mercredi 24 septembre 2003
Il est par ailleurs une chose qui ne relève pas des droits accordés par la loi, qui n’est ni imposée par la justice, et que le pouvoir exécutif ne peut faire respecter par la force. Il s’agit de l’esprit de tolérance qui se traduit dans les rapports cordiaux, les relations de bon voisinage et la teneur en bonté, miséricorde et bienfaisance des sentiments humains. Ce sont des choses nécessaires à la vie quotidienne et vis-à-vis desquelles la loi et la justice ne sont d’aucun secours. Cet esprit existe à peine en dehors de la société musulmane.
Cette tolérance se manifeste clairement dans le verset du Coran traitant des parents mécréants qui essayent d’entrainer leur enfant du monothéisme vers le polythéisme : "Mais accompagne-les ici-bas avec bienfaisance." [1]
De même, le Coran incite à la bonté et à l’équité envers les non-musulmans qui ne combattent pas les musulmans pour leur religion : "Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Certes, Allah aime les équitables." [2]
Dans le Coran également, les vertueux parmi les Serviteurs de Dieu sont décrits en ces termes : "Ils offrent la nourriture, malgré l’amour qu’ils en ont, au pauvre, à l’orphelin et au prisonnier de guerre." [3] sachant que les prisonniers de guerre à l’époque étaient exclusivement des polythéistes.
Au doute qui traversa certains esprits musulmans quant au fait d’entretenir financièrement leurs proches ou leurs voisins polythéistes endurcis, le Coran répondit : "Ce n’est pas à toi de les guider, mais c’est Allah qui guide qui Il veut. Et tout ce que vous dépensez de vos biens sera à votre avantage, et vous ne dépensez que pour la recherche de la Face d’Allah [4]." [5]
Muhammad Ibn Al-Hasan, le compagnon de Abû Hanîfah et le consignateur de sa jurisprudence, rapporta que, lors d’une année de sécheresse, le Prophète - paix et bénédictions sur lui - envoya aux habitants de la Mecque de l’argent destiné aux pauvres et ce, malgré la souffrance et la peine que les mecquois lui avaient fait endurer auparavant, lui et ses compagnons. [6]
Ahmad et les deux Sheikhs [7] rapportèrent de la part de Asmâ’ Bint Abî Bakr : "Ma mère idolâtre me rendit visite à l’époque du traité avec Quraysh. J’allai voir le Prophète - paix et bénédictions sur lui - et lui demandai : ’Ô Messager d’Allâh, ma mère est venue vers moi, puis-je lui manifester de la bonté ?’ Il répondit : ’Oui, sois bienfaisante avec elle.’" [8]
Concernant l’éthique du débat avec les opposants, le Coran enseigne : "Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre, sauf ceux d’entre eux qui sont injustes. Et dites : Nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même." [9]
Cette tolérance se manifesta également dans les rapports du Messager - paix et bénédictions sur lui - avec les Gens du Livre, qu’ils soient juifs ou chrétiens. Il leur rendait visite et les honorait. Il était bon envers eux, se rendait au chevet de leurs malades et avait des échanges et des transactions avec eux.
Ibn Ishâq rapporta dans la Sîrah : "Lorsque la délégation de Najrân - des chrétiens - vint voir le Messager - paix et bénédictions sur lui - à Médine, elle le trouva dans sa mosquée après la prière du ʿasr [10]. Lorsque vint l’heure de leur prière, ils s’apprêtèrent à prier dans la mosquée. Les gens voulurent les en empêcher mais le Messager - paix et bénédictions sur lui - leur ordonna de les laisser faire. Ils se tournèrent alors vers l’est et accomplirent leur prière." Le savant juriste Ibn Al-Qayyim commenta ce récit dans Al-Hady An-Nabawî soulignant les règles juridiques qu’il recèle : l’autorisation pour les gens du Livre de pénétrer dans les mosquées des musulmans, la permissibilité d’accomplir leur prière en présence de musulmans, et même dans leurs mosquées, à condition que cela n’ait lieu que de manière occasionnelle et ne devienne pas une habitude. [11]
Abû ʿUbayd rapporta dans Al-Amwâl selon Saʿîd Ibn Al-Musayyab que le Messager de Dieu - paix et bénédictions sur lui - fit une aumône à une famille juive et qie celle-ci continua alors à percevoir cette allocation de la part de l’État musulman.
Al-Bukhârî rapporta selon Anas que le Prophète - paix et bénédictions sur lui - se rendit au chevet d’un juif et l’invita à embrasser l’islam, et que celui-ci accepta. Le Prophète sortit de chez lui disant : "Louanges à Dieu Qui l’a sauvé du Feu par mon entremise."
Al-Bukhârî rapporta également que lorsque le Prophète - paix et bénédictions sur lui - décéda, son bouclier était en hypothèque chez un juif afin de subvenir aux dépenses de sa famille. Or, le Prophète aurait tout à fait pu emprunter à ses compagnons, qui ne lui auraient rien refusé. Mais il voulait simplement donner l’exemple à sa communauté.
Par ailleurs, le Prophète - paix et bénédictions sur lui - acceptait les présents offerts par des non-musulmans. Il faisait appel à eux par temps de paix comme par temps de guerre lorsqu’il était sûr de leur loyauté et qu’il ne craignait de leur part aucun mal ni complot. Un jour, un convoi funèbre passa devant lui - paix et bénédictions sur lui - alors il se leva par respect. On lui dit : "Ce sont les funérailles d’un juif !" Il répondit - paix et bénédictions sur lui : "N’est-ce pas une âme humaine ?"
Cette tolérance se manifeste également dans le comportement des compagnons et des successeurs envers les non-musulmans. Ainsi ʿUmar ordonna-t-il qu’une allocation permanente puisée dans le Trésor Public des musulmans soit versée à un juif et à ses enfants. Il ajouta : "Le Très-Haut dit : " Les aumônes ne sont destinées qu’aux pauvres, aux indigents, [...]" [12] et ceux-là sont des pauvres parmi les Gens du Livre." [13] Puis, sur son chemin vers le Shâm, il vit des chrétiens lépreux et ordonna qu’une aide sociale leur soit versée du Trésor Public des musulmans. Enfin, bien qu’il ait été poignardé fatalement par un dhimmi - Abû Lu’lu’ah Al-Majûsî -, cela ne l’a pas empêché sur son lit de mort de faire des recommandations au Calife qui lui succèderait : "Je recommande au Calife qui me succèdera d’être bon envers les gens de la dhimmah, d’honorer leur pacte, de les protéger de leurs agresseurs et de ne pas leur assigner de charge supérieure à leur capacité." [14]
De même, ʿAbdullâh Ibn ʿAmr ordonnait souvent à son serviteur de donner une part de leur viande sacrifiée à son voisin juif. Il y veillait tellement, et répétait l’ordre à chaque fois, que le serviteur s’en étonna et lui demanda la raison d’autant de sollicitude envers un voisin juif. Ibn ʿAmr expliqua : "Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - dit : ’Jibrîl n’avait de cesse de me recommander la bonté envers le voisin que je finis par croire qu’il allait lui accorder une part d’héritage.’" [15]
Lorsque la mère d’Al-Hârith Ibn Abî Rabîʿah - qui était chrétienne - décéda, les compagnons du Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - accompagnèrent son cortège funèbre. [16] De même, certains nobles successeurs donnaient une partie de zakât al-fitr [17] à des moines chrétiens et n’y voyaient aucun inconvénient. Certains d’entre eux, comme ʿIkrimah, Ibn Sîrîn et Az-Zuhrî - étaient même d’avis que l’on pouvait leur verser une partie de la zakât à proprement parler [18]. Ibn Abî Shaybah rapporta que Jâbir Ibn Zayd fut interrogé au sujet de l’aumône : Qui est habile à la recevoir ? Il répondit : "Vos coreligionnaires musulmans et les gens de leur dhimmah." [19]
Le Grand Juge ʿIyâd dit dans Tartîb Al-Madârik : "Ad-Dâraqutnî rapporta que le Juge Ismâʿîl Ibn Ishâq [20] reçut la visite du Vizir ʿAbdûn Ibn Sâʿid, le Vizir chrétien du Calife abbasside Al-Muʿtadid Billâh. Il se leva alors et l’accueillit avec égards. Voyant que cela avait choqué l’assistance, il attendit que le Vizir soit parti et dit : ’Je constate que vous avez désavoué mon geste, mais Allâh le Très-Haut dit : ’Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures.’ [21] et cet homme veille aux affaires des musulmans et est notre ambassadeur auprès d’Al-Muʿtadid... Lui réserver un bon accueil fait partie de la bienfaisance.’" [22]
Enfin, cette tolérance se manifeste dans les prises de position de bon nombre d’Imâms et de Juristes, qui défendaient les dhimmis et considéraient leur honneur et leurs choses sacrées au même titre que les choses sacrées des musulmans. En guise d’illustration, nous avons précédemment cité l’exemple de l’Imâm Al-Awzâʿî et de l’Imâm Ibn Taymiyah.
Nous nous contenterons donc des paroles lumineuses du juriste des fondements, Shihâb Ad-Dîn Al-Qarâfî, expliquant ce qu’est la bienfaisance que Dieu ordonne aux musulmans à l’égard des dhimmis. Il cita entre autres choses : l’aménité envers leurs faibles, l’assistance envers leurs pauvres, nourrir les affamés, vêtir les dénudés, la bonne parole - par urbanité et miséricorde, et non par peur ni obséquiosité -, supporter les torts du voisinage le cas échéant, même si l’on a la capacité de supprimer l’objet du grief par soi-même et ce, par mansuétude et non par peur ni convoitise, prier afin qu’ils soient guidés, et qu’ils fassent partis des bienheureux, leur prodiguer le bon conseil dans toutes leurs affaires, au plan de la religion et au plan de la vie ici-bas, ne pas les médire même s’ils font du tort à autrui, préserver leurs biens, leurs enfants, leur honneur, ainsi que tous leurs droits et leurs intérêts, les aider à repousser l’injustice et à obtenir tous leurs droits etc. [23]
Traduit de l’arabe du site qaradawi.net.
[1] Sourate 31, Luqmân, verset 15.
[2] Sourate 60, Al-Mumtahanah, l’Eprouvée, verset 8.
[3] Sourate 76, Al-Insân, l’Homme, verset 8.
[4] La recherche de la Face d’Allah : la recherche de Son Agrément.
[5] Sourate 2, Al-Baqarah, la Vache, verset 272.
[6] Sharh As-Siyar Al-Kabîr, volume 1, p. 144.
[7] On entend par les deux Sheikhs l’Imâm Al-Bukhârî et l’Imâm Muslim.
[8] Tafsîr Ibn Kathîr, volume 4, p. 349.
[9] Sourate 29, Al-ʿAnkabût, l’Araignée, verset 46.
[10] Le ʿasr : prière musulmane de l’après-midi.
[11] Zâd Al-Maʿâd, volume 3. Editions As-Sunnah Al-Muhammadiyyah.
[12] Sourate 9, At-Tawbah, le Repentir, verset 60.
[13] Al-Kharâj d’Abû Yûsuf, volume 2, pp. 705-706 et notre livre Fiqh Az-Zakâh, volume 2, pp. 705 et 706.
[14] Rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh, par Yahyâ Ibn Âdam dans Al-Kharâj p. 74, et par Al-Bayhaqî dans ses Sunan, volume 9, p. 206, chapitre des recommandations envers les Gens du Livre.
[15] Récit rapporté par Abû Dâwûd dans ses Sunan dans le chapitre de la bienséance, par At-Tirmidhî dans la bonté et l’entretien des liens, par Al-Bukhârî dans Al-Adab Al-Mufrad n°128. Le hadîth similaire attribué directement au Prophète est consensuel.
[16] Op. Cit., Fiqh Az-Zakâh.
[17] zakât al-fitr : aumône alimentaire due à la fin du jeûne du mois de Ramadan. NdT.
[18] La zakât, sans autre précision, désigne le troisième pilier de l’islam c’est-à-dire l’aumône légale purificatrice due annuellement sur la fortune des riches en faveur des démunis. NdT
[19] Ibn Hazm, dans Al-Muhallâ, volume 5, p. 117.
[20] Le Juge Ismâʿîl Ibn Ishâq, une référence malékite et Grand Juge de Baghdâd, décédé en 282 A.H. Conférer sa biographie dans Tartîb Al-Madârik, volume 3, pp. 166 - 181, éditions Dâr Al-Hayâh, Beirouth, vérifié et annoté par Dr. Ahmad Bakîr Mahmoud.
[21] Sourate 60, Al-Mumtahanah, L’éprouvée, verset 8.
[22] Ibid, p. 174.
[23] Al-Furûq, volume 3, p. 15.
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