mardi 6 juillet 2004
On pourrait se demander : Où est le rôle des savants dans la lutte contre cette anarchie ? La réponse à cette question nécessite quelques développements. Les gens doués d’une grande intelligence et d’une forte énergie ont en effet été combattus par le despotisme politique. Leurs rassemblements ont été dispersés et leur cercle d’action rétréci si bien que l’empreinte que l’on est en droit d’attendre de leur part s’est réduite comme peau de chagrin.
Il n’y a guère que la tristesse que nous puissions éprouver devant l’assassinat ou l’humiliation des leaders de la pensée religieuse qui ont été empêchés d’accomplir leur devoir envers les masses populaires. Leur absence a alors laissé le champ libre devant des marchands de hadîths qui s’empêtrent comme de beaux diables dans la Noble Sunnah, et devant des juristes des branches secondaires qui trompent les masses avec leur marchandise en donnant l’illusion d’expliquer la quintescence de la religion et les grandes branches de la foi, alors qu’en réalité ils ne font que citer des détails secondaires sujets à toutes sortes d’arguments et de contre-arguments et qui ne touchent en rien à l’essence du dogme ou de la loi.
Les nobles hadîths - après l’examen de leurs chaînes de narration - requièrent un juriste sachant comment les situer dans le cadre général de l’islam pur. Hélas, voici que certains se sont mis à rapporter aux masses, par exemple, le hadîth d’At-Tirmidhî narré d’après Abû Hurayrah, selon qui : "Le Messager de Dieu - paix et bénédictions sur lui - dit : "Les pauvres entreront au paradis cinq cents ans avant les riches." ou encore le hadîth de Abû Dâwûd narré d’après Abû Saʿîd : "J’étais assis avec un groupe de démunis parmi les Muhâjirûn - dont certains se servaient des autres comme écran pour cacher leur nudité - tandis qu’un récitateur psalmodiait pour nous le Coran, lorsque le Messager de Dieu - paix et bénédictions sur lui - arriva et s’arrêta devant nous. Le récitateur s’interrompit. Puis le Messager nous demanda : "Que faisiez-vous ?" Nous répondîmes : "Un récitateur psalmodiait pour nous le Livre de notre Seigneur". Il dit : "Louanges à Dieu Qui a créé dans ma Communauté un groupe en compagnie duquel il m’a été ordonné de m’asseoir", puis il s’assit avec nous. Il fit ce geste de la main - leur demandant de former un cercle. Le visage de chacun des présents apparut alors et je vis que le Messager de Dieu ne reconnaissait que moi dans le groupe ! Il dit alors : "Ô indigents des Muhâjirûn, réjouissez-vous d’une lumière parfaite le Jour de la Résurrection, vous entrerez au paradis cinq cents ans avant les riches.""
Il va de soi que ces hadîths apportent aux démunis la consolation et la bonne nouvelle, sans pour autant signifier qu’il soit honteux d’être riche ni que la richesse abaisse le rang. Cependant, les ignorants parmi les spécialistes du Hadith ont voulu instaurer une société d’indigents en rapportant par exemple des récits stipulant que ʿAbd Ar-Rahmân Ibn ʿAwf rentrerait au Paradis en rampant !
Il s’agit là d’une imbécilité profonde car l’argent est le pilier de la vie et le fondement de l’État, il est le garant des organisations civiles et militaires. Quant à ʿAbd Ar-Rahmân Ibn ʿAwf, il fut d’après la lettre du Coran l’un des premiers devanciers à avoir obtenu l’Agrément Suprême et à avoir reçu d’avance la bonne annonce de son entrée au Paradis...
Faire aimer aux gens la pauvreté, comme le font ces pseudo-spécialistes du Hadith, est un acte criminel.
Si à cela on ajoute le fait que les Arabes dédaignent l’artisanat - rebaignant ainsi dans leur ignorance primitive - et qu’ils lui préfèrent la pauvreté, on voit là quel genre de société de tels préceptes peuvent engendrer.
Le plus étonnant est que ces hadîths étaient narrés alors que certaines couches de la Communauté musulmane s’emplissaient la panse d’argent mal acquis.
Au lieu de rectifier ces travers à l’aide de versets et de traditions authentiques, on a propagé ces récits - et d’autres narrations similaires dans d’autres domaines - ce qui a eu pour effet de dérouter la société et qui a failli lui faire perdre la raison !
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Humûm Dâʿiyah, éditions Nahdat Misr, troisième édition, décembre 1998.
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