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Chagrins d’un prédicateur
Section : La salafiyyah telle que nous la connaissons et telle que nous l’aimons

Mêler le Salaf à la jurisprudence des règlements dérivés

mercredi 26 février 2003

Il est des affaires où l’on mêle le Salaf [1] de force alors qu’il n’a rien à y faire. Que viendrait faire le Salaf dans la jurisprudence des règlements dérivés [2] et dans les différends qui y opposent les Imâms ?

Qui pourrait prétendre qu’Ibn Hambal serait le représentant de la salafiyyah dans ce domaine tandis que Abû Hanîfah, Mâlik et Ash-Shâfiʿî auraient dévié du droit chemin et ne feraient partie que du Khalaf [1] ? Il s’agit là d’un raisonnement puéril...

Certains individus, soi-disant hambalites, dont le Târîkh Baghdâd relate qu’ils pourchassaient les shâfiʿites qui accomplissaient le qunût [3] dans la prière de l’aube, ne sont que des vauriens sans aucun poids. Je suis persuadé que si l’Imâm Ahmad lui-même les avait vus, il les aurait dénoncés et aurait réprouvé leur comportement !

La responsabilité du déchirement de l’unité de la Communauté n’incombe pas tant aux gueux sectaires. La responsabilité retombe plutôt sur les savants qui savent parfaitement que le Messager de Dieu a décrété que le mujtahid reçoit une récompense double lorsqu’il voit juste, et une récompense simple en cas d’erreur.

Admettons par exemple que les hambalites et les hanafites aient raison et qu’il ne faille pas accomplir le qunût dans la prière de l’aube. Qui priverait Mâlik et Ash-Shâfiʿî de la rétribution accordée au mujtahid qui se trompe ? Si, de toute façon, celui qui a un avis différent du nôtre reçoit une rétribution, pourquoi l’insulterions-nous ou lui ferions-nous des difficultés ?

Le problème que nous soumettons aux gens doués d’intelligence concerne certains individus qui pensent avoir le monopole de la vérité et qui considèrent autrui avec mépris ! En réalité, les maladies mentales dont sont atteints ces gens sectaires gouvernent l’ensemble de leurs comportements et, au nom de la religion, ils laissent suinter des bassesses inavouées ! Lorsqu’un boucher se met à délivrer des avis juridiques, on le verra toujours à la recherche d’une victime à sacrifier !

Dans la même veine, je mentionne, non sans ennui, le fait que certains individus nient le recours à la métaphore, condamnent ceux qui en parlent et mettent en doute la foi de ceux qui souscrivent à une telle interprétation.

Un individu me demanda : "Vous rappelez-vous le hadîth demandant d’attendre que la chaleur diminue lors de la prière de midi, parce que la chaleur provient du souffle de la géhenne ?" Je répondis par l’affirmative. Il poursuivit : "On rapporte au sujet du souffle de la géhenne que l’enfer se plaignit à Dieu en ces termes : "Je me consume moi-même". Dieu lui accorda alors deux souffles, l’un en été et l’autre en hiver... Aussi les pics de chaleur que vous éprouvez en été correspondent-ils à l’un des souffles de la géhenne, et les pics de froid que vous ressentez en hiver font-ils partie du froid de l’enfer !" Je dis : "C’est approximativement le sens du hadîth." Il demanda : "Y ajoutez-vous foi ?" Je répondis : "J’ignore où vous voulez en venir. Attendre que la chaleur s’atténue pour prier à midi est une chose souhaitable et ne pose aucun problème. Dieu veut l’aisance pour vous et ne veut point vous imposer de difficulté."

Il reprit : "Ma question porte sur la signification du hadîth. Croyez-vous que la géhenne se soit plainte effectivement et que Dieu l’ait effectivement entendue et soulagée ?" Je répondis avec froideur : "Que le Feu puisse parler de manière intelligible et faire une requête correspond effectivement à la compréhension de certaines personnes. Libre à eux de s’arrêter à cette lecture littéraliste, incapables qu’ils sont d’imaginer une autre interprétation. Néanmoins, il existe une autre interprétation vers laquelle je penche selon laquelle il s’agit d’une figure de style basée sur la métonymie et la métaphore."

L’homme montra alors ses crocs et commença à trembler : "Serait-ce au delà du pouvoir de Dieu de faire parler le Feu ? Notre Seigneur ne peut-Il pas faire parler les pierres ?"

Je répondis avec encore plus de froideur : "Que vient faire ici le pouvoir divin ? Les savants comprennent les textes à la lumière de la langue arabe et conformément aux structures que nous lui connaissons. Naturellement, le pouvoir divin est au-dessus de tout doute et de toute suspicion ! Les anciens Arabes ont prêté aux objets inanimés et aux animaux des paroles que personne ne prendrait au premier degré. J’ai même mentionné en quelque occasion le proverbe arabe où le mur demande à la cheville : "Pourquoi me perfores-tu ?" Et celle-ci de répondre : "Demande à celui qui m’enfonce !" Une autre maxime a été mise dans la bouche d’un taureau désabusé : "On me dévora le jour où le taureau blanc fut dévoré."

Or, ni le mur n’a parlé ni le taureau ne s’est prononcé !"

Je rajoutai désespéré : "Cependant, si vous pensez que le mur et le taureau ont effectivement parlé, alors libre à vous ! Mais ne mêlez ni le Salaf ni le Khalaf à cette affaire !"

Le jeune homme revint à la charge : "Le Coran comporte-t-il des métaphores ?"

Je contrôlai la colère qui faisait rage en moi et je répondis : "Cherchez-vous à raviver des considérations rabâchées par certains savants du Moyen-Âge, aujourd’hui dépassées, et à y occuper les gens ? Tantôt c’est le hadîth de la Supériorité spatiale de Dieu et tantôt c’est le hadîth de la métaphore ?! Que dites-vous des versets suivants :

"Nous mettrons des carcans à leurs cous, qui leur arriveront aux mentons : et voilà qu’ils iront têtes dressées ; et Nous mettrons un barrage devant eux et un barrage derrière eux ; Nous les recouvrirons d’un voile : et voilà qu’ils ne pourront rien voir." [4]

Ces barrages désigneraient-ils le grand barrage d’Assouan ou le barrage de l’Euphrate ? Les carcans désigneraient-ils les chaînes et seraient-ils identiques à ceux que l’on voit parfois aux mains des combattants faits prisonniers ? Ou bien y aurait-il des métaphores dans le Coran ?"

Je poursuivis, mi-rieur : "Lorsqu’Al-Mutanabbî [5] se plut dans la vallée de Bawân, savourant son air, ses ombrages et la lumière qui perçait à travers les feuillages et qui traçait des cercles sur ses vêtements, il dit :

Wa-alqash-sharqu minhâ fî thiyâbî *** Danânîru tafirru min al-banâni

Et l’aurore jeta sur mes vêtements des dinârs insaisissables !

Puis il dit dans une grivoiserie inconvenante :

Yaqûlu bi-shiʿbi bawâni hisânî *** A-ʿan hâdhâ yasârin ilat-tiʿâni
Abûkum âdamu sannal-maʿâsî *** Wa-ʿallamakum mufâraqatal-jinâni

Mon cheval dit dans la vallée de Bawân : quitterai-je cet endroit pour retourner aux souffrances ?
Votre père Adam instaura les péchés et vous apprit à quitter le paradis !

Le cheval d’Al-Mutanabbî se serait-il arrêté dans ce jardin merveilleux pour y faire ce discours infaillible ? Ou bien est-ce Al-Mutanabbî qui prêta ces paroles à son cheval ? Je présume que selon vous, ce serait bien le cheval qui proféra ce blasphème contre les Prophètes et qui devrait, par conséquent, être abattu !"

Ce jeune homme et ses semblables sont excusables. Le tort est imputable à ceux qui les orientent, incapables qu’ils sont de comprendre les crises de la vie contemporaine, de s’élever à la hauteur des événements, de ressentir les douleurs de leur nation ni de se rendre compte des complots qui s’ourdissent contre leur Communauté islamique et contre leur grande religion.

Nous souhaitons une culture qui unit et qui ne divise point, qui se montre tolérante à l’égard de celui qui se trompe et qui ne guette point ses faux-pas, qui va à l’essentiel et qui ne s’attarde point sur la forme...

J’ignore pourquoi nous ne préférons pas le travail productif et silencieux à ces polémiques stériles.

P.-S.

Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Humûm Dâʿiyah, éditions Nahdat Misr, troisième édition, décembre 1998. La version originale est consultable en ligne sur archive.org.

Notes

[1Ce terme désigne nos pieux prédécesseurs, notamment les trois premières générations de musulmans. Le Khalaf désigne quant à lui les générations suivantes de musulmans. NdT

[2La jurisprudence islamique comporte des règlements fondamentaux sur lesquels les juristes s’accordent et des règlements dérivés des premiers sur lesquels leurs opinions peuvent diverger. Dans la terminologie arabe, la jurisprudence des règlements dérivés s’appelle fiqh al-furûʿ. NdT

[3Le qunût consiste à faire des invocations pendant la prière après l’inclination de la deuxième rakʿah et avant la prosternation. NdT

[4Sourate 36, Yâ-Sîn, versets 8 et 9.

[5Al-Mutanabbî est un grand poète classique de la période abbasside. NdT

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