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Vérités sur le soufisme
Section : Témoignages des Savants

Muhammad Abû Zahrah

mercredi 1er décembre 2004

Dans un entretien donné à Nadwat Liwâ’ Al-Islâm, le savant érudit, Muhammad Abû Zahrah, dit à propos du soufisme :

"Le soufisme, dans son apparence, comprend trois vérités :

 La première consiste d’une part en la lutte contre les passions et les désirs et d’autre part en le contrôle de soi. Les soufis suivaient ainsi le conseil du Commandeur des Croyants, ʿUmar Ibn Al-Khattâb, - qu’Allâh l’agrée : « Ô gens, retenez ces âmes de leurs désirs alléchants mais funestes. » Ceci signifie que l’être humain trouve du plaisir dans la réalisation de ses passions mais que leurs conséquences sont fâcheuses.

 La deuxième vérité que renferme le phénomène soufi est la relation spirituelle et la sensibilisation de l’être et de l’âme.

 La troisième est qu’il requiert, dans les modalités qu’on lui observe, une personne qui suit et une autre que l’on suit, un maître et un disciple, une personne qui oriente et une autre orientée ; il requiert un attrait de l’âme et une orientation de celle-ci.

Ces caractéristiques apparentes - indépendamment du fait que l’islam les a instituées ou non -, ces caractéristiques établies peuvent-elles être empruntées en vue de la réforme ou bien sont-elles purement nuisibles ?

Pour ce qui est d’affirmer qu’elles sont purement nuisibles, je ne pense pas que l’on puisse être d’accord avec cela car le soufisme est une réalité tangible et, comme toute chose, il peut être nuisible et profitable, loué et critiqué. Il nous suffit de dire que même la prière a fait l’objet de louanges et de critiques. Allâh le Très-Haut dit en effet : « Malheur donc aux orants qui retardent négligemment leur prière » [1]. Il dit par ailleurs, décrivant les croyants « qui accomplissent la prière, s’acquittent de l’aumône légale et croient avec certitude en l’au-delà » [2]. Il en est de même du soufisme, au sujet duquel le Professeur Fawdah dit : « Le soufisme a montré récemment des mérites et des traces évidentes. Ainsi en est-il des musulmans d’Afrique occidentale, centrale et australe dont l’adhésion à l’islam n’est que l’un des fruits du soufisme. »

Lorsque l’Imâm As-Sunûsî Al-Kabîr voulut réformer les cœurs des musulmans, il emprunta d’abord une méthodologie soufie, et quelle méthodologie ! Il se dota de disciples, puis il voulut faire de ces disciples des hommes d’affaires de la première importance. À cette fin, il fonda les zaouias. La toute première fut fondée dans une montagne près de a Mecque, puis il s’installa avec ses zaouias dans le désert. Ces zaouias étaient autant d’oasis prospères au milieu du désert. Grâce au labeur de leurs habitants, à leur énergie et à l’orientation qu’il leur prodigua, l’eau jaillit et il y eut des cultures et des récoltes. Il les orienta, leur enseigna l’art de la guerre et le tir, si bien qu’ils devinrent le cauchemar des Italiens pendant plus de vingt ans, alors que l’Empire ottoman avait été incapable d’aider le peuple de Libye. La résistance sénousie [3] se poursuivit à partir de ces zaouias jusqu’à ce qu’Allâh humilie l’État italien. Et voilà que le Sénousisme ressuscita de nouveau ; nous aurions aimé qu’il retrouve sa vocation initiale, à savoir une voie soufie forte et active [4].

Je ne souhaite pas aborder la genèse du soufisme au sein de l’islam et avant l’islam. Cependant, je ne puis nier que ʿUmar Ibn Al-Khattâb était un soufi, alors que Muhammad Ibn ʿAbd Allâh - paix et bénédictions sur lui - dit de lui : « S’il y avait dans ma communauté des gens inspirés, alors ce serait ʿUmar Ibn Al-Khattâb. » [5] ʿUmar, celui-là même que le Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - tenait, parmi ses Compagnons, pour l’un des plus proches d’Allâh, si bien que lorsqu’il s’en alla accomplir le pèlerinage mineur, le Prophète lui dit : « Ne nous oublie pas dans tes invocations, mon frère. » [6]

Je ne puis nier non plus que Abû Bakr était un soufi, lui qui affrontait les difficultés tout en se maîtrisant soi-même, lui dont on rapporta une paroles attribuée au Prophète - paix et bénédictions sur lui -, et sur laquelle il existe une divergence quant à celui qui l’a prononcée : « Nous voilà revenus du jihâd mineur [7] vers le jihâd majeur [8] » [9] ; Abû Bakr qui disait : « Fuis les honneurs, les honneurs te suivront. »

Il y eut et il y aura toujours des éducateurs et des Sheikhs ayant des disciples et des adeptes, et c’est grâce à ceux-là que nous espérons que le soufisme reviendra comme à ses débuts.

Avons-nous actuellement besoin de ce soufisme réformateur et fructueux ?

Je réponds : Si nos prédécesseurs n’en avaient pas besoin et que le soufi œuvrait à l’époque pour Allâh, pour lui-même et pour son disciple, nous avons de nos jours grandement besoin d’un soufi qui œuvre selon le soufisme véritable, car notre jeunesse est désormais séduite par les passions, soumise à leur empire : elle est subjuguée par les passions attisées dans les cinémas, étalées dans les revues frivoles, et sur les chaînes de radios futiles. Lorsque les passions et les désirs gouvernent une génération, les prêches, les écrits, les sermons et la sagesse des savants, ainsi que tous les vecteurs de la guidance, deviennent inopérants. Il suffit, en guise d’illustration, de constater que les revues religieuses sont distribuées vingt ou quarante fois moins que les revues futiles.

Ainsi donc avons-nous besoin d’une autre voie pour la réforme, cette voie consistant à reconquérir les esprits des jeunes gens, sur le mode du maître et du disciple, de manière à ce qu’il y ait dans chaque village, dans chaque quartier urbain, dans chaque milieu scientifique, social ou politique, des gens qui jouent le rôle du maître soufi vis-à-vis de son disciple.

La relation qui existe entre le disciple et le maître, et entre les divers degrés de ce disicple, est la seule susceptible d’éduquer et d’orienter. Ash-Shâtibî dit dans son ouvrage Al-Muwâfaqât : « Il existe entre le maître et l’élève un lien spirituel tel qu’il est marqué par sa pensée et par les connaissances qu’il lui inculque. » Nous avons besoin de ces gens capables d’attirer la jeunesse, de la détourner des passions libertines et de l’orienter.

Il y avait ici, voilà une dizaine d’années, un homme qui allait vers les jeunes. Il essaya de les réformer à la manière d’un soufi vis-à-vis de ses disciples. Il réussit relativement bien dans cette initiative. S’il ne s’était pas occupé de politique, son affaire n’aurait point échoué.

Par conséquent, il est à mon sens indispensable que nous nous orientions vers le soufisme en tant que remède ultime pour prémunir les jeunes contre la corruption, et je ne pense pas qu’il y ait un remède plus efficace."

Le fin mot au sujet du soufisme dans Nadwat Liwâ’ Al-Islâm est : "Dans les faits, le soufisme a été bénéfique bien qu’une part de mal s’y soit mêlée. S’il se débarrasse de ce mal, et se dirige vers les thématiques spirituelles, il constituera la voie de la réforme pour la société musulmane. La jeunesse musulmane s’est laissée séduire par diverses passions conduisant à la déviance et il n’est point possible de la ramener à la rectitude musulmane sauf par un attrait semblable à ce qui existe entre le maître soufi et son disciple. Le soufisme remplira alors le meilleur rôle qui soit dans la réforme de la jeunesse." [10]

P.-S.

Traduit de l’arabe du livre de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir ʿÎsâ, Haqâ’iq ʿan At-Tasawwuf, disponible en ligne sur le site Shazly.com.

Notes

[1Sourate 107, Al-Mâʿûn, L’Entraide, versets 4 et 5. NdT

[2Sourate 31, Luqmân, verset 4. NdT

[3Le mouvement sénousi ou Sénousisme est le mouvement de réforme d’inspiration soufie lancé par l’Imâm As-Sunûsî. Pour plus de précisions sur cette confrérie, le lecteur pourra se reporter à l’article suivant : "La Tarîqah Sunûsiyyah". NdT

[4Pour plus de précisions sur l’influence du Sénousisme dans la résistance à l’impérialisme italien, le lectuer pourra se reporter aux articles suivants : "Le Martyr Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr" et "La colonisation de la Lybie". NdT

[5 « Il y a dans ma communauté des gens inspirés, et ʿUmar en fait partie. », hadîth rapporté par Al-Bukhârî dans le Livre des Mérites d’après Abû Hurayrah. Muslim rapporte également dans son Sahîh : « Il y avait dans les communautés qui vous ont précédés des gens inspirés ; s’il devait y en avoir un dans ma communauté, ce serait ʿUmar. », hadîth rapporté d’après ʿÂ’ishah - que Dieu l’agrée - dans “Les Mérites des Compagnons”.

[6Hadîth rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des invocations, d’après ʿUmar Ibn Al-Khattâb. At-Tirmidhî le rapporte également dans le Livre des Invocations, le jugeant bon et authentique, avec l’énoncé suivant : « Mon frère, réserve-nous une part de tes invocations et ne nous oublie pas. ».

[7Le jihâd mineur : le combat armé.

[8Le jihâd majeur : l’effort sur soi.

[9En réalité, il s’agit bien d’un hadîth du Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - rapporté par Ad-Daylamî d’après Jâbir Ibn ʿAbd Allâh - qu’Allâh l’agrée. Conférer Kashf Al-Khafâ’ d’Al-ʿAjlûnî, volume 1, page 424.

[10D’après la revue Liwâ’ Al-Islâm, n° 12, Shaʿbân 1379 A.H., 1960 E.C. Nadwat Liwâ’ Al-Islâm ; Le Soufisme en islam, pages 758 à 768.

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