samedi 1er décembre 2001
Les devoirs imposés par la législation islamique que l’homme est tenu d’accomplir en luimême
se subdivisent en deux catégories : des jugements légaux traitant des œuvres apparentes
et d’autres relatifs aux œuvres internes ; ou en d’autres termes : des jugements légaux relatifs
au corps de l’homme, d’autres relatifs à son cœur.
Les œuvres corporelles sont de deux types : des injonctions et des interdits. Les Injonctions
Divines sont, par exemple, la prière, l’aumône, le pèlerinage... Pour ce qui est des interdits,
citons le meurtre, la fornication, le vol, la consommation de vin...
Les œuvres du cœur englobent également des injonctions et des interdits. Pour les injonctions,
il y a la foi en Dieu, en Ses Anges, en Ses Livres, en Ses Messagers... la sincérité, le
contentement satisfait [de Sa Volonté], la véridicité, le recueillement, le fait de compter sur
Lui en tout et pour tout... Des interdits citons la mécréance, l’hypocrisie, l’orgueil, la vanité,
la rancune, la jalousie...
Cette deuxième catégorie, celle des œuvres du cœur, est plus importante pour Le Législateur
que la première catégorie - sachant que les deux sont d’une importance certaine. En effet, le
for intérieur (Bâtin) est la base de l’apparent (Dhâhir) et sa source. Ses œuvres constituent
l’origine des œuvres apparentes. La corruption des œuvres internes gâche les œuvres externes.
A cet égard, Dieu Exalté Soit-Il a dit : « Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur
qu’il fasse de bonnes œuvres et qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son
Seigneur » [1].
C’est d’ailleurs pour cela que le Messager d’Allâh, paix et bénédiction de Dieu sur lui,
dirigeait les compagnons à accorder le plus grand soin à la réforme de leur cœur. Il leur a
montré que la droiture de l’homme dépend de la réforme de son cœur et sa guérison de ses
maladies secrètes et les défauts qui l’habitent. C’est lui, paix et bénédiction de Dieu sur lui,
qui disait : « Il y a certes dans le corps un organe, s’il est bon, tout le corps le sera, et s’il est
corrompu, tout le corps le sera : il s’agit du cœur ». [2]
Aussi, leur apprenait-il, paix et bénédiction de Dieu sur lui, que l’endroit Que Dieu regarde en
Ses Serviteurs c’est le cœur : « Dieu ne regarde pas vos corps, ni vos formes, mais Il regarde
vos cœurs ». [3]
Dès lors que la droiture de l’homme est liée à celle de son cœur, qui est la source dont émane
les œuvres apparentes, il convient qu’il œuvre pour le réformer, le purifier des attributs vils
Que dieu nous a interdits et y loger les nobles caractères que Dieu nous a ordonnés. A ce
moment, le cœur sera sain et bon et son détenteur sera du nombre des victorieux et sauvés :
« le jour où ni les biens, ni les enfants ne seront d’ aucune utilité * sauf à celui qui vient à
Allah avec un cœur sain" [4].
L’Imâm Jalâl Ad-Dîn As-Suyûtî, que Dieu lui fasse miséricorde, dit : « Quant à la science du
cœur et la connaissance de ses maladies - comme l’envie, la vanité et l’hypocrisie - selon
l’Imâm Al-Ghazâlî : c’est une obligation pour chaque musulman (fard ʿayn) » [5].
La purification du cœur et l’éducation de l’être (Nafs) sont parmi les plus importantes
obligations qui incombent à chacun et sont parmi les Ordres Divins les plus prioritaires et ce,
conformément aux preuves puisées dans le Livre, la Sunnah et les paroles des savants.
1. Sa Parole Exalté Soit-Il : « Dis : "Mon Seigneur n’a interdit que les turpitudes,
tant apparentes que secrètes ... » [6].
2. Et Sa Parole Exalté Soit-Il : « N’approchez pas les turpitudes, les apparentes
parmi elles, aussi bien que les secrètes » [7].
1. Tous les hadîths concernant l’interdiction de la rancune, l’orgueil, l’hypocrisie,
l’envie... ainsi que les hadîths ordonnant de faire preuve d’une noble éthique
et de se comporter d’une bonne manière. Le lecteur est prié de s’y référer.
2. le hadîth : « La foi comporte soixante-dix et quelques branches : la plus élevée
consiste en lâ ilâha illâ Allâh (le témoignage qu’il n’y a de divinité qu’Allâh),
la moins élevée c’est d’écarter toute chose nuisible du chemin. La pudeur est
une branche de la foi » [8].
La perfection de la foi s’obtient par le perfectionnement de ses branches et le fait
d’y adhérer pleinement. La foi augmente par l’augmentation de ces attributs et
diminue par leur diminution. Les maladies secrètes sont suffisantes pour annuler
les œuvres de l’homme, même si elles sont nombreuses.
Les savants ont compté les maladies du cœur parmi les péchés capitaux (Kabâ’ir),
chacune nécessitant un repentir indépendant.
L’auteur de Jawharat At-Tawhîd (Le Joyau du Monothéisme) affirma :
Ordonne les bons us et évite la médisance et tout vil caractère
Comme l’orgueil, la vanité et la maladie de l’envie, ainsi que la polémique.
Le commentateur [de Jawharat At-Tawhîd] dit : « et tout vil caractère », c’est-à-dire,
tout caractère vil du point de vue du Sharʿ (la législation islamique). Les exemples que
l’auteur a cités en particulier révèlent une importance accordée aux défauts de l’âme.
En effet, la cohabitation de ces derniers avec la réforme de l’apparence est semblable
au port de beaux habits sur un corps recouvert de saletés. Le ʿUjb (la vanité) est parmi
ces défauts. Il consiste à s’enorgueillir de son adoration et la regarder avec
admiration : parfois, le dévot s’enorgueillit de sa dévotion et le savant par sa science ;
cela est illicite. Il en va de même pour la fatuité, l’injustice, la tyrannie, la vanité, la
maladie de l’envie, le fait de polémiquer... » [9].
Le grand juriste, l’érudit Ibn ʿÂbidîn dit dans sa célèbre Hâshiyah : « la science qui
traite de la sincérité, l’orgueil, l’envie jalouse et l’hypocrisie est une obligation pour
tout musulman (Fard ʿAyn). Il en va de même pour les autres maladies de l’âme comme
la fatuité, l’avarice, la rancune, la tricherie, la colère, l’inimité, la cupidité,
l’ingratitude, la trahison, la ruse, le refus de la vérité par orgueil, la dureté du cœur et
le fait d’espérer une vie éternelle ici-bas ainsi que toutes les maladies semblables qui
ont été exposées dans la section Al-Muhlikât d’Al-Ihyâ’. [Al-Ghazâlî] dit à leur
sujet : « Nul humain n’en est à l’abri. Il doit donc en apprendre ce qu’il trouve
nécessaire pour lui ». C’est une obligation pour chaque musulman de s’en débarrasser.
Cela ne peut se faire sans en connaître les limites, les causes, les symptômes et les
remèdes. Certes quiconque ignore le mal y chute » [10].
L’auteur d’Al-Hidâyah Al-ʿAlâ’iyyah affirma : « Les textes du Sharʿ (législation
islamique) et le consensus convergent sur l’interdiction du hasad (envie jalouse), du
dénigrement des musulmans, de la volonté de les atteindre par quelque mal, de
l’orgueil, de la vanité, de l’hypocrisie, et de l’ensemble des actes blâmables parmi
ceux du cœur. L’ouïe, la vue et le cœur, l’homme sera interrogé à leur sujet, pour tout
ce qui entre dans le champ du choix » [11].
L’auteur de Marâqî Al-Falâh dit : « La pureté extérieure n’est utile que si elle va de
paire avec la pureté intérieure, la sincérité, la dignité qui élève au-dessus de
l’animosité, de la tricherie, de la rancœur, de l’envie jalouse, et la purification du cœur
de tout ce qui est autre que Dieu dans les deux mondes. Ainsi, l’homme L’adorera
pour Son Essence même et non pour une autre cause, en manifestant la totale pauvreté
en Lui Qui le Pourvoie généreusement dans ses besoins en le couvrant de Sa
Clémence. Tu seras alors un serviteur du Roi l’Unique le Transcendant. Que rien ne te
préoccupe en dehors de Lui et que ta passion ne te possède en t’empêchant de Le servir.
Al-Hasan Al-Basrî, que Dieu lui fasse miséricorde, dit :
Si l’homme est sincère pour Dieu, et à l’égard des obligations qu’Il lui a imposées, s’il
les agrée et les accomplit avec conviction, il sera enveloppé dans les Soins où qu’il
soit, et Il lui apprendra ce qu’il ne savait point. At-Tahtâwî dit dans la Hâshiyah : « La
preuve en est Sa Parole - Exalté Soit-Il : ’et craignez Dieu et Dieu vous instruira’ » [12].
Tout comme il ne convient pas que l’homme se présente aux gens avec des habits
sales, il n’est pas convenable qu’il laisse son cœur atteint par des maladies secrètes
alors que celui-ci est l’endroit que Dieu, Exalté et Glorifié soit-Il, regarde.
Tu soignes ton corps périssable en espérant qu’il reste éternellement
Et tu laisses ton cœur malade, alors que lui restera.
Les maladies du cœur sont la raison de l’éloignement du serviteur de son Seigneur,
Exalté Soit-Il, ainsi que son éloignement de son Paradis Eternel. Le Messager d’Allâh,
paix et bénédiction d’Allâh sur lui, dit : « Celui dont le cœur contient fut-ce le poids
d’un atome d’orgueil ne rentrera pas au Paradis » [13]. Ainsi, l’homme est-il sauvé dans
l’au-delà s’il a un cœur sain et son salut réside dans la purification de son cœur de ses
maladies.
Il se peut que certains défauts de l’âme lui soient cachés et que les maladies de son
cœur soient subtiles et voilées. Il pensera alors qu’il est parfait, alors qu’il en est
tellement loin. Comment donc peut-il découvrir ses maladies et connaître les plus
fuyants des défauts de son cœur ? Quelle est la méthodologie pratique pour traiter ces
maladies et s’en débarrasser ?
C’est le Tasawwuf qui est spécialisé dans le traitement des maladies du cœur,
l’élévation de l’âme et sa purification de ses imperfections et défauts.
Ibn Zakwân dit au sujet de l’intérêt du Tasawwuf et son importance :
Une science par laquelle le for intérieur est débarrassé des impuretés de l’âme, dans tous les
états.
L’érudit Al-Manjûrî commenta ce vers en disant : « le Tasawwuf est une science par
laquelle on sait comment purifier le for intérieur des impuretés de l’âme, c’est-à-dire
ses défauts, ses vils attributs, comme la rancœur, l’animosité, l’envie jalouse, la
tricherie, l’amour des éloges, l’orgueil, l’hypocrisie, la colère, l’avidité, l’avarice, la
glorification des riches, le mépris envers les pauvres. En effet, la science du Tasawwuf se penche sur la maladie ainsi que le remède. Par la science du Tasawwuf, l’homme
parvient à surmonter les obstacles de l’âme et à s’élever au-dessus de ses vils
caractères et ses mauvais attributs, jusqu’au point où il parvient à purifier son cœur de tout ce qui est autre que Dieu Exalté Soit-Il et l’embellir en permanence par la mention
(Dhikr) de Dieu Exalté et Glorifié soit-Il » [14].
Quant à l’embellissement de l’âme par les nobles attributs - comme la pénitence, la
piété, la droiture, la véridicité, la sincérité, l’ascétisme, le scrupule, l’abandon confiant
à Dieu, la satisfaction, la totale soumission, la politesse, l’Amour, la mention de Dieu
et l’observance - les soufis ont eut la part la plus abondante de l’héritage prophétique,
tant par le savoir que par l’œuvre.
C’est le Tasawwuf qui a accordé beaucoup d’importance à cette dimension du cœur, en
plus des œuvres d’adoration effectuées par le corps et les transactions financières. Il a
dépeint la méthodologie pratique qui mène le musulman aux plus hauts degrés de
perfection dans la foi et l’éthique. Il ne s’agit pas, comme le penseraient certains, de la
lecture d’oraisons ou de faire des cercles de dhikr uniquement. Il a échappé à l’esprit
de beaucoup de personnes que le Tasawwuf est une méthodologie pratique complète
qui permet de transformer avec succès la personne déviante en un musulman idéal et
équilibré, grâce à une foi saine, une adoration sincère, un bon comportement et une
noble éthique.
De là apparaît l’importance du Tasawwuf et son intérêt. Il devient clair que c’est l’âme
de l’islam et son cœur vivant, car cette religion ne saurait être un ensemble d’œuvres
apparentes et des questions de forme uniquement, dépourvues d’âme et de vie.
Les musulmans n’ont touché le fond du déclin et la faiblesse que le jour où ils ont
perdu l’âme de l’islam et son essence, et n’en sont restés qu’à son spectre et sa forme.
C’est pour cela que nous voyons les savants et dévots, ainsi que les guides,
recommander aux gens de se joindre aux soufis et de s’attacher à leur compagnie, afin
qu’ils réunissent le corps de l’islam et son âme, pour qu’ils goûtent aux saveurs de la
pureté du cœur et le raffinement de l’éthique, et pour qu’ils apprennent à connaître
Dieu Exalté Soit-Il en toute certitude, au point d’être habité par Son Amour, Son
observance et Sa mention en permanence.
Après avoir expérimenté la voie du Tasawwuf, après avoir vécu ses conséquences et
goûté à ses fruits, l’Argument de l’Islam, l’Imâm Al-Ghazâlî affirma : « le fait de se
joindre aux soufis est une obligation pour tout musulman (fard ʿayn), car nul n’est
exempt de défaut, sauf les Prophètes, paix et bénédictions sur eux » [16].
Abû Al-Hasan Ash-Shadhilî, que Dieu l’agrée, disait : « Quiconque ne pénètre pas les
profondeurs de notre science que voici mourra en persistant dans les péchés capitaux,
sans qu’il ne s’en aperçoive ». Ibn ʿIllân As-Siddîqî commenta cette phrase en disant :
« Il a certes dit vrai. Ô mon frère, qui jeûne sans regarder son œuvre avec, admiration
et satisfaction ? Qui prie sans regarder sa prière ainsi ? Il en va de même pour toutes
les œuvres d’obéissance » [17].
Comme cette voie est difficile à emprunter par les âmes imparfaites, l’homme doit le
traverser avec une ferme détermination, avec endurance et en dépensant ses efforts,
afin d’être sauvé de l’éloignement de Dieu et de Sa Colère.
Al-Fudayl Ibn ʿIyâd, que Dieu l’agrée, dit : « Attache-toi à la voie de la vérité et ne
ressent pas la solitude à cause du faible nombre des itinérants (Sâlik). N’emprunte
surtout pas la voie du faux, et ne soit pas trompé par le grand nombre de ceux qui
périront. Chaque fois que tu éprouves la solitude, rappelle-toi les compagnons
devanciers, accorde une grande importance à les rejoindre, et détourne ton regard de
toute autre personne, car elle ne te mettra aucunement à l’abri de la punition de Dieu.
Ne te retourne jamais vers elle, car dès lors que tu le fais, elle t’attire vers elle et
entrave ton chemin » [18].
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir ʿÎsâ, Haqâ’iq ʿan At-Tasawwuf, disponible en ligne sur le site Shazly.com.
[1] Coran, Sourate 18 : 110
[2] Rapporté par Al-Bukhârî dans le Livre de la Foi, et par Muslim dans Kitâb Al-Musâqâh,
selon An-Nuʿmân Ibn Bashîr que Dieu les agrée tous deux.
[3] Rapporté par Muslim dans son Sahîh, dans Kitâb Al-Birr, selon Abû Hurayrah,
que Diu l’agrée.
[4] Coran, Sourate 26 : 88-89
[5] Al-Ashbâh wa An-Nadhâ’ir d’As-Suyûtî, p 504.
[6] Coran, Sourate 7 : 33
[7] Coran, Sourate 6 : 151
[8] rapporté par Al-Bukharî & Muslim dans leurs Sahîhs, dans le Livre de la Foi, selon Abû
Hurayrah que Dieu l’agrée.
[9] Sharh (Comemntaire d’) Al-Jawharah,p. 120-122, par Al-Bâjûrî (m. 1277 A.H.)
[10] Hâshiyat Ibn ʿÂbdîn, v. 1, p.31.
[11] Al-Hidâyah Al-ʿAlâ’iyyah, p. 315, par Alâ’ Ad-Dîn ʿÂbdîn, .
[12] Al-Hâshiyah ʿalâ Marâqî Al-Falâh Sharh Nûr Al-Îdâh, par At-Tahtâwî, p. 70-71
[13] rapporté selon Ibn Masʿûd, dans Sahîh Al-Bukhârî.
[14] An-Nusra An-Nabawiyyah ʿalâ Hâmish Ar-Râ’iyyah li Al-Fâsî, p. 26, par Sheikh Mustafâ Ismaʿîl Al-Madanî.
[15] Al-Futûhât Al-Ilâhiyyah Fî Sharh Al-Mabâhith Al-Asliyyah, par l’érudit Ibn ʿAjîbah, en
marge de Sharh Al-Hikam, v. 1 p. 105, par Ibn ʿAjîbah.
[16] An-Nusrah An-Nabawiyyah ʿalâ Hâmish Ar-Râ’iyyah li Al-Fâsî, p.26, par Sheikh Mustafâ Ismaʿîl Al-Madanî.
[17] Îqâdh Al-Himam fî Sharh Al-Hikam, p. 7, par Ibn ʿAjîbah
[18] Al-Minan Al-Kubrâ, v. 1 p. 4, par Ash-Shaʿrânî.
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