dimanche 2 novembre 2003
Ne crois pas, cher frère musulman, qu’une sincérité authentique est facile à réaliser, qu’elle est à la portée de quiconque la recherche, ou qu’elle est accessible au moindre effort, sans souffrance ni persévérance… Cela est bien loin de la réalité.
La réalisation de la sincérité n’est pas une affaire aisée comme le croient certaines gens qui en restent à la superficie des choses plutôt que de s’intéresser aux profondeurs, qui se contentent de la croûte au lieu de plonger vers le noyau.
Or, les avisés itinérants vers Dieu - Exalté soit-Il - confirment que la sincérité est difficile, voire ardue pour les gens en général, excepté ceux à qui Dieu l’a rendue facile. La raison en est que la sincérité comporte, comme on l’a déjà dit, deux volets : la prise de conscience des desseins, et l’épuration des desseins de toute souillure.
Prendre conscience de ses desseins est important. Il est insuffisant que l’acte soit fait machinalement sans une intention qui l’anime, qui le teinte et qui l’oriente. Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - dit : « Les actes ne valent que par les intentions. » et « Certes, les gens seront ressuscités avec leurs intentions. »
Ibn Abî Ad-Dunyâ rapporte ces paroles de ʿUmar selon une chaîne de transmission interrompue : « Nulle œuvre n’est acceptée si elle n’est motivée par une intention sincère, et nulle récompense n’est prodiguée à une oeuvre dénuée de visée », c’est-à-dire que nulle récompense divine n’est prodiguée pour un acte conçu sans être consacré à Dieu.
« Une parole ne profite que si elle est accompagnée d’une action. Une parole et une action ne profitent que si elles sont accompagnées d’une intention », dit Ibn Masʿûd.
« Apprenez l’intention ; elle est plus éloquente que l’acte », dit Yahyâ Ibn Abî Kathîr.
« Rien ne m’a été plus difficile à curer que mon intention : elle se rebelle sans cesse contre moi ! » s’exclama Sufyân Ath-Thawrî.
« En effet, j’aime formuler une intention à tout acte, même pour boire et pour manger », dit Zabîd Al-Yâmî. Il dit également : « Formule ton intention à tout acte de bien voulu, même lorsque tu passes le balai ! »
« J’ai découvert que le bien tout le bien était réuni dans la bonne intention. Elle te suffira, quand bien même tu ne te fatiguerais pas. », dit Dâwûd At-Tâ’î.
« La bonté du cœur provient de la bonté de l’œuvre, et la bonté de l’œuvre provient de la bonté de l’intention. », dit Mutraf Ibn ʿAbd Allâh.
« Débarrasser l’intention de ses vices est plus dur aux bienfaiteurs que les efforts assidus. », dit Yûsuf Ibn Asbât. Il dit aussi : « Préférer Dieu - Exalté et Loué soit-Il - dans le but visé par les actes vaut mieux qu’être tué dans Son Sentier. »
On interrogea un jour Nâfiʿ Ibn Jubayr : « Ne viens-tu pas assister aux funérailles ? » - « Un instant, dit-il, que je conçoive cela. » Après un instant de réflexion, il dit : « Allons-y ! »
« Que de petites œuvres sont rendues grandes par l’intention, et que de grandes œuvres sont rendues petites par l’intention », dit ʿAbd Allâh Ibn Al-Mubârak.
« Dieu ne veut de toi que ton intention et ta volonté », dit Al-Fudayl Ibn ʿIyâd.
Selon certains savants parmi les Anciens : Quiconque aimerait voir parfaite son œuvre, qu’il la fasse de bonne intention ! Dieu - Exalté et Loué soit-Il - accorde la récompense au Serviteur qui agit de bonne intention, même une bouchée d’aliments qu’il aurait offerte.
Ath-Thawrî prêcha : « On apprenait à formuler l’intention pour l’œuvre comme vous apprenez à accomplir l’œuvre. »
Certains savants dirent : « Sollicite l’intention pour l’œuvre avant de solliciter l’œuvre elle-même. Aussi longtemps que tu entends faire le bien, tu seras bien ! »
Un itinérant vers Dieu faisait le tour des savants en demandant : « Qui me désigne une œuvre à Dieu, le Très-Haut, qui m’absorbe complètement ? Moi, je n’aime pas passer une seule heure de jour ou de nuit sans faire partie de ceux qui œuvrent pour Dieu, le Très-Haut. » Et il reçut la réponse : « Voici ce que tu recherches : fais le bien autant que tu puisses, et en cas de lassitude - ou d’abandon - projette de le faire ; avoir l’intention de faire le bien c’est comme le faire effectivement. »
Débarrasser l’âme de ses caprices apparents et occultes, épurer l’intention des vices et des désirs personnels ou mondains est une chose ô combien pénible et ardue ! Ce serait une victoire sur l’égoïsme, sur le narcissisme et sur l’amour de ce bas-monde. Ce serait un anéantissement de soi qui viendrait à bout de tous les profits matériels recherchés par l’âme humaine. Ce serait vraiment - si vous saviez - une chose grandiose !
Dans cette optique, l’affaire requiert une stricte mobilisation contre soi-même, un auto-contrôle de ses points vulnérables aux infiltrations sataniques, ainsi qu’une auto-épuration de toute ostentation, de tout attachement au prestige, à la parade ou aux profits personnels : facteurs bien imposants sur l’esprit humain. C’est ce qui explique la réponse de l’ascète seigneurial Sahl Ibn ʿAbd Allâh At-Tustarî à la question : « Quelle est la chose la plus dure pour l’âme ? » Il dit : « La sincérité ; c’est là où aucune part ne lui revient ! »
Selon d’autres : « Epurer les intentions est plus dur pour les bienfaiteurs que toutes les autres oeuvres. »
Yûsuf Ibn Al-Husayn Ar-Râzî, lui, trouve que « la chose la plus précieuse de la vie, c’est la sincérité. Que de fois je fais de mon mieux pour abattre l’ostentation dans mon cœur... C’est comme si elle poussait sous une autre forme. »
Chez les uns, l’affaire a été poussée à l’extrême : « Béatitude à celui qui aurait fait un seul pas authentique, n’en sollicitant que Dieu le Très-Haut ! » Et chez les autres encore : « Une heure de sincérité, c’est le salut pour l’éternité. Or, la sincérité est précieuse ! »
Cet état de choses est justifié par la nature prédominante qu’exercent les ambitions personnelles sur les bienfaiteurs, et la difficulté de se détacher de ses passions. Aussi, trouve-t-on le Coran exiger de l’hypocrite comme condition à sa délivrance de l’hypocrisie et à son insertion au cortège des Croyants, de vouer une foi exclusive à Dieu. Le Très-Haut dit :
« Les hypocrites seront, certes, au plus bas fond du Feu, et tu ne leur trouveras jamais de secoureur,
sauf ceux qui se repentent, s’amendent, s’attachent fermement à Dieu, et Lui vouent une foi exclusive. Ceux-là seront avec les croyants. Et Dieu donnera aux croyants une énorme récompense. » [1]
Un repentir, un amendement, plus un attachement ferme à Dieu ne sont donc pas suffisants sans une foi exclusivement vouée à Lui.
ʿUmar, que Dieu l’agrée, disait : « Seigneur ! Fais que tout mon travail soit bon, qu’il soit exclusivement voué à Ta Face, et n’en attribue rien aux gens. »
Mutraf Ibn ʿAbd Allâh invoquait Dieu en ces mots : « Seigneur ! Je te demande pardon pour ce dont je me suis repenti puis que j’ai refait. Je te demande pardon pour ce que je m’étais engagé à faire pour Toi puis que j’ai abandonné. Et je te demande pardon pour ce que j’ai prétendu faire pour Ta Face, alors qu’une autre chose - que Toi Seul connais - s’y était mêlée en mon cœur ! »
Muhammad Ibn Saʿîd Al-Marrûzî trouve, quant à lui, que : « L’affaire toute entière remonte à deux origines, entre autres : une action entreprise par Lui - Exalté Soit-Il - envers toi, et une action entreprise par toi pour Lui. Concernant Son action, à toi d’accepter favorablement ce qu’Il a fait. Concernant la tienne, à toi de garder la sincérité en ce que tu fais... Voilà que tu retrouves satisfaction, et dans tes deux réactions et dans tes deux demeures ! »
Il se peut qu’à la rencontre d’un homme oeuvrant au service de l’Islam, tu le prennes pour un être zélé et sincère. Il se peut même que l’homme ait pareille opinion sur soi. Or, en fouillant son cœur et en scrutant ses intentions, tu découvriras un solliciteur de biens mondains drapé dans l’habit d’un religieux. Il œuvre ainsi pour soi-même tout en illusionnant autrui - et peut-être tout en s’illusionnant lui-même - qu’il œuvre pour son Seigneur !
Certes, Dieu n’accepte point le cœur emmêlé, ni n’accepte l’œuvre emmêlée. Seules sont acceptées les œuvres exclusivement vouées à Sa Face.
Traduit de l’arabe du livre : "L’Intention et La Sincérité" du site qaradawi.net.
[1] Sourate 4, les Femmes, An-Nisâ’, versets 145 et 146.
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