dimanche 23 septembre 2001
Le Docteur Ahmad ʿAlwash écrit : « De nombreuses personnes s’interrogent sur les raisons qui font que l’appel au tasawwuf (soufisme) n’existait pas au sein des premières générations de fidèles et qu’il est apparu uniquement après les générations des Compagnons et des Successeurs.
Répondons à ces interrogations. La spécificité de ces premières générations fait qu’il n’y avait aucun besoin d’appeler au soufisme. En effet, grâce à leur lien direct ou quasi-direct avec le Prophète — paix et bénédictions sur lui — les fidèles de ces générations ont vécu dans la piété et la dévotion, ils ont combattu les passions de leur ego et se sont dépensés dans l’adoration de Dieu. Ils multipliaient leurs efforts dans l’obéissance à Dieu et chacun espérait être celui qui suivait le
mieux la guidance du noble Prophète. Par conséquent, il n’y avait nullement besoin de leur enseigner une discipline qu’ils mettaient déjà en pratique par eux-mêmes. De manière similaire, l’Arabe qui a hérité l’éloquence du discours génération après génération, au point de faire de la poésie sans jamais avoir appris les règles de la grammaire ou de la métrique, peut très bien se passer de l’apprentissage de l’éloquence ou de la grammaire. Pourtant, ces mêmes disciplines semblent indispensables lorsque la maîtrise de la langue diminue et que la qualité de l’expression devient médiocre. Aussi l’enseignement de telles disciplines littéraires prend-il tout son sens pour des personnes étrangères désireuses de découvrir et d’apprendre la langue ou lorsque ces disciplines deviennent vitales pour la société, à l’instar d’autres sciences qui naissent et se développent au fil du temps, à un moment opportun pour leur formalisation. Bien que les Compagnons et les Successeurs n’étaient pas appelés « soufis », il n’en est pas
moins vrai qu’ils mettaient en pratique le soufisme car, qu’est-ce que le soufisme sinon le fait de vivre pour Dieu et non pour soi, de faire preuve d’ascétisme et de constance dans l’adoration de Dieu, de diriger en permanence son âme et son cœur vers Dieu, ainsi que d’acquérir toutes les qualités des Compagnons et des Successeurs en matière d’élévation aux plus hauts degrés de la spiritualité ? Ces fidèles ne se sont pas contentés de respecter les fondements de la foi ou d’appliquer les piliers de l’islam, mais ils ont rajouté à cela un attachement à la spiritualité et
au raffinement du goût. Outre les actes obligatoires, ils ont repris les œuvres surérogatoires que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — aimait accomplir et ils se sont écartés non seulement de l’illicite mais
de tout ce qui est déconseillé (makrûh). C’est pour cela que Dieu les illumina, la sagesse jaillit de leur cœur et les secrets divins se sont généreusement manifestés pour eux. Tel était l’état spirituel des Compagnons, des Successeurs et des Successeurs des Successeurs. Ces trois premières générations de l’islam furent incontestablement les plus lumineuses et absolument les meilleures. Aussi, il a été rapporté que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — a dit : « La meilleure génération est la mienne, puis celle qui la suit, puis celle qui la suit. »
Au fil du temps, de nombreux peuples ont embrassé l’islam, et les sciences islamiques se sont enrichies et diversifiées si bien que les savants se spécialisaient dans certaines disciplines. Les
gens de science ont alors compilé leur savoir, chacun dans le domaine de son expertise. Ainsi, après la formalisation de la grammaire par les toutes premières générations, d’autres disciplines se sont développées, comme la jurisprudence, la théologie, les sciences du Hadîth, les fondements de la religion, l’exégèse, la logique, la science de la terminologie des hadiths, la science des fondements, l’héritage.
Après cette période, la spiritualité a connu un déclin progressif. Les gens commençaient à oublier l’importance capitale de se diriger vers Dieu en humbles serviteurs, avec des cœurs éveillés et pleins d’ardeur. C’est pourquoi, de leur côté, les ascètes ont veillé à enregistrer la discipline du soufisme et à montrer sa noblesse et son importance pour toutes les autres disciplines et sciences. Contrairement à ce que pensent certains orientalistes, ce développement écrit du soufisme n’était pas une forme de protestation contre ceux qui ont compilé les autres disciplines. Bien au contraire, il était complémentaire aux autres branches de la
religion et visait à pallier à une déficience, afin de développer toutes les facettes de la religion et répondre à tous les besoins. Cette complémentarité est une entraide indispensable pour préparer l’appel à la piété et à la bienfaisance. »
Les premiers Imâms du soufisme ont bâti les fondements de leur voie (tarîqah) en puisant dans les valeurs authentiques dont témoigne l’Histoire islamique, transmises par les savants
érudits dignes de confiance. Quant au repérage historique du soufisme, il apparaît dans la fatwâ (verdict religieux) de l’Imâm, le Hâfidh, Muhammad Siddîq Al-Ghumârî, qu’Allâh lui fasse miséricorde. On l’interrogea sur le fondateur du soufisme et on se demanda si le soufisme était issu d’une
révélation divine. Il répondit en ses termes :
« Quant au premier fondateur de la voie (tarîqah), sache que la voie a été fondée par la révélation divine qui établit l’ensemble du Message du Prophète Muhammad. Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’elle constitue le degré de l’excellence qui est l’un des trois piliers de la religion enseignés, un à un, par le Messager d’Allâh, paix et bénédiction d’Allâh sur lui, dans le hadith : « Cet homme, dit le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, c’est Gabriel ; il est venu enseigner aux
hommes leur religion », à savoir, l’islam, la foi, et l’excellence. L’islam est l’obéissance et le culte rendu à Allâh, la foi est
une lumière et des dogmes authentiques, l’excellence est un degré fondé sur l’observance et la contemplation : adorer Allâh comme si tu le voyais, car bien que tu ne le voies pas, Lui, sûrement, te voit. » [1]
Sheikh Muhammad Al-Ghumârî poursuivit cette épître en disant : « Le hadîth établit trois piliers et quiconque néglige ce degré de l’excellence qui fonde la voie soufie, alors sa religion est incomplète car il a délaissé l’un de ses piliers. La finalité même à laquelle aspire la voie soufie, c’est le degré de l’excellence, une fois que l’islam et la foi sont établies de façon correcte. » [2]
Ibn Khaldûn dit dans sa Muqaddimah : « Cette discipline [le soufisme] fait partie des disciplines islamiques tardivement formalisées dans la religion. Son origine remonte en fait aux pieux prédécesseurs de la Communauté et à ses maîtres parmi les Compagnons et ceux qui les ont suivi sur la voie de la vérité et de la guidance. Elle consiste à se consacrer à l’adoration d’Allâh, à se diriger vers Allâh à l’exclusion de tout apparat de la vie mondaine, à s’exercer à l’ascétisme et au renoncement aux bienfaits qui attirent les humains, comme l’argent et la renommée, à cheminer vers le Créateur en se désintéressant de ce que détiennent les créatures, à incliner vers la retraite solitaire pour l’adoration, ce qui était commun à
l’époque des Compagnons et des prédécesseurs de la
Communauté. Mais lorsque l’attachement à la vie terrestre devint monnaie courante à partir du deuxième siècle de l’Hégire, et que les gens ont pris goût à ses ornements, le titre de « soufi » fut attribué à ceux qui, au contraire, se dépensaient dans l’adoration de Dieu. »
Ce qui nous importe le plus ici, c’est le dernière partie de cette citation d’Ibn Khaldûn où il affirme que l’apparition du soufisme et des soufis fut la conséquence de la séduction qu’exerçait la vie terrestre sur les gens au deuxième siècle. Par conséquent, ceux qui multipliaient les
œuvres de culte ont été caractérisés par un nom qui les distingua des gens que l’éphémère vie terrestre avait rendu insouciants et négligents.
Abû ʿAbd Allâh Muhammad Siddîq Al-Ghumârî affirme : « Ce qu’a dit Ibn Khaldûn au sujet de l’histoire de l’apparition du mot tasawwuf, est confirmé par les propos d’Al-Kindî, qui vécut au quatrième siècle de l’Hégire. Dans son livre Wulât Misr fî Hawâdith Sanat Mi’atayn, Al-Kindî écrit : « Apparut à Alexandrie un groupe de gens appelés « soufis » recommandant le bien. » Il en va de même pour ce qu’Al-Masʿûdî a mentionné dans Murûj Adh-Dhahab lorsqu’il relata un récit selon Yahya Ibn Aktham : « Alors qu’Al-Ma’mûn était assis,
son huissier ʿAlî Ibn Sâlih rentra et dit : Ô Commandeur des Croyants, un homme attend devant la
porte, vêtu d’habits blancs grossiers, il souhaite s’entretenir avec toi ; j’ai compris alors que
c’était un Soufi. » »
Ces deux récits confirment les propos d’Ibn Khaldûn au sujet de l’histoire de l’avènement du soufisme. Il est dit dans Kashf Adh-Dhunûn que le premier qui fut appelé
"Soufi" était Abû Hâshim As-Sûfî, décédé en 150 A.H..
L’auteur de Kashf Adh-Dhunûn a rapporté au sujet de la discipline du soufisme certains propos de l’Imâm Al-Qushayrî : « Sachez que parmi les Musulmans qui ont vécu après le Messager d’Allâh, paix
et bénédiction d’Allâh sur lui, les meilleurs d’entre eux n’ont pas reçu de noms se référant à une discipline donnée. Ils étaient simplement désignés comme « la Compagnie du Messager », paix et bénédiction
de Dieu sur lui, car c’est le rang le plus haut. On les appela les Compagnons. Puis les gens ont divergé et les mérites ont varié. On appela alors l’élite - profondément attachée à la religion - « ascètes » (zuhhâd) et « dévots » (ʿubbâd). Puis les innovations apparurent et les groupes se sont opposés, chaque groupe prétendant compter des ascètes dans ses rangs... L’élite des Sunnites qui observait Dieu - Exalté Soit-Il - et préservait son cœur des signes de la négligence, se
distingua par le mot « soufisme ». Ce titre devint célèbre pour ces maîtres avant l’an 200 A.H. »
A partir de ces citations, il semble clair que le soufisme n’est pas une approche récente et innovée, mais, au contraire, il est puisé dans la vie même du Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — ainsi que dans la vie de ses nobles Compagnons. Par ailleurs, le soufisme n’a aucune source d’inspiration étrangère à l’islam, contrairement à ce que prétendent les ennemis de l’islam parmi les orientalistes et leurs disciples, qui ont inventé des appellations et ont appelé « soufisme » le
monachisme bouddhiste, le sacerdoce chrétien et le charlatanisme indien en parlant de soufisme bouddhiste, indien, chrétien et perse...
Ils veulent d’une part défigurer le mot soufisme et, d’autre part, accuser le soufisme de remonter à ces anciennes religions et autres philosophies déviantes. Mais le croyant ne doit pas se laisser emporter par leurs courants de pensée et ne doit pas tomber dans leurs ruses vicieuses. Il doit faire preuve de discernement, de quête de la vérité, et doit finir par constater que le soufisme st la mise en pratique de l’islam, que le soufisme est exclusivement islamique.
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir ʿÎsâ, Haqâ’iq ʿan At-Tasawwuf, disponible en ligne sur le site Shazly.com.
[1] Abû Hurayrah, qu’Allâh l’agrée, rapporte : "Alors que le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, se tenait un jour en public, un homme vint le trouver et lui dit : "Qu’est-ce que la foi ?" - "C’est, répondit-il, croire en Allâh, en Son Livre, en Ses Anges, en Sa rencontre, en Ses Prophètes et à la Résurrection." - "Ô Envoyé d’Allâh, et qu’est-ce que l’islam ?", reprit l’homme. - "L’islam, dit le Prophète, c’est le fait d’adorer Allâh, de ne point lui donner d’associés, de pratiquer la prière prescrite, de payer l’aumône légale, de jeûner pendant le Ramadân." - "Qu’est-ce que la bienfaisance dans les actes ?", ajouta l’homme. - "C’est, répliqua Muhammad, adorer Allâh comme si tu le voyais. Car bien que tu ne le voies pas, Lui, sûrement, te voit." - "Quand aura lieu l’Heure Suprême ?", reprit l’homme. "Celui qui est interrogé sur ce point n’en sait pas plus que celui qui interroge. Mais je peux te dire que les signes suivants annonceront sa venue : quand la servante donnera naissance à sa maîtresse ; quand les nus et les nu-pieds seront à la tête des gens ; et quand les obscurs pasteurs de chameaux se vautreront dans leurs palais. Cette Heure est une des cinq choses qu’Allâh Seul connaît." Ensuite le Prophète — paix et bénédictions sur lui — récita ce verset : « La connaissance de l’Heure est auprès d’Allâh ; et c’est Lui qui fait tomber la
pluie salvatrice ; et Il sait ce qu’il y a dans les matrices. Et nul ne sait ce qu’il acquerra demain, et personne ne sait dans quelle terre il mourra. Certes Allâh est Omniscient et Parfaitement Connaisseur. »
L’homme s’éloigna alors et comme le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, ordonnait de le faire revenir, on ne trouva pas la moindre
trace de l’homme. "Cet homme, dit le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, c’est Gabriel ; il est venu enseigner aux hommes leur religion."
[2] Conférer Al-Intisâr Li-Tarîq As-Sûfiyyah (Défense de la voie des Soufis), p. 6, du savant du Hadîth Muhammad Siddîq Al-Ghumârî.
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