jeudi 3 février 2005
Al-Mundhirî consacra un chapitre de son ouvrage At-Targhîb wat-Tarhîb (Incitations et dissuasions) qu’il intitula "L’incitation à la prière du besoin et à son invocation". Le premier hadîth qu’il mentionna à ce sujet fut transmis par ʿUthmân Ibn Hunayf - qu’Allâh l’agrée - : « Un homme aveugle se rendit auprès du Prophète - paix et bénédictions sur lui - et lui dit : “Ô Messager d’Allâh ! Prie Allâh de me rendre la vue.” Il lui demanda : “Tu ne voudrais pas plutôt que je te laisse comme tu es ?” Il dit : “Ô Messager d’Allâh, je souffre beaucoup de la perte de ma vue.” Il lui ordonna alors : “Va faire tes ablutions, puis prie deux rakʿahs et invoque en disant : “Ô Allâh, je Te demande et je m’adresse à Toi, par (l’entremise de) Ton Prophète Mohammad - paix et bénédictions sur lui -, le Prophète de la Miséricorde ; ô Mohammad, je me suis adressé par ton entremise à mon Seigneur afin qu’il me rende la vue. Ô Allâh, fais-le intercéder en ma faveur et accepte mon intercession en ma propre faveur.” ” Lorsque cet homme revint, Allâh lui avait rendu la vue. »
Ce hadîth fut rapporté par At-Tirmidhî qui le déclara bon authentique et singulier (hasan sahîh gharîb), ainsi que par An-Nasâ’î - l’énoncé susmentionné de ce hadîth est le sien -, par Ibn Mâjah, par Ibn Khuzaymah dans son Sahîh, par Al-Hâkim qui le déclara authentique conformément aux critères d’Al-Bukhârî et Muslim, mais la transmission d’At-Tirmidhî ne comporte pas « puis prie deux rakʿahs ».
Il fut également rapporté par At-Tabarânî qui cita en préambule du hadîth le récit suivant : Un homme se rendait souvent auprès de ʿUthmân Ibn ʿAffân - qu’Allâh l’agrée - pour une requête, mais ʿUthmân ne lui prêtait pas attention et n’examinait pas sa requête. Cet homme rencontra ʿUthmân Ibn Hunayf à qui il se plaignit. ʿUthmân Ibn Hunayf lui dit alors : “Rends-toi à la salle d’eau pour accomplir tes ablutions, va ensuite à la mosquée et prie deux rakʿahs, puis dis : “Ô Allâh, je Te demande et je m’adresse à Toi, par (l’entremise de) notre Prophète Mohammad - paix et bénédictions sur lui -, le Prophète de la Miséricorde ; ô Mohammad, je me suis adressé par ton entremise à mon Seigneur afin que mon besoin soit comblé” puis tu mentionnes ton besoin. Reviens ensuite me voir afin que je t’accompagne.” L’homme s’en alla, fit ce qu’il (ʿUthmân Ibn Hunayf) lui avait dit, puis se rendit à la porte de ʿUthmân. Le portier arriva, le prit par la main et l’introduisit auprès de ʿUthmân Ibn ʿAffân qui le fit asseoir à côté de lui sur un tapis [1] et lui demanda : “ Quelle est ta requête ? ” L’homme mentionna son besoin que ʿUthmân traita aussitôt, lui disant : “Je ne me suis pas souvenu de ta requête avant cette heure-ci.” Il ajouta : “Si tu as le moindre besoin, viens nous voir.” Puis l’homme s’en alla. Il croisa alors ʿUthmân Ibn Hunayf et lui dit : “ Qu’Allâh te rétribue, il n’allait point me prêter attention et s’occuper de ma requête si tu ne lui avais pas parlé de moi.” ʿUthmân Ibn Hunayf dit : « Je jure par Allâh que je ne lui ai guère parlé. Seulement, j’étais avec le Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - un jour lorsqu’un homme aveugle se rendit auprès de lui et se plaignit de la perte de sa vue. Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - lui suggéra : “Et si tu patientais (plutôt) ?” Il répondit : “ Ô Messager d’Allâh ! Je n’ai personne pour me guider et j’éprouve beaucoup de difficulté. ” Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - lui dit : “ Rends-toi à la salle d’eau pour accomplir tes ablutions, va ensuite à la mosquée et prie deux rakʿahs, puis répète ces invocations ” » ʿUthmân Ibn Hunayf dit : « Par Allâh, notre assemblée ne s’était point dispersée et peu de temps s’était écoulé lorsque cet homme entra comme s’il n’avait jamais été souffrant. » Après avoir cité les chaînes de transmission du hadîth, At-Tabarânî dit : « Le hadîth est authentique. »
On constate d’après ces narrations que ʿUthmân Ibn Hunayf, du temps du califat de ʿUthmân, enseigna à un homme de s’adresser à Allâh par l’entremise du Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - alors qu’il était décédé. Nous avons également vu la sentence d’At-Tabarânî concluant à l’authenticité du hadîth, lequel hadîth constitue un argument en matière de licéité du tawassul à Allâh par l’entremise de Ses prophètes après leur mort.
Le Très-Haut dit : « À Allâh appartiennent les Noms Sublimes, usez-en pour L’invoquer » [2] c’est-à-dire qualifiez-Le par ces Noms et invoquez-Le de cette façon. Certains tentèrent de déduire de ce verset qu’on ne peut chercher à se rapprocher d’Allâh (tawassul) que par l’entremise de Ses Noms, et interdirent que l’on fasse le tawassul par quelque créature d’Allâh que ce soit, sauf si la personne qui sert d’intermédiaire (wasîlah) est pieuse et encore en vie. Ils identifièrent le tawassul dont il est question ici à l’invocation (duʿâ’) et, par conséquent, déclarèrent illicite le tawassul par les prophètes, les Messagers et les pieux, dès lors qu’ils sont décédés. Une polémique éclata à ce sujet. Certains tentèrent de revêtir cette polémique d’une coloration dogmatique (en liaison avec la ʿaqîdah) considérant que le tawassul par les morts relève du polythéisme. D’autres, au contraire, jugèrent que le fait de ne pas souscrire à la validité du tawassul par le Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - et par les prophètes et les hommes de piété, fussent-ils morts ou vivants, est un dévoiement et un égarement.
Toutefois, la narration authentique vue précédemment montre que l’idée du tawassul à Allâh par Son Messager - paix sur lui - était présente parmi la génération des Compagnons après le décès du Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui. Il s’agit de l’une des multiples manières de faire les invocations. Le fait qu’un Compagnon emploie telle ou telle forme d’invocation ne signifie pas que les autres formes sont illicites. Par conséquent, l’ensemble de ces formes sont juridiquement admissibles. Si l’individu se sent à l’aise vis-à-vis de telle ou telle forme, il n’y a aucun mal à ce qu’il s’y tienne. Si, au contraire, il pense que les preuves ne l’autorisent pas, il n’y a pas de mal à ce qu’il en discute comme on discuterait de toute question juridique, sans plus.
C’est pourquoi le Professeur Al-Bannâ - qu’Allâh lui fasse miséricorde - considérait que les divergences sur ce sujet relevaient du domaine des divergences juridiques et non pas du domaine des divergences sur le credo. Il s’agissait donc selon lui d’une divergence juridique où l’on pouvait tolérer différentes opinions et à propos de laquelle on ne pouvait exiger de l’individu que ce avec quoi il se sent à l’aise, s’il fait partie des gens aptes à argumenter, et s’il n’appartient pas à cette catégorie, il peut imiter n’importe quel savant mujtahid à ce sujet. Le Professeur Al-Bannâ - qu’Allâh lui fasse miséricorde - dit dans l’Épître des Consignes, paragraphe 15 de la section de l’entendement (Al-Fahm) : « L’invocation lorsqu’elle s’accompagne du tawassul à Allâh par l’une de Ses créatures représente un point de divergence secondaire portant sur la manière de faire l’invocation et non point sur des questions de credo. » Les parties impliquées dans cette polémique durcirent le ton vis-à-vis du Professeur Al-Bannâ à cause de cette opinion, sachant que toutes les parties sont injustes, et que si tout le monde s’attachait à l’équité, le Professeur Al-Bannâ aurait le dernier mot sur cette question. Ce sujet ne relève pas, en effet, des choses connues en religion par nécessité et les arguments qu’on y avance restent incertains ; incertains quant à leur signification ou incertains quant à leur authenticité. Par conséquent, l’ijtihâd a tout à fait sa place ici et à chaque mujtahid sa rétribution, tant et si bien que nulle rigueur ne peut être tenue à ce sujet à un individu qui suit l’opinion avec laquelle il se sent à l’aise, ni à celui qui en discute avec autrui. En revanche, jeter l’anathème sur autrui et l’accuser d’égarement, pour ce genre de considération, c’est un comportement fautif et outrancier. Je répète donc à ce propos ce que j’ai dit à plusieurs reprises : C’est par la grâce d’Allâh que le Professeur Al-Bannâ a pu proposer différentes formules du travail islamique contemporain, susceptible de constituer un dénominateur commun auquel se rallient tous les justes de la oummah, et susceptible de constituer un point de départ sain, pour un travail islamique commun, vers une communauté musulmane unie, un État islamique uni et vers l’unité des rangs des musulmans.
Traduit de l’arabe de Tarbiyatunâ Ar-Rûhiyyah (Notre éducation spirituelle) pp. 254-256, de Sheikh Saʿîd Hawwâ, Dâr As-Salâm, 5ème édition, 1997, Le Caire. ISBN : 977-5286-20-6.
[1] En réalité, il s’agit précisément d’une sorte de tapis de fibres de palmier large d’une brasse.
[2] Sourate 7, Al-Aʿrâf, verset 18.
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