samedi 10 avril 2004
Il arrive souvent que soient promulgués de bonnes législations, des lois justes et des principes précieux, mais que ceux-ci restent lettres mortes, non appliqués et négligés par ceux qui détiennent le pouvoir exécutif. Toutefois, les principes et les lois islamiques se distinguent par leur origine divine et leur nature religieuse. C’est la raison pour laquelle ils furent reçus et acceptés de bon gré plus que toute autre législation ou loi promulguée par les hommes. L’histoire de la Communauté musulmane, aux différentes époques et dans les diverses contrées qu’elle a connues, témoigne des plus belles expressions de tolérance à laquelle les hommes continuent à aspirer aujourd’hui dans la plupart des pays du monde, sans jamais la trouver.
Dans notre étude que voici, nous avons vu des exemples éclatants puisés de cette Histoire rayonnante, exemples illustrant l’essence et l’extension de la tolérance musulmane. Nous avons par ailleurs retracé l’esprit de cette tolérance et le fondement intellectuel et idéologique sur lequel elle s’appuie.
Il convient d’ajouter à ceci une nouvelle page sur le traitement des dhimmis aux époques omeyyade et abbasside, afin de conforter les acquis que nous avons au sujet de la tolérance de l’Islam et des Musulmans. Nous nous sommes déjà longuement étendu sur la justice et la tolérance dont faisaient preuve les Califes Bien-Guidés. Concernant maintenant la tolérance à l’époque omeyyade, je me contenterai de citer ces lignes tirées de The Story of Civilisation (L’Histoire de la Civilisation) de Will Durant : "A ces dhimmi - chrétiens, zoroastriens, sabéens, juifs - le califat omeyyade offrit un degré de tolérance rarement égalé dans les pays chrétiens contemporains. Ils pouvaient pratiquer librement leur foi et conserver leurs églises, à condition de porter un vêtement distinctif couleur de miel et de payer une capitation de un à quatre dinars (4,75 à 19 dollars) par an selon leur revenu. Cet impôt n’incombait qu’aux non-musulmans aptes au service militaire ; il ne frappait pas les moines, les femmes, les adolescents, les esclaves, les vieillards, les estropiés, les aveugles ou les très pauvres. En revanche, les dhimmi étaient dispensés (ou exclus) du service militaire, étaient exemptés de la taxe de deux et demi pour cent pour la charité de la communauté [1] et jouissaient de la protection du gouvernement. Leur témoignage n’était pas admis dans les tribunaux musulmans, mais on leur laissait leur autonomie sous leurs propres chefs, juges et loi." [2]
Quant à la condition des dhimmis à l’époque abbasside - âge d’or de la civilisation islamique -, il nous suffit, pour en donner un aperçu, de citer cet extrait de l’ouvrage du Docteur Al-Kharabûtlî, intitulé Al-Islâm wa Ahl Adh-Dhimmah (L’Islam et les Dhimmîs), dans lequel l’auteur se réfère aux principales sources historiques, voire aux écrits des orientalistes eux-mêmes. Le Docteur Al-Kharabûtlî écrit :
"On connut, parmi les dhimmîs de l’ère abbasside, un grand nombre de célèbres personnages, comme Jurjîs Ibn Bukhtîshûʿ, qui était le médecin attitré du Calife abbasside Abû Jaʿfar Al-Mansûr et en qui ce dernier avait placé sa confiance et son estime. On peut également citer l’exemple de Jibrâ’îl Ibn Bukhtîshûʿ, qui était le médecin attitré de Hârûn Ar-Rashîd et dont celui-ci disait : "Que celui qui a une réclamation à me faire s’adresse à Jibrâ’îl car je fais tout ce qu’il me demande." Le salaire mensuel de ce médecin s’élevait par ailleurs à dix mille dirhams. L’on peut encore citer le célèbre Mâsawayh dont le salaire annuel s’élevait à mille dirhams et à qui Ar-Rashîd accordait une prime annuelle de vingt-mille dirhams." [3]
Tritton a également fait l’éloge de la tolérance des musulmans [4] : "Les auteurs musulmans sont généreux dans la reconnaissance du mérite de ces gens qui n’étaient pas de leur religion. Hunayn, qui vécut au temps d’Al-Ma’mûn, est ainsi qualifié de "plus grand médecin de son époque". Hibat Allâh Ibn Tilmîdh est surnommé "l’Hippocrate de son temps et le Galien de son époque".
[...] Bukhtîshûʿ Ibn Jibrâ’îl avait les faveurs du Calife [Al-Mutawakkil], à un tel point qu’il portait les mêmes vêtements, jouissait du même respect, possédait la même richesse, les mêmes chevaux, les mêmes esclaves et les mêmes concubines que le Calife lui-même.
[...]
Lorsque Salmawayh tomba malade, Al-Muʿtasim envoya son fils pour lui rendre visite ; et lorsqu’il décéda, ses obsèques furent célébrées dans le palais du Calife, avec des bougies et de l’encens, à la manière des Chrétiens. Ce jour-là, Al-Muʿtasim s’abstint de manger.
[...]
Yuhannâ Ibn Mâsawayh servit les califes qui se succédèrent entre Ar-Rashîd et Al-Mutawakkil et était toujours présent à leurs repas. Il était d’ailleurs un favori suffisamment proche d’Al-Mutawkkil pour qu’il soit autorisé à le taquiner gentiment."
Beaucoup de dhimmîs furent également célèbres dans le domaine des lettres et des arts. Tritton écrit : "Durant le premier et le deuxième siècles, les relations entre les Arabes et leurs sujets, dans le domaine des lettres et des arts, étaient très amicales. Une grande partie de cette vieille amitié se prolongea d’ailleurs dans les siècles postérieurs. Nous avons déjà indiqué que le gouvernement employait par exemple des non-Musulmans en tant qu’ingénieurs et architectes.
[...] de célèbres dhimmîs étudièrent auprès de professeurs musulmans.
Hunayn Ibn Ishâq étudia ainsi auprès d’Al-Khalîl Ibn Ahmad et de Sîbawayh, au point qu’il devint un maître de la langue arabe [5]. Yahyâ Ibn ʿAdî Ibn Hamîd, qui était l’élève d’Al-Farâbî, devint le plus grand logicien de son époque. Thâbit Ibn Qurrah était l’élève de Muhammad Ibn Mûsâ, qui le présenta lui-même à Al-Muʿtadid. Ibn Jazlah étudia auprès de ʿAlî Ibn Al-Walîd, un Muʿtazilite ; son écriture était magnifique et il était un brillant homme de lettres. Ses livres révèlent la qualité de son esprit et la profusion de ses connaissances. Plus tard, il embrassa l’Islam [6]."
L’historien Tritton donne un exemple de la tolérance des Abbassides à l’égard des dhimmîs. Il écrit :
"Ibrâhîm Ibn Hilâl constitue un bon exemple de ce à quoi pouvait aspirer un dhimmî. Il détenait de hautes fonctions administratives, était chanté par les poètes, et se vit proposer par Bakhtiyâr Al-Buwayhî le poste de vizir s’il acceptait de se convertir à l’Islam ; mais il refusa. Ses relations avec les Musulmans étaient cordiales. Il échangeait des lettres, des cadeaux et des présents avec le Sâhib Ismâʿîl Ibn ʿAbbâd ainsi qu’avec le Sharîf Ar-Ridâ. Il connaissait le Coran. [7]"
Les auteurs musulmans s’intéressaient par ailleurs à l’étude des autres religions et doctrines. "Ibn Hazm Al-Andalusî (mort en 456) avait une excellente connaissance de la Bible et de la théologie chrétienne. Ibn Khaldûn connaissait la forme externe de la Bible et avait quelques notions sur l’organisation de l’Église. Il mentionna ces choses dans les Prolégoménes à l’étude de l’histoire. [...] Al-Qalqashandî estimait qu’il était indispensable pour un secrétaire de connaître les fêtes religieuses des dhimmîs. [...] Al-Maqrîzî donne ainsi de nombreux détails concernant les fêtes chrétiennes et juives ; il décrit les différentes sectes, donne une liste des patriarches d’Alexandrie [...]." Al-Qazwînî et Al-Masʿûdî ont également parlé des sectes dhimmies. Tout ceci peut être retrouvé dans l’ouvrage d’Al-Masʿûdî, At-Tambîh Wal-Ishrâf.
Tritton reconnaît également la tolérance des gouverneurs musulmans quand il écrit : "Il faut reconnaître que l’attitude des gouverneurs [à l’égard des dhimmîs] était souvent meilleure que ce qu’imposait la loi. Des lieux de culte étaient construits dans des villes purement arabes [...]. On trouvait toujours des Juifs et des Chrétiens dans la fonction publique, et ils occupaient parfois les plus hauts postes. Ils pouvaient amasser des richesses ; [...] les Musulmans saisissaient l’occasion des fêtes chrétiennes pour en faire des moments de gaieté." [8]
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî, Ghayr Al-Muslimîn fî Al-Mujtamaʿ Al-Islâmî, disponible en ligne sur le site Qaradawi.net.
[1] Cette taxe, terme utilisé par l’auteur pour désigner la zakâh, n’est pas payée sur le revenu annuel, mais sur le capital investi et les bénéfices. C’est par exemple la taxe sur les avoirs ou la taxe commerciale. D’autres type de zakâh, comme la taxe agricole, s’élèvent à 10% ou 5% selon le mode d’irrigation de la terre, et ce, conformément à la juridiction légale.
[2] Conférer The Story of Civilisation (L’Histoire de la Civilisation), tome 10, pages 369-370, traduction de François Vaudou, éditions Rencontre, mars 1963.
[3] Conférer Al-Islâm wa Ahl Ad-Dhimmah (L’Islam et les Dhimmîs), page 170.
[4] Conférer Caliphs and their Non-Muslim Subjects (Les Califes et leurs Sujets non-musulmans), pages 158-163, éditions Idarah-i- Adabiyyat-i-Delli, 2002 ; traduit de l’anglais par nos soins. NdT
[5] Conférer Al-Aghânî d’Al-Asfahânî, volume huit, en note de la page 136.
[6] Conférer Tabaqât Al-Atibbâ’ d’Ibn Abî Usaybiʿah, volume premier, page 185.
[7] Conférer Wafiyyât Al-Aʿyân d’Ibn Khallikân, volume trois, page 256.
[8] Conférer Caliphs and their Non-Muslim Subjects (Les Califes et leurs Sujets non-musulmans), pages 231-232, éditions Idarah-i- Adabiyyat-i-Delli, 2002 ; traduit de l’anglais par nos soins. NdT
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