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Les non-musulmans dans la société islamique
Section : Les devoirs des dhimmis

L’impôt commercial

lundi 25 août 2003

ʿUmar Ibn Al-Khattâb imposa aux gens de la dhimmah le versement d’un impôt commercial annuel s’élevant au vingtième du fonds commercial, si les marchandises transitaient d’un pays à l’autre. Cet impôt commercial est similaire aux taxes douanières qu’on paie de nos jours.

Selon Anas Ibn Mâlik - que Dieu l’agrée - et Ziyâd Ibn Hudayr, on prenait des commerçants musulmans le quarantième du capital alors que les commerçants dhimmis payaient le double c’est-à-dire un vingtième. Les commerçants des pays ennemis payaient quant à eux le dixième [1].

La somme imposable aux commerçants musulmans était en fait l’aumône légale purificatrice, la zakâh, prélevable sur les fonds commerciaux, et ce, que les marchandises aient transité ou non d’un pays à un autre, et il n’y a aucune contestation juridique à cet égard. Mais ce qui était imposé aux commerçants des pays ennemis était fondé sur le principe de réciprocité (rendre la pareille). Quand on demanda à Ziyâd Ibn Hudayr : "De qui preniez-vous le dixième du fonds ?", il répondit : "Nous ne le prenions ni d’un musulman ni d’un dhimmî, mais des commerçants de la guerre qui prenaient de nous le dixième de nos fonds quand nous nous rendions chez eux." [2] Ainsi, comme l’a souligné Abû ʿUbayd, le code commercial, en ce qui concerne ces deux catégories de commerçants, était parfaitement clair et limpide [3].

Sur la raison pour laquelle les gens de la dhimmah devaient payer le vingtième, les points de vue des juristes sont variés : l’Imâm Abû ʿUbayd considérait cet impôt comme l’une des conditions auxquelles les dhimmis s’engagèrent dans le traité de paix que ʿUmar avait conclu avec eux. Il dit : "Je ne parvenais pas à me décider concernant l’impôt commercial prélevé sur les gens de la dhimmah. Je me dis qu’ils ne sont ni musulmans pour payer l’aumône (c’est-à-dire le quarantième) ni des commerçants de pays ennemis pour qu’on prenne d’eux le dixième comme ils le faisaient avec nous. Je demeurai perplexe jusqu’à ce que je prenne connaissance d’une tradition de ʿUmar dans laquelle je remarquai qu’il y établissait avec les dhimmis un pacte selon lequel ils devaient payer, outre la capitation (jizyah) et l’impôt foncier (kharâj), l’impôt commercial." Abû ʿUbayd cita cette tradition, en ajoutant : "Je pense que le fait de prendre l’impôt commercial de leurs commerçants faisait partie des clauses du pacte ; par conséquent, il constitue actuellement un dû redevable aux musulmans." [4]

L’Imâm Ibn Shihâb Az-Zuhrî, le célèbre juriste de la génération des Successeurs [5], avait une autre interprétation, citée par Abû ʿUbayd qui souligna toutefois qu’il préférait l’autre avis. Abû ʿUbayd relate : "Ishâq Ibn ʿÎsâ nous a informés que Mâlik Ibn Anas demanda à Ibn Shihâb Az-Zuhrî : "Pourquoi ʿUmar prélevait-il le vingtième sur les dhimmis ?" Celui-ci répondit : "On prélevait déjà cet impôt commercial sur les dhimmis avant l’Islam, et ʿUmar n’a fait qu’entériner cette pratique."

Selon Abû ʿUbayd, la première interprétation convient le plus au personnage de ʿUmar ; et Mâlik, lui-même, était pour cette opinion.

Certains savants hanafites justifièrent le fait de prendre du dhimmi le double du musulman par le fait que cet impôt était payé en contrepartie de la protection garantie par l’Etat islamique. Or le dhimmi a besoin de plus de protection que le musulman car les voleurs convoitent davantage les marchandises des gens de la dhimmah [6].

D’autre part, le Professeur Abû Al-Aʿlâ Al-Mawdûdî avance une justification différente : il fait remarquer que la plupart des musulmans étaient à cette époque mobilisés pour défendre la nation musulmane, alors tout le commerce était entre les mains des dhimmis. Ce serait pourquoi les juristes pensèrent qu’il vaudrait mieux diminuer l’impôt payé par les commerçants musulmans pour les encourager à faire du commerce et pour sauvegarder leurs intérêts commerciaux [7].

Or, il est clair que les juristes établirent cette loi en s’inspirant du modèle de ʿUmar. Il est donc plus seyant d’attribuer cette loi à ʿUmar, non aux juristes. Il est également plus seyant de dire que les juristes ont augmenté la part imposable aux commerçants non musulmans pour stimuler les commerçants musulmans à faire du commerce et pour sauvegarder leurs intérêts commerciaux car ce qui était nouveau, ce n’était pas la diminution des impôts payés par les musulmans, mais plutôt l’augmentation des impôts payés par les non musulmans.

Cette diversité des points de vue concernant la justification de cette affaire est due au fait qu’il n’existe pas de texte coranique ou de parole prophétique qui en traitent. Il ne s’agit que d’une inititative de ʿUmar - que Dieu l’agrée - qui lui était dictée par l’intérêt de la Communauté et la politique légale. Même si nous adoptions l’opinion d’Abû ʿUbayd qui trouve le comportement de ʿUmar conforme à un pacte conclu avec les dhimmis, il demeure que les clauses de ce pacte étaient basées sur des intérêts partagés ainsi que sur des repères spatio-temporels susceptibles d’évoluer.

Pour moi, la meilleure justification est celle avancée par le Docteur ʿAbd Al-Karîm Zaydân : la duplication de l’impôt payé par le dhimmi est dû au fait qu’on ne prenait de ses fonds que l’impôt commercial qu’il payait sur ses fonds commerciaux lorsqu’il tranférait ses marchandises d’un pays à un autre. En revanche, on ne prenait du dhimmi aucun impôt ni sur les biens commerciaux dont il disposait dans son pays, ni sur ceux qu’il possédait sous forme d’or ou d’argent, ni sur ses produits agricoles, ni encore sur ses bestiaux ; et ce contrairement au musulman de qui on prélevait la zakâh sur tous ces biens. Par conséquent, les charges financières que le musulman assumait étaient plus considérables que celles assumées par le dhimmi. Il était de plus impossible de faire payer au musulman un impôt égal à celui que payait le dhimmi car ce qu’on prenait du musulman était une vraie zakâh dont la valeur était fixée et qu’on ne pouvait pas augmenter puisque c’était un acte cultuel.

L’on pourrait nous opposer que le dhimmi, qui payait également la capitation et la taxe foncière, assumait les mêmes charges que le musulman. Nous répondons dans ce cas que la taxe foncière n’est pas payée exclusivement par le dhimmi : car même si celui-ci se fait musulman, cette taxe lui est toujours imposable ; de même, si le musulman possède une terre imposable, alors il devra payer la taxe. Pour la capitation, même si elle est uniquement payée par le dhimmi, sa valeur demeure très restreinte et n’est pas prélevable sur tous les dhimmis. Seuls ceux en mesure de porter les armes doivent la payer. Le dhimmi est ainsi exempté de la capitation s’il est convoqué au service militaire [8].

Par conséquent, si la situation était amenée à changer et qu’on imposait au dhimmi des impôts sur ses biens - déclarés ou non (bestiaux, céréales, fruits, argent, fonds et commerce) - équivalents à ce qu’on prélève au musulman, on pourrait alors, sans aucun grief, prendre du commerçant dhimmi le même impôt que celui payé par le musulman.

P.-S.

Traduit de l’arabe du site qaradawi.net.

Notes

[1Conférer Al-Amwâl, de l’Imâm Abû ʿUbayd Al-Qâsim Ibn Salâm, avec les annotations de Muhammad Khalîl Harâs, édition Ash-Shurûq, Le Caire, pp. 710-712.

[2Ibid, p.706.

[3Ibid, p.709.

[4Ibid, pp.709-710

[5Les Successeurs sont la génération suivant celle des Compagnons. NdT

[6Conférer Sharh Al-ʿInâyah ʿalâ Al-Hidâyah, volume 1, p. 532.

[7Conférer, Abû Al-Aʿlâ Al-Mawdûdî, Huqûq Ahl Adh-Dhimmah fî Ad-Dawlah Al-Islâmiyyah (Les droits des gens de la dhimmah au sein de l’Etat islamique), édition Dâr Al-Fikr, p.25

[8Conférer Ahkâm Adh-Dhimiyyîn wa Al-Musta’manîn fî Dâr Al-Islâm (Les lois sur les dhimmis et les protégés en terre d’Islam), p.186

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