mystères.
Le mythe de la Trinité et de la Rédemption a retrouvé la vie lorsque l’idolâtrie primitive a réussi à l’immiscer dans le christianisme naissant. Ainsi, l’idolâtrie a été doublement victorieuse : d’abord, elle s’est renforcée en elle-même ; ensuite, elle a égaré autrui. Avec l’avènement du VIe siècle après Jésus-Christ, les phares de la guidance s’étaient éteints en Orient comme en Occident. Le diable parcourait des territoires immenses et voyait les épines qu’il avait plantées s’allonger et grandir.
Le zoroastrisme perse était un représentant coriace du paganisme répandu en Inde, en Chine, en Arabie et dans le reste du monde inexploré. Le Christianisme, qui tenait tête à ce front païen, a puisé ses principales caractéristiques dans les mythes indiens et pharaoniques, en assignant à Dieu une compagne et un fils. Il a ainsi séduit ses adeptes à Rome, en Égypte et à Constantinople par une forme de paganisme plus élaboré que ce à quoi étaient accotumés les adorateurs du feu et les adorateurs d’idoles : un paganisme mêlé à du monothéisme qui combattait un paganisme pur.
Mais quelle est la valeur de ces contradictions que le Christianisme a réunies en son sein ? "Ils disent : "Allâh S’est donné un enfant". Gloire et Pureté à Lui ! Il est le Riche par excellence. À Lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Vous n’avez pour cela aucune preuve. Allez-vous dire contre Allâh ce que vous ne savez pas ? Dis : "En vérité, ceux qui forgent le mensonge contre Allâh ne réussiront pas". C’est une jouissance temporaire dans la vie d’ici-bas ; puis ils retourneront vers Nous et Nous leur ferons goûter au dur châtiment, à titre de sanction pour leur infidélité" [1].
Il semblerait que ces liens de paganisme entre les zoroastriens et les adeptes des religions divines falsifiées justifient l’alliance de ces partis contre les musulmans, le jour où ces derniers ont commencé à ériger leur Communauté sur la base de l’adoration de l’Unique et Vrai Dieu. Aussi, Allâh a-t-Il informé cette Communauté qu’elle allait être assaillie par les adorateurs des idoles ainsi que par les Gens du Livre. Il lui a alors ordonné de faire preuve de patience face à cette attaque.
"Certes, vous serez éprouvés dans vos biens et vos personnes ; et certes vous entendrez de la part de ceux à qui le Livre a été donné avant vous, et de la part des païens, beaucoup de propos désagréables. Mais si vous êtes endurants et pieux... voilà bien la meilleure résolution à prendre." [2]
Les ténèbres qui avaient recouvert les cœurs et les esprits en l’absence des lumières du monothéisme, s’étaient étendus également aux traditions sociales et aux régimes politiques. La terre s’était transformée en une arène dominée par le meurtre et le crime, un lieu où les faibles ne pouvaient connaître le bienfait de la sécurité et de la paix.
Quel bien pourrait-on espérer au sein d’une idolâtrie qui rejette la raison, qui oublie Dieu et qui fait preuve de docilité entre les mains de charlatans ? Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que Dieu l’ait abandonnée, comme la rappelle ce hadith : "Allâh a observé les habitants de la terre. Tous ont été maudits, Arabes et non-Arabes, à l’exception de quelques individus parmi les Gens du Livre" [3].
Ces quelques individus parmi les Gens du Livre sont ceux qui sont restés imperméables au paganisme, malgré le déluge de dénégation qui a recouvert monts et vallées. Avant la mission prophétique de Muhammad — paix et bénédictions sur lui — l’embarras, l’incertitude et la misère dominaient le monde entier, et pesaient lourdement sur les épaules de l’humanité.
Atayta wan-nâsu fawdâ lâ tamurru bihim *** Illâ ʿalâ sanamin qad hâma fî sanami
Fa-ʿâhilur-rûmi yatghâ fî raʿiyyatihi *** Wa-ʿâhilul-fursi min kibrin asamma ʿamî
Tu es venu alors que les gens étaient dans le chaos. Partout où tu vas, ils adorent des idoles elles-mêmes soumises à d’autres idoles.
Le Souverain de Byzance opprimant son peuple, et le Souverain de Perse, par sa vanité, était devenu sourd et aveugle.
Jusqu’à ce qu’Allâh décrète qu’il mettra fin à ces maux et qu’il fera parvenir au monde Sa guidance suprême, en envoyant à l’humanité, Muhammad, que la paix et les bénédictions d’Allâh soient sur lui.
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Fiqh As-Sîrah, éditions Ar-Rayyân Lit-Turâth, première édition, Le Caire - Égypte, 1987.
[1] Sourate 10, Yûnus, Jonas, versets 68 à 70.
[2] Sourate 3, Âl ʿImrân, La Famille d’Amram, verset 186.
[3] Extrait d’un long hadîth rapporté par Muslim dans son Sahîh.
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