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Vérités sur le soufisme
Section : Témoignages des Savants

Ahmad Ash-Sharabâsî

mardi 27 juin 2006

Dans un article intitulé « L’éthique soufie », publié dans la revue Al-Ish Al-Ijtimâʿî, et après avoir discuté la définition et l’étymologie du mot « soufisme », le professeur Sheikh Ahmad Ash-Sharabâsî, célèbre auteur musulman et enseignant à l’Université Al-Azhar, dit : « Je pense que la réalité globale du soufisme est ce degré de perfection morale que l’on appelle ihsân et que le Messager de l’Islam, Muhammad — paix et bénédictions de Dieu sur lui — a défini dans le hadîth de Gabriel de la manière suivante : « L’ihsân consiste à adorer Dieu comme si tu Le voyais, car même si tu ne Le vois pas, Lui te voit » [1]. Nous comprenons ainsi que de nombreux prétendants au soufisme ne rentrent pas dans le cadre de cette règle précise et profonde ; ils se situent, à dire vrai, hors de la réalité soufie.

En fait, le fondement du soufisme consiste à développer le goût des choses. Ainsi les nobles manières ne désignent-elles rien d’autre que le goût raffiné par lequel le comportement humain prend le dessus sur le comportement animal dans la vie des hommes.

Les soufis ont accordé la plus grande importance à l’éthique. Ils en ont même fait l’assise et le pilier de leur voie, de sorte que si l’on substitue le mot « éthique » au mot « soufisme », on ne s’écarterait guère de la vérité. Car l’essence du soufisme consiste à lutter contre l’ego, à le purifier et à l’orner de tous les attributs de beauté et de perfection. Le soufisme est la somme des belles manières.

L’un des signes de l’intérêt porté aux aspects éthiques par les soufis réside en leur adoption des principes de l’esprit chevaleresque. Mêlant leurs valeurs à celles des chevaliers, ils ont inscrit dans l’histoire de la chevalerie un nouveau chapitre indépendant, au titre de la chevalerie soufie. C’est ainsi que les soufis ont intégré les principes d’abnégation et d’altruisme. Al-Qushayrî dit à ce sujet : « L’esprit chevaleresque consiste à être au service d’autrui ». Ibn Abî Bakr Al-Ahwâzî dit quant à lui : « L’esprit chevaleresque consiste à ne voir aucun mérite à soi-même ».

Les soufis ont également intégré à leur système de valeurs un certain nombre de principes : ne pas nuire à autrui, se dépenser dans les actes de bienfaisance, ne pas se plaindre des aléas de la vie, occulter les tourments que l’on subit, pardonner aux ennemis, et aspirer aux valeurs supérieures.

Ils adhèrent également au principe éthique muhammadien stipulant que : « Bienheureux sont ceux que leurs défauts préoccupent et empêchent de se préoccuper des défauts des autres » [2]. C’est pour cette raison qu’Ibn ʿAtâ’illâh As-Sakandarî — l’un de ceux qui ont pu réunir la profondeur de la réflexion et la beauté de l’expression — dit : « Scruter les défauts qui se cachent dans les replis de ton âme vaut mieux pour toi que de scruter l’inconnu qui t’est occulté » [3].

En outre, dans le système de valeurs soufies, l’accent est mis sur l’usage de tous les moyens et de toutes les causes pour éteindre toute convoitise, afin que la personnalité spirituelle se renforce dans l’être. C’est pourquoi Abû Bakr Al-Warrâq — figure emblématique des soufis — affirma : « Si l’on demande à la convoitise qui est ton père ? Elle répondra : “C’est le fait de douter de ce que Dieu a décidé pour chacun”. Si on lui dit : “Quelle est ta profession ?” Elle dira : “Gagner l’humiliation.” Si on lui demande : “À quoi mènes-tu ?” Elle dira : “La privation.” À ce sujet Ibn ʿAtâ’illâh dit : “Chaque fois que des branches d’humiliation poussent, elles proviennent d’une graine de convoitise.” »

Lorsque l’Imâm ʿAlî Ibn Abî Tâlib — que Dieu l’agrée — se rendit à Bassora, il entra dans sa mosquée. Il vit les conteurs relater des histoires aux gens. Il leur demanda de se lever et de cesser cela. Puis, il arriva auprès d’Al-Hasan Al-Basrî — une figure emblématique des soufis — et lui dit : « Ô jeune homme, je vais te poser une question. Si tu me réponds, je te laisse, sinon, je te ferai partir comme les autres. » ʿAlî, qui avait vu sur son visage les signes de la guidance, lui dit : « Qu’est-ce qui préserve la religion ? » Il lui répondit : « Le scrupule (Al-Waraʿ). » « Et qu’est-ce qui la ruine ? », questionna-t-il. « La convoitise. », lui dit Al-Hasan. Alors ʿAlî lui dit : « Reste assis, ce sont les gens comme toi qui doivent prêcher. »

Un jour Ibn ʿAtâ’illâh fut sur le point de succomber à quelque convoitise. C’est alors qu’il entendit une voix lui dire : « Pour que la religion soit saine et sauve, il faut abandonner la convoitise des créatures. »

Celui qui est habité par la convoitise ne se rassasie jamais. Quand les soufis ont appris à leurs disciples le contentement et la satisfaction de ce que Dieu accorde, ils leur ont ouvert les portes de l’honneur et de la dignité. C’est pour cela que nous les voyons évoquer l’injustice et les injustes en les prenant à la légère.

Il fait aussi partie de l’éthique soufie d’enseigner la patience, la patience au plus haut point. J’ai failli dire qu’ils peuvent même manifester de l’excès dans la patience dans certains cas. Dhû An-Nûn a rendu visite à l’un de ses frères soufis. Ce dernier était malade et le poids de la maladie était devenu tellement lourd qu’il a gémi. Dhû An-Nûn lui dit : « N’est pas véridique dans son amour celui qui n’endure pas les coups de son bien-aimé ». C’est alors que le malade l’a repris : « N’est pas véridique dans son amour celui qui ne trouve pas de plaisir dans les coups qu’il lui porte... »

Il fait partie de l’éthique soufie d’enseigner l’observance de Dieu jusqu’à ce que cette observance développe un attachement à Dieu et une proximité de Lui. (...) » [4].

Dans sa préface du livre Nûr At-Tahqîq, le professeur Ahmad Ash-Sharabâsî dit :

« Voilà le soufisme noble et illustre. Il a été perdu par les siens, agressé par ses ennemis déclarés et défiguré par ses faux-prétendants pervers. Au fil des jours, le voilà ignoré et renié, ou blâmé et redouté, malgré sa beauté et la grandeur de ses hommes du passé et ses grandes figures, malgré l’étendue de son champ et la grande importance de ses paroles et actes. Il est devenu comme une perle précieuse, occultée par des voiles noirs, si bien que les ignorants ont cru qu’elle était noire à l’image de ces voiles qui l’entourent, mais s’ils l’atteignaient et la débarrassaient des voiles qui l’entourent, leurs yeux seraient éblouis par ses lumières étincellantes et sa beauté rare.

Je suis préoccupé pour le soufisme véridique : Qui témoigne de sa pureté ? Où sont ceux qui guident les gens désorientés dans ce monde vers ses secrets ? Où sont ceux qui s’écrient aux milieux de ses troupeaux humains leur disant que : “Le soufisme fait partie de l’islam et représente une part de la guidance du Messager — paix et bénédictions sur lui —.” Le soufisme est victime d’une injustice. Il a été frelaté par des additions faites par des gens bien intentionnés et d’autres mal intentionnés. Ses partisans ont tu bon nombre de ses caractéristiques. Des gens, dont nous laissons le jugement à Dieu, l’ont altéré. D’autres se sont empressés de le mépriser et n’ont ni frappé à sa porte, ni goûté à sa coupe, ni lu ses écrits. Le soufisme pur, en proie à tous ces facteurs destructeurs, n’a trouvé personne pour lui porter secours, pour lever les voiles sur ses mérites, pour exposer aux gens courroucés ou désabusés le long registre de ses gloires. L’expérience nous a appris que lorsque la vérité ne trouve pas de partisans ni d’alliés, elle se rétracte et s’occulte, jusqu’à ce que Dieu suscite des gens, après un délai bref ou long, pour la rappeler et la prêcher, et y inciter les gens, vollens nollens, si bien qu’après s’être rétractée la voilà régnant de nouveau.

Imaginez un trésor merveilleux, recelant une fortune incalculable, des remèdes indéfectibles pour le corps, une guidance pour les âmes, et une lumière pour le cœur qui ne s’éteint jamais. Que feriez-vous si quelqu’un vous apprenait l’existence d’un tel trésor, vous traçait le chemin pour y parvenir et vous indiquait quels efforts et quelles dépenses il faudrait pour ce voyage ? Ne dépenseriez-vous pas tous vos efforts et toute votre énergie pour parvenir à ce trésor auprès duquel vous trouveriez la distinction dans l’ici-bas et les honneurs dans l’au-delà ?

Ainsi est le soufisme, l’ami ! Il est ce remède caché, ce trésor enfoui, et ce savoir secret. Il est le remède que réclament ton corps, ton entendement et ton comportement. Mais tu ne l’atteindras et n’en tireras profit qu’après avoir orienté ton être intégralement vers lui, qu’après avoir tourné ton regard et ton attention vers lui, qu’après avoir dépensé de tes biens, de ta personne, de ton temps et de ta recherche pour enfin y parvenir et l’atteindre. Qu’as-tu fait de tout cela maintenant que tu connais le chemin de la félicité ?

Il m’importe peu que tu sois soufi ou pas. Peu importe à mes yeux que tu sois un ennemi du soufisme ou un partisan. Ce qui m’intéresse avant tout et en premier lieu c’est que tu sois conscient de ton état, que tu ne sois pas ignorant des choses capitales que ta religion ou ta raison exigent que tu saches. Partant, il est nécessaire que tu étudies le soufisme afin que tu puisses te le représenter, le comprendre et le connaître. Il t’appartiendra alors de l’apprécier ou de le condamner. Clarifions davantage notre propos. Il se peut que le soufisme, son histoire et l’histoire de ses grandes figures aient fait l’objet d’attributions mensongères. Partant, la vérité est occultée par le mensonge. Partant également, ta religion te demande de te lever et de déchirer les voiles du mensonge, afin de t’éclairer par la lumière de la vérité. Cela te suffit-il comme incitation pour étudier le soufisme ?

Enfin, je souhaite vivement qu’un mouvement scientifique de grande envergure naisse parmi nous et se focalise sur l’étude du soufisme et de la propagation de sa littérature, étudiant ses thématiques, débusquant ce qu’on lui attribue comme divagations incongrues, comme mythes ineptes, et comme intrusions perverses. Nous serons alors en mesure de distinguer le faux et de localiser ses racines, avant de fondre sur lui à grands renforts d’arguments décisifs. Il sera alors manifeste que le faux ne tient pas le choc et que la vérité est destinée à régner en maîtresse.

Ô enfants de l’islam ! Le soufisme accapare une bonne part de votre éthique et de votre histoire. Mais vous vous en êtes détournés pendant des lustres. Cela vous suffit. Tournez-vous vers le soufisme, vous y trouverez une provision et un remède. Et c’est Allâh Qui guide vers le droit chemin. » [5]

P.-S.

Traduit de l’arabe du site shazly.com.

Notes

[1Hadith rapporté par Muslim dans son Sahîh, dans le Livre de la Foi, d’après ʿUmar Ibn Al-Khattâb — que Dieu l’agrée —.

[2Hadith rapporté par Ad-Daylamî dans Al-Firdaws, d’après Anas Ibn Mâlik — que Dieu l’agrée —.

[3Conférer Al-Hikam Al-ʿAtâ’iyyah (Les aphorismes d’Ibn ʿAtâ’ Allâh As-Sakandarî), disponible en ligne en format audio sur le site de l’Association d’Abou Dhabi pour la Culture et le Patrimoine. NdT.

[4Majallat Al-Ish Al-Ijtimâʿî, page 4.

[5Préface de Nûr At-Tahqîq de Sheikh Hâmid Ibrâhîm Mohammad Saqras.

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