samedi 6 janvier 2001
[1]
Un jour, je rencontrai un quadragénaire au ton vif. Il s’adressa à moi tout excité : "Est-ce toi qui donne la fatwa stipulant que le visage de la femme et sa voix ne sont pas une ʿawrah ?"
- Je répondis calmement : "Oui".
- Il dit : "Ne crains-tu pas Allâh ?"
- Je dis : "Je te recommande ainsi qu’à moi-même de craindre Allâh..."
- Il dit : "L’opinion que tu donnes aux gens est erronnée et tu devrais te repentir !"
- Je dis : "Je ne suis pas le seul fautif car les grands exégètes m’ont précédé à cette erreur comme m’y ont précédé les narrateurs de dix hadîths authentiques et ont partagé mon tort les imâms des quatre écoles de jurisprudence ainsi que nombre d’autres écoles du fiqh. Je tiens ma fatwa de tous ces gens et je les ai suivi dans leur erreur. Et je n’éprouve aucune honte si nous faisons tous l’objet d’une même accusation..."
- Il s’étonna : "Mais que dis-tu ? Tous ces gens sont d’avis que le visage de la femme et sa voix ne sont pas une ʿawrah ?
- Oui, dis-je, mais vous préférez les traditions qui règnent et vous vous agrippez aux opinions récusées. Puis, supposons qu’il y ait deux opinions sur cette question et que je choisisse l’une des deux opinions, à quoi bon la colère et l’insolence ? As-tu entendu le hadîth de Salmân et Abû Ad-Dardâ’ ?
- Non !, dit-il.
- Ecoute, dis-je : Al-Bukhârî rapporte d’après Abû Juhayfah : "Le Prophète - que la paix et les salutations de Dieu soient sur lui - a scellé une fraternité entre Salmân Al-Fârisî et Abû Ad-Dardâ’... Salmân rendit visite à Abû Ad-Dardâ’ un jour et trouva Umm Ad-Dardâ’ négligée - portant des habits dépourvues de beauté. Il lui dit : "Que t’arrive-t-il ?" - "Pourquoi cette apparence [repoussante] ?" - Elle répondit : "Ton frère Abû Ad-Dardâ’ ne manifeste pas d’intérêt pour les femmes (!)".
Abû ad-Dardâ’ rentra et fit à manger puis il dit à Salmân : "Mange car, moi, je jeûne." Salmân dit : "Je ne mangerai pas sans toi" Alors il mangea - il rompit son jeûne pour honorer l’invité. Quand la nuit tomba, Abû Ad-Dardâ’ se leva pour prier mais Salmân lui dit de se coucher alors il se coucha. Puis, il se leva à nouveau mais une fois de plus Salmân lui dit de se coucher et Abû Ad-Dardâ’ d’obéir. A la fin de la nuit, Salmân le réveilla et ils prièrent tous ensemble. Puis salmân dit : "Ton Seigneur a des droits sur toi, et tu as des droits sur toi-même et ta femme a des droits sur toi, alors donne à chacun ce qui lui revient de droit. Abû Ad-Dardâ’ alla voir le Prophète et lui raconta cette histoire. Alors, le Prophète lui dit : "Salmân a raison".
Et ce qui m’intéresse dans ce récit c’est le dialogue qui eut lieu en son début. Car si un tel échange avait lieu de nos jours, on aurait passé l’invité à tabac et assassiné la femme ! On dirait à l’homme : "Pourquoi regardes-tu les vêtements de l’épouse ? Et à quoi rime ta remarque non sollicitée ? Et on dirait à l’épouse : "Comment se fait-il que tu te plaignes de ton mari et que tu dévoiles de la sorte son désintéressement envers toi ?"
Mais les mentalités (al-fitrah) étaient saines à l’époque des compagnons et excluait toute idée déplacée. Seulement, quand les esprits se sont pollués, le poète dit :
idhâ sâ’a fiʿl ul-mar’i sâ’at dhunûnuhû wa saddaqa mâ yaʿtâduhû min tawahhumi
Traduction
Quand les oeuvres de l’individu deviennent mauvaises,
ses pensées le deviennent aussi,
et il croit les illusions auxquelles il est accoutumé.
Sur ce, nous constatons que les esprits malsains décrivent le dévoilement du visage comme une turpitude et jugent qu’il est illicite car il est, selon leur jugement invalide, une porte vers les grands péchés - que Dieu nous en préserve.
Cet article est traduit par nos soins du livre de Cheikh Muhammad Al-Ghazâlî intitulé Les Problèmes de la Femme Entre des Traditions Stagnantes et des Traditions Etrangères. Ce livre est une compilation d’articles de journaux destinés à une audience très large, il ne s’agit pas d’un traité de jurisprudence à proprement parler.
[1] "ʿawrah" désigne les parties du corps de l’homme ou de la femme qu’il est canonique de couvrir par un vêtement.
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