mardi 21 septembre 2004
L’isolement vis-à-vis des musulmans n’est pas une disposition originelle dans la vie du musulman. La bonne fréquentation, les réunions bénéfiques, l’attirance vers le bien et vers les bonnes gens, sont des principes essentiels dans la vie du musulman, comme le prouvent les hadîths suivants :
« Le croyant qui fréquente les gens et fait preuve de patience face à leurs nuisances vaut mieux que celui qui ne les fréquente pas et ne patiente pas face à leurs nuisances. » [1] « Le croyant affectionne et est affectionné ; il n’y a aucun bien dans une personne qui n’affectionne point et qui n’est point affectionnée. » [2] « La Main de Dieu est avec l’assemblée et celui qui diverge diverge vers l’Enfer. » « Le loup ne dévore que le mouton qui s’écarte du troupeau. » [3]
L’aspect complémentaire de ce comportement originel dans la vie du musulman consiste à s’écarter néanmoins de l’infidélité, de l’hypocrisie, de la perversité et des gens qui les pratiquent, de s’écarter également des assemblées où l’on raille les versets de Dieu et de s’écarter plus généralement de tout ce dont il convient de s’éloigner. Le Très-Haut dit par l’intermédiaire d’Abraham - paix sur lui - : « Je m’écarte de vous et de ce que vous invoquez, en dehors d’Allah, et j’invoquerai mon Seigneur, espérant ne pas être malheureux dans mon appel à mon Seigneur. » [4] « Certes, vous avez eu un bel exemple à suivre en Abraham et en ceux qui étaient avec lui, quand ils dirent à leur peuple : "Nous vous désavouons, vous et ce que vous adorez en dehors d’Allah. Nous vous renions. Entre vous et nous, l’inimitié et la haine sont à jamais déclarées jusqu’à ce que vous croyiez en Allah, seul" » [5]. Le Très-Haut dit également : « Quand tu vois ceux qui pataugent dans des discussions à propos de Nos versets, éloigne-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils entament une autre discussion. Et si le Diable te fait oublier, alors, dès que tu te rappelles, ne reste pas avec les injustes. » [6] Le Messager de Dieu - paix et bénédictions sur lui - dit : « Le compagnon pieux est tel le détenteur de musc, si tu n’en reçois rien, tu profiteras au moins de son parfum. Et le compagnon pervers est tel le forgeron actionnant son soufflet, si sa suie ne t’atteint pas, tu souffriras de sa fumée. » [7] Il dit également : « L’hypocrite est tel une chèvre versatile, tantôt elle suit ce troupeau et tantôt elle suit l’autre. » [8]. C’est pourquoi les juristes ont jugé détestable la fréquentation des pervers et la familiarité avec eux.
De ce qui précède, nous comprenons l’attitude originelle du musulman en termes de fréquentation d’autrui et d’isolement. Dans ce chapitre, plus explicite encore est le conseil du Prophète - paix et bénédictions sur lui - lorsque Hudhayfah lui demanda : “Que m’ordonnes-tu de faire si la grande discorde devait arriver de mon vivant ?” Il lui répondit : “Tu restes avec la communauté des musulmans et leur imâm.” Il demanda : “Et si les musulmans n’avaient ni une communauté ni un imâm ?” Il lui dit : “Écarte-toi alors de toutes ces sectes (c’est-à-dire les sectes déviantes), même si cela te coûte de mordre le tronc d’un arbre [9] jusqu’à ce que la mort t’atteigne dans cet état.” [10]
Par conséquent, on ne s’isole jamais des gens de la vérité et on s’écarte absolument des gens de l’égarement. Tel est le principe général régissant la vie du musulman en matière de fréquentation et d’isolement. Une fois ce principe clarifié, nous comprenons quand l’isolement absolu devient obligatoire dans la vie du musulman, auquel cas il lui incombe de mener une lutte contre lui-même pour accomplir cette nécessité ; car il est dans la nature de l’homme d’aimer la compagnie. Mais si nous méditons le noble hadîth : « Il y aura sans cesse un groupe de ma communauté attaché à la vérité... », nous saisissons que les cas où l’isolement absolu s’impose à l’homme sont des cas contingents, passagers et provisoires.
Aussi dans le cadre du cheminement vers Allâh, étudions-nous l’isolement en tant que pilier du jihâd, en tant que thérapie pour le cœur de l’homme et son âme. Nous voulons montrer en quoi cet isolement peut parfois s’avérer nécessaire dans la vie du musulman. Tel est notre objectif ; car seul ce type d’isolement se justifie à nos yeux dans la vie du musulman, en dehors de toutes circonstances particulières, contingentes ou provisoires. Toute réponse à une question juridique doit tenir compte en effet des circonstances temporelles, spatiales et personnelles de l’auteur de la question. Par conséquent, notre présente étude porte sur l’isolement en sa qualité de remède du cœur et la place qu’il occupe dans l’effort sur soi. Passons maintenant en revue quelques expressions soufies sur ce thème.
Ibn ʿAtâ’ dit : « Enterre ton existence dans la terre de l’immobilité car tout ce qui pousse sans être enterré n’arrive pas à maturité. Rien ne profite au cœur autant qu’un isolement qui l’entraîne sur le champ d’une idée. Comment resplendirait un cœur reflétant les ombres des créatures dans son miroir ? Comment cheminerait-il vers Allâh alors qu’il est enchaîné dans ses désirs ? Comment prétend-il entrer en Présence d’Allâh sans s’être purifié de la souillure de ses insouciances ? Pense-t-il comprendre les secrets subtils sans s’être repenti de ses égarements ? »
Ibn ʿAtâ’ résume dans ce passage l’ensemble des situations où l’homme a besoin de recourir à l’isolement à des fins thérapeutiques. Ainsi lorsque l’homme devient célèbre, ses contacts se multiplient, ce qui a pour effet de dilapider une grande part de son temps à cause de ces contacts. D’où la difficulté qu’il éprouve, par manque de temps, de s’instruire, de pratiquer et de curer son état. Voici un cas où l’isolement est requis. Lorsque l’homme passe un peu de temps seul, qu’il vogue par la pensée dans le royaume des cieux et de la terre, son cœur s’en trouve réformé. Voilà un deuxième cas où l’isolement est requis. Tant que l’homme fréquente autrui, la pureté de son cœur reste précaire et les choses s’impriment fortement dans ce cœur. Un isolement accompagné d’une méditation et d’une remémoration l’aide à polir le miroir de son cœur. Aussi longtemps que l’homme fréquentera les autres, nombreux seront les désirs susceptibles d’attirer son cœur ; l’isolement le préserve de ce genre de choses. Cela aide aussi son cœur à s’affranchir du joug des désirs, il s’agit là d’un autre champ où l’isolement peut être utile. Tant que l’homme fréquente autrui, l’insouciance le domine. Si l’occasion de s’isoler, de se remémorer et de méditer s’offre à lui, cela favorise l’éveil de son cœur. À mesure que le cœur multiplie les fréquentations, ses égarements se multiplient et cela l’empêche de comprendre les secrets subtils. L’isolement l’aide à se défaire des égarements du cœur et le rend apte à comprendre les secrets subtils. Voilà un faisceau de considérations faisant de l’isolement absolu ou partiel une partie de l’effort sur soi, voire un pilier, tout en notant que tout cela doit être épisodique dans la vie de l’homme et ne doit pas se faire au détriment des obligations et des bienséances temporelles, ni aux dépens des droits afférents. La retraite du Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - dans la caverne de Hirâ’ avant le début de la révélation est un exemple illustrant l’isolement total. De même, les retraites spirituelles (iʿtikâf) appuient l’isolement partiel.
Quoiqu’il en soit, si l’isolement ne se fait pas au détriment d’un droit ni d’un devoir, cela relève des choses permises quand bien même aucun profit n’en découlerait. Mais lorsque cela induit une réforme du cœur ou l’acquisition d’un savoir ou l’augmentation de la foi, alors l’isolement acquiert un statut supérieur à la simple permission. Et lorsque l’isolement s’impose pour la réalisation d’un devoir, ou pour se débarrasser de l’illicite, il s’élève au rang du devoir. Parmi tous les penseurs et intellectuels de ce monde, d’aucuns trouvent dans l’isolement une occasion de méditer et d’approfondir la réflexion. C’est pourquoi il est erroné de condamner celui qui s’isole temporairement, totalement ou partiellement, pour se défaire d’une maladie, ou pour acquérir un profit scientifique ou spirituel, tant que cela ne se fait pas au détriment d’un droit ou en sacrifiant une bienséance temporelle. Le jugement de celui qui le condamne est faible et ses horizons sont étroits. Nous nous contenterons de ce qui précède pour ce qui concerne ce premier pilier du jihâd dans la terminologie des itinérants vers Allâh.
Passons maintenant au second pilier du jihâd dans la terminologie des itinérants vers Allâh, à savoir le silence.
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Saʿîd Hawwâ, Tarbiyatunâ Ar-Rûhiyyah, éditions As-Salâm, cinquième édition, 1997, Le Caire. ISBN : 977-5286-20-6.
[1] Hadith rapporté entre autres par Ahmad.
[2] Hadith rapporté par Ahmad.
[3] Hadith rapporté par At-Tirmidhî.
[4] Sourate 19, Maryam, Marie, verset 48.
[5] Sourate 60, Al-Mumtahanah, l’Éprouvée, verset 4.
[6] Sourate 6, Al-Anʿâm, les Bestiaux, verset 68.
[7] Hadith rapporté par Abû Dâwûd.
[8] Hadith rapporté par Muslim et An-Nasâ’î.
[9] "Mordre le tronc d’un arbre" est une métaphore des difficultés endurées. NdT
[10] Hadith rapporté par Al-Bukhârî.
© islamophile.org 1998 - 2024. Tous droits réservés.
Toute reproduction interdite (y compris sur internet), sauf avec notre accord explicite. Usage personnel autorisé.
Les opinions exprimées sur le site islamophile.org sont celles de leurs auteurs. Exprimées dans diverses langues étrangères, ces opinions sont mises à la portée des lecteurs francophones par nos soins, à des fins d'information, de connaissance et de respect mutuels entre les différentes cultures et religions du monde.