lundi 22 janvier 2001
La colère et la tristesse s’emparent de moi quand je constate que les hommes du hadîth méconnaissent le Saint Coran ! Ils lisent aux gens des hadîths sans se rendre compte de leur proximité ou de leur éloignement des versets coraniques.
Dans le volume 3 de Taysîr Al-Wusûl Ilâ Jâmiʿ Al-Usûl, on relate d’après ʿOmar Ibn Al-Khattâb - que Dieu l’agrée - que le Prophète - que la paix et les salutations de Dieu soient sur lui - a dit : "On ne demande pas à un homme pourquoi il a frappé sa femme", narré par Abû Dâwûd. Sheikh Mohammad Hâmid Al-Fiqî a commenté ce hadîth disant : "il a été narré par An-Nasâ’î" voulant ainsi renforcer la chaîne de transmission de ce hadîth, mais en ignorant le matn (i.e. l’énoncé) du hadîth comme s’il était irréprochable !
Mais il n’en est rien car l’énoncé en question contredit les textes du Livre (i.e. le Coran) et contredit également une multitude d’autres hadîths. De surcroît, l’agression de l’homme sur la femme, tout comme l’agression de la femme sur l’homme sont toutes deux inacceptables selon la raison, selon les textes et aussi selon les principes de l’équité. Et j’ignore comment de tels propos ont pu être tenus ni comment ils ont pu être attribués au Prophète - que la paix et les salutations de Dieu soient sur lui.
Parmi les règles du Jugement Dernier figure "Quiconque fait le bien, fût-ce le poids d’une fourmi, le verra. Et quiconque fait le mal, fût-ce le poids d’une fourmi, le verra" [1]. L’épouse ferait-elle l’unique exception à cette règle pour qu’on ne demande pas à son mari "pourquoi il l’a frappée" ? Il la frapperait donc pour une raison non déclarée ou pour une envie passagère d’agression ? Que faire alors du verset : "Et il leur revient autant de droits qu’elles ont comme obligations conformément à la bienséance" [2] et du verset : "Alors, c’est soit la reprise conformément à la bienséance, ou la libération avec bienfaisance" [3] ? Et que faire du hadîth : "Je vous recommande la bonté envers les femmes [...]" ?
Ce qui arrive des fois c’est le nushûz, ce mot signifiant dédain et hauteur, c’est-à-dire que la femme méprise son mari et répugne à lui obéir et que ce fait engendre en elle la haine de se lier à lui dans l’une des fonctions les plus sensibles de la vie conjugale au point qu’il dorme en colère après elle. Il se peut aussi qu’un tel comportement le pousse à la frapper ! Une autre conduite encore plus détestable serait qu’elle autorise un étranger que son époux n’aime pas à entrer chez eux avec ce que ceci entraîne comme suspicion ébranlant le couple et les exposant aux mauvaises langues. Hormis ces deux raisons, je n’ai trouvé aucun argument juridique justifiant la violence.
Toutefois, les exégètes sont unanimes pour dire que la correction se fait à l’aide d’un siwâk (l’équivalent d’une brosse à dents), par exemple ! En d’autres termes, les frappes ne doivent en aucun cas meurtrir ni porter sur le visage ! En effet, dans le hadîth, on lit : "... Et ne frappe pas le visage et ne maudis pas*". Puis, le Très Haut dit au sujet des épouses sereines qui s’acquittent du droit de Dieu et de leur famille : "Si elles vous obéissent, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Dieu est certes Très Haut et Très Grand" [4].
La fin du verset mérite d’être méditée car elle comporte deux attributs divins qui sont l’Altesse et la Grandeur. Ce sont là deux attributs de Dieu qui dissuadent de tout abus de comportement et de toute oppression des faibles ou encore de toute conduite peu honorable. Dans tout ce qui précède, Il attire l’attention des hommes pour que leur historique avec leurs épouses soit honorable et empreint de tendresse et de dignité. On ne peut concevoir malgré tout que l’homme puisse agresser son épouse quand bon lui semble et qu’il n’en rendrait pas compte devant Dieu. Par conséquent, le hadîth narré par Abû Dâwûd et An-Nasâ’î au sujet de la violence avec les épouses n’a aucun fondement quelles que soient les interprétations qu’on s’efforce à lui trouver...
Un minimum de réalisme voudrait que l’on ne prenne pas toutes les femmes pour des anges ni tous les hommes pour des diables. Ce serait stupide. De même, un jugement qui favorise a priori l’un ou l’autre parti est tout sauf équitable. Nous avons plus intérêt à étudier les relations conjugales avec neutralité et à prendre en compte l’incidence des caractères de chacun et l’impact des crises et des accidents soudains sans laisser une bêtise démolir la vie conjugale...
L’écroulement d’un foyer est un évènement gravissime ! Et, l’islam a jugé bon - après l’annonce du talâq - de faire en sorte que les deux époux se côtoient [5] dans l’espoir que les doux souvenirs puissent vaincre les souvenirs amers et afin que l’affection chasse la rupture. Ainsi Abû At-Tayyeb [6] dit :
Affectueux je fus créé au point que si je retrouvais ma jeunesse,
je quitterais ma vieillesse les yeux en larmes et le coeur chagrin.
De ce fait, il faut que la société intervienne pour résoudre calmement les conflits et rétablir la sérénité. Les meilleurs acteurs pouvant intervenir sont les proches parents des époux car ils sont les plus désireux de les concilier et les meilleurs juges de leur intérêt commun et les plus à même de mettre en oeuvre la décision prise. D’où la parole divine : "Si vous craignez le désaccord entre les deux [époux], envoyez un arbitre de sa famille à lui, et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Dieu rétablira l’entente entre eux. Dieu est certes Omniscient et Parfaitement Connaisseur" [7].
Ash-Shâfiʿî narre - citant la chaîne de garants - d’après ʿAlî Ibn Abî Tâlib - que Dieu l’agrée - qu’un homme et une femme sont venus le voir, chacun accompagné d’une foule de gens. Il dit : "Qu’ont ces deux là ?" Les gens répondirent : "Un conflit les sépare." ʿAlî dit : "Déléguez un arbitre de leurs familles respectives". Puis, il demanda aux deux arbitres : "Savez-vous ce que vous avez à faire ? Si vous jugez bon de les réconcilier, faites-le, et si vous jugez bon de les divorcer, faites-le." La femme dit : "J’accepte le [verdict du] Livre d’Allâh, ce qu’il m’impose comme devoirs et ce qu’il m’accorde comme droits !" L’homme dit : "Quant au divorce, c’est non !" ʿAlî lui répondit : "Mensonge ! Tant que tu n’auras pas accepté ce qu’elle a accepté".
L’objection de l’homme signifie qu’il ne donnait pas le droit aux arbitres de prononcer le divorce en son nom c’est-à-dire "non au divorce". Mais ʿAlî l’a remis à sa place montrant que les arbitres ont bel et bien la prérogative de réconcilier, de divorcer ou d’opérer le kholʿ et ce, conformément au Livre de Dieu...
Les juristes divergent quant au pouvoir des arbitres et son étendue - et ce n’est pas notre propos, mais nous nous étonnons de l’homme qui s’est gravement disputé avec son épouse et comment malgré tout il reste attaché à son mariage et à la survie de son couple ! Une autre chose nous interpèle : la société est intervenue au nom de Dieu pour résoudre le conflit et préserver la cellule familiale. Alors qu’aujourd’hui une femme peut-être répudiée pour une livre de viande qu’elle n’a pas achetée et que l’homme a exigée !
À vrai dire, les affaires des femmes sont entourées de crises intellectuelles, ethiques, sociales et économiques. De même, les textes narrés ont besoin d’être revus intelligemment de même que certaines opinions juridiques (fatwas) héritées et des coutumes mauvaises qui laissent leur empreinte sur la conduite des gens. Il nous faut étudier soigneusement nos maux, une étude qui fait la différence entre la révélation et ce qui est venu s’y immiscer et entre ce qui doit être combattu ou au contraire conservé parmi les coutumes de notre communauté.
Cet article est traduit par nos soins du livre de Cheikh Muhammad Al-Ghazâlî intitulé Les Problèmes de la Femme Entre des Traditions Stagnantes et des Traditions Etrangères. Ce livre est une compilation d’articles de journaux destinés à une audience très large, il ne s’agit pas d’un traité de jurisprudence à proprement parler.
Sur le même thème, on peut consulter sur le web une page du site Musulmane et Fière de l’être.
[1] Sourate 99, Az-Zalzalah, La Secousse, versets 7 & 8.
[2] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 228.
[3] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 231
[4] Sourate 4, An-Nisâ’, Les Femmes, verset 34.
[5] Sheikh Al-Ghazâlî fait ici allusion au verset 1 de la sourate 65.
[6] Abû At-Tayyib : le célèbre poète classique, Al-Mutanabbî.
[7] Sourate 4, An-Nisâ’, Les Femmes, verset 35.
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