mardi 15 août 2006
Il est indispensable pour l’aspirant [1] désirant cheminer sur la voie du salut et de la proximité d’Allâh — Exalté soit-Il — de réunir trois qualités : la franchise (As-Sidq), la sincérité (Al-Ikhlâs) et la patience (As-Sabr). Car tous les attributs de perfection restent inaccessibles à l’homme et ses actes demeurent inaboutis aussi longtemps qu’il est dénué de ces trois qualités. Lorsque les œuvres en sont dépourvues, elles sont invalides et ne sont pas acceptées par Allâh.
La franchise étant le mobile de toute œuvre pieuse et l’incitatrice à gravir les échelons de la perfection, nous l’abordons de prime abord avant d’évoquer la sincérité puis la patience.
S’agissant de définir la franchise, les savants adoptèrent des approches diverses. Certains versèrent dans les détails et les subdivisions alors que d’autres préférèrent la brièveté et la concision. Ainsi l’Argument de l’Islam, l’Imâm Al-Ghazâlî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — déclina-t-il la franchise en six catégories disant : « Sache que le terme As-Sidq est employé dans six sens : la franchise de la parole, la franchise de l’intention et de la volonté, la franchise du dessein, la franchise dans la réalisation du dessein, la franchise dans les actes et la franchise dans la réalisation de toutes les stations de la religion. Quiconque observe la franchise dans tout ce qui précède est un véridique (Siddîq).
Sheikh Zakariyyâ Al-Ansârî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — estima, quant à lui, que la franchise s’exerce dans trois champs : « La franchise est la concordance avec la réalité. Ses champs sont la langue, le cœur et les actes ; elle se caractérise de manière spécifique dans chacun d’entre eux. En ce qui concerne la langue, la franchise consiste à décrire les choses telles qu’elles sont. Concernant le cœur, elle désigne la ferme résolution. Tandis qu’au plan des actes, la franchise consiste à les accomplir avec ardeur et amour. En résulte la confiance en la parole du franc. Ce comportement aura pour fruit l’estime exprimée par les gens et par Allâh à l’endroit de (l’individu) franc. » [4].
La franchise telle qu’elle est souvent conçue par les masses musulmanes se limite à la franchise de la parole. En revanche, les maîtres soufis donnèrent à la franchise un sens plus large qui inclut, en plus de la franchise de la parole, celle du cœur, des actes et des états.
Dans le commentaire d’Al-ʿAqâ’id, l’érudit Ibn Abî Sharîf — qu’Allâh lui fasse miséricorde — expliqua : « Les soufis parlèrent de « la franchise » au sens de l’accord entre les actes commis en secret et ceux accomplis en public, ou encore l’harmonie entre l’apparence (Adh-Dhâhir) et le for intérieur (Al-Bâtin) de manière à ce que les états spirituels du serviteur ne contredisent pas ses actes, et qu’à l’inverse ses actes ne contredisent pas ses états. » [5].
Ainsi la franchise représente-t-elle pour eux la source dont jallissent la résolution, la détermination et l’énergie nécessaires à la progression sur les échelons de la perfection et à l’abandon de tout caractère imparfait ou blâmable.
De ce point de vue, la franchise constitue une épée divine à la disposition de l’itinérant. Il s’en sert pour couper les attaches et briser les obstacles qui entravent son cheminement vers Allâh. Sans cette épée, il sera bien incapable de s’élever spirituellement et risque de s’arrêter et de voir son parcours interrompu.
L’érudit Ibn Qayyim Al-Jawziyyah — qu’Allâh lui fasse miséricorde — dit : « La préparation avec franchise à la rencontre d’Allâh est la clé des œuvres pieuses, des états spirituels et des stations traversées par les itinérants vers Allâh. C’est également la clé vers les degrés du cheminement vers Allâh comme l’éveil, la pénitence, le repentir, l’amour, l’espérance, la crainte, la confiance en Allâh et la sujétion à Lui ainsi que toute œuvre des cœurs ou des membres. La préparation franche à la rencontre d’Allâh est la clé de tout ce qui précède. Cette clé est détenue par Celui Qui ouvre (Al-Fattâh) l’Omniscient. Nulle divinité sauf Lui ; nul Seigneur en dehors de Lui. » [6].
Lorsque l’itinérant accède à la franchise, il est en mesure de progresser rapidement vers les degrés supérieurs de la foi puisque la franchise constitue le moteur qui propulse et la qualité indispensable pour atteindre toutes les stations du cheminement vers Allâh — Exalté soit-Il —.
La première étape du cheminement est celle de la franchise du repentir qui se réalise par la pénitence sincère vers Allâh. Cette dernière est le fondement de toute œuvre pieuse et constitue le premier degré de la perfection.
La franchise dans l’éducation de l’âme incitatrice au mal permet notablement de la débarrasser de ses maladies et de ses passions. Elle purifie le cœur de ses vices jusqu’à ce qu’il accède à la foi gustative évoquée par le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — lorsqu’il dit : « Aura goûté la saveur de la foi, quiconque agrée Allâh comme Seigneur, l’islam comme religion et Muhammad comme messager. » [7].
La franchise dans la lutte contre Satan et ses insufflations protège le croyant contre ses ruses et le garde à l’abri de ses malices. Elle désespère également Satan de pouvoir un jour l’égarer ou le tenter.
La franchise dans l’expulsion de l’amour du monde ici-bas de son cœur porte l’homme à lutter constamment contre son ego par l’aumône, l’altruisme et la participation aux œuvres de bienfaisance, afin de se libérer de l’amour de l’ici-bas et d’échapper à son emprise sur son cœur.
La franchise dans l’acquisition du savoir en vue de se défaire de son ignorance et de rectifier son œuvre incite l’homme à la droiture et à la persévérance. Elle le porte à supporter les difficultés et à veiller les nuits pour en profiter autant que faire se peut. Les savants n’ont excellé que grâce à leur franchise, leur sincérité et leur patience.
La franchise de l’acte est le fruit du savoir et sa finalité puisqu’elle assure l’élévation permanente du serviteur et fait de son savoir un instrument de sa perfection. Elle est indispensable pour l’acte, faute de quoi l’itinérant s’expose à des maladies qui l’empêcheront de réaliser son dessein, comme l’amour de la notoriété et de la renommée, et la sensibilité à leur égard.
La franchise sincère élimine toutes ces impuretés du chemin conduisant vers l’objectif visé, à savoir l’agrément d’Allâh — Exalté soit-Il —, Sa connaissance et Son amour.
Ainsi se révèle l’importance de la franchise et ses profonds effets. C’est pour cette raison que Dieu — Exalté soit-Il — la considéra comme le rang le plus élevé après celui des prophètes et des messagers. Abû Al-Qâsim Al-Qushayrî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — dit : « La franchise est le pilier de l’affaire, la cause de sa perfection et son régulateur. Elle suit immédiatement le rang de la prophétie. Allâh — Exalté soit-Il — dit : « Quiconque obéit à Allâh et au Messager, ceux-là seront avec ceux qu’Allâh a comblés de Ses bienfaits : les prophètes, les véridiques, les martyrs et les vertueux. Et quels bons compagnons que ceux-là ! » [8] » [9].
C’est pour cette raison qu’Allâh — Exalté soit-Il — ordonna aux musulmans d’accompagner les francs afin de profiter de leur état spirituel et de bénéficier de leur franchise. Il dit : « Ô vous qui croyez ! Craignez Allâh et soyez avec les francs » [10]. Il les décrivit également comme étant peu nombreux et comme étant une élite choisie parmi les croyants. Il dit : « Il est, parmi les croyants, des hommes, qui ont été francs dans leur engagement envers Allâh » [11]. Évoquant la rareté des francs, Maʿrûf Al-Karkhî dit : « Combien sont nombreux les vertueux et combien sont rares les francs parmi les vertueux ! » [12].
Par ailleurs, Allâh — Exalté soit-Il — reprocha aux hypocrites leur manque de franchise en matière de foi et leur manquement à leur promesse envers le Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Il dit : « s’ils étaient francs envers Dieu, cela serait mieux pour eux » [13]. Il nous informa également qu’au jour de la résurrection, le serviteur récoltera les fruits de sa franchise et que cette dernière sera la raison de son bonheur et de son salut : « Voilà le jour où la franchise profitera aux francs » [14].
Le Messager — paix et bénédictions sur lui — considéra la franchise comme un chemin menant vers la bonté (Al-Birr), laquelle englobe toute vertu et trait de perfection qualifiant le serviteur au Paradis. Il précisa également que le souci permanent de réaliser en soi la franchise constitue une clé d’accès au rang de la véridicité (As-Siddîqiyyah). Il dit : « La franchise guide vers la bonté ; l’homme persiste à dire la vérité jusqu’à ce qu’il soit enregistré comme véridique auprès d’Allâh. Le mensonge guide vers la perversité ; l’homme persiste à mentir jusqu’à ce qu’il soit enregistré comme menteur auprès d’Allâh. » [15].
Le Messager — paix et bénédictions sur lui — indiqua aussi que la franchise engendre la tranquillité du cœur et la sérénité de l’esprit alors que le mensonge produit l’angoisse, le trouble, le doute et l’instabilité. On rapporte qu’Al-Hassan Ibn ʿAlî — qu’Allâh les agrée tous deux — dit : « Parmi les enseignements du Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui —, j’ai retenu : "Délaisse ce qui te fait douter au profit de ce qui ne te fait pas douter, car la franchise n’est que tranquillité alors que le mensonge ne produit que le doute." » [16].
Cependant, les francs n’occupent pas tous un même rang puisque le degré des véridiques est supérieur que celui des francs. Abû Al-Qâsim Al-Qushayrî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — dit : « Le minimum en matière de franchise consiste en l’accord entre le for intérieur et l’apparence. Le franc est celui qui dit la vérité alors que le véridique est franc dans l’ensemble de ses paroles, de ses actes et de ses états » [9].
De même, la station de la véridicité se subdivise en plusieurs rangs dont certains sont supérieurs aux autres. Abû Bakr As-Siddîq — qu’Allâh l’agrée — tient le haut du pavé de la véridicité, chose confirmée par Allâh — Exalté soit-Il — : « Celui qui apporte la vérité et la confirme » [17].
Rien, hormis le statut de prophète, ne surpasse la station de la véridicité car cette dernière constitue la station de la grande alliance (Al-Wilâyah) et du successorat (Al-Khilâfah) suprême. C’est une station dans laquelle les illuminations se succèdent et les révélations sont divulguées l’une après l’autre. Des secrets et des mystères y sont également dévoilés à cause de la perfection et de la pureté de l’âme.
Les faits et les gestes de celui qui orne son secret de la franchise et de la sincérité, refléteront ce qu’il porte dans son cœur. La franchise se manifestera alors dans ses états spirituels, ses paroles et ses actes car quiconque cache un état secret, Allâh en empreindra son apparence.
L’érudit Al-Qurtubî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — dit : « Il incombe à toute personne certaine de la Majesté d’Allâh de veiller à être franche dans ses paroles, à être sincère dans ses actes et à purifier ses états spirituels. Quiconque est ainsi rejoindra les vertueux et parviendra à l’agrément du Pardonneur » [18].
Tu es donc tenu, cher murîd, d’être franc dans tes propos car le mensonge fait partie des caractéristiques des hypocrites. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Trois signes caractérisent l’hypocrite : il ment en parlant ; il manque à sa promesse ; il trahit la confiance » [19]. En commentaire de ce hadith, Al-Munâwî explique : « L’hypocrisie a deux acceptions : l’une, juridique, consiste à cacher la mécréance et à prétendre la croyance ; l’autre, coutumière, se traduit par le désaccord entre le for intérieur et le paraître. C’est cette dernière qui est visée dans le hadith » [20].
Tâche d’être franc dans ta quête de cheminement vers Allâh — Exalté soit-Il — car on n’atteint guère les hauts desseins par la simple envie. C’est pour cette raison qu’on dit : « N’arrivera guère (à son dessein) celui qui se contente d’en avoir envie » . On y parviendra par l’effort et la persévérance.
Illumine ton cœur par la franchise afin qu’il soit rempli de zèle et d’ardeur pendant ton cheminement vers Allâh.
Lorsque tu dis « Ô Allâh », dis-le avec franchise car cela rend l’invocation plus acceptable. Tâche aussi d’être franc dans ton engagement envers ton maître et ton guide vers Allâh — Exalté soit-Il — afin que cela t’aide à progresser rapidement et à atteindre ton objectif.
Sois franc dans l’accomplissement des ordres de ton Seigneur, dans l’évitement de ses interdits et dans l’obéissance à Son Messager — paix et bénédictions sur lui — afin que se réalise en toi la pleine servitude envers Allâh. Car tel est le souhait des itinérants vers leur Seigneur, tous degrés et toutes stations confondus.
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir ʿÎsâ, Haqâ’iq ʿAn At-Tasawwuf, disponible en ligne sur le site Shazly.com.
[1] Al-Murîd, littéralement l’aspirant, désigne toute personne en quête d’élévation spirituelle et qui pour se réaliser emprunte les chemins ascendants de la purification de soi. En français, ce terme a donné naissance à « mouride » qui désigne particulièrement les aspirants de ordres soufis de l’Afrique Occidentale. NdT.
[2] Conférer la section du même titre dans le Sahîh d’Al-Bukhârî dans le Livre de l’éthique (Al-Adab). Le recours aux figures de style et aux paroles ambiguës est permis uniquement pour repousser une injustice ou réaliser une cause juste. Il est illicite dans le domaine des transactions car cela relèverait alors de la duperie. NdT.
[3] Ihyâ’ ʿUlûm Ad-Dîn (Revivification des sciences de la religion), volume 4, page 334.
[4] Conférer le commentaire de Sheikh Zakariyyâ Al-Ansârî en marge de Ar-Risâlah Al-Qushayriyyah (l’épître Qushayrite), page 97.
[5] Commentaire de Riyâd As-Sâlihîn (Les jardins des vertueux) d’Ibn ʿIllân As-Siddîqî, volume 1, page 282.
[6] Tarîq Al-Hijratayn (La voie des deux émigrations) d’Ibn Qayyim Al-Jawziyyah (d. 751 A.H.), page 223.
[7] Rapporté par Muslim dans le Livre de la foi d’après Abû Hurayrah — qu’Allâh l’agrée —, ainsi que par Ahmad et At-Tirmidhî d’après Al-ʿAbbâs Ibn ʿAbd Al-Muttalib — qu’Allâh l’agrée —.
[8] Sourate 4, An-Nisâ’, Les femmes, verset 69.
[9] Ar-Risâlah Al-Qushayriyyah (l’épître Qushayrite), page 97.
[10] Sourate 9, At-Tawbah, Le repentir, verset 119.
[11] Sourate 33, Al-Ahzâb, Les coalisés, verset 23.
[12] Tabaqât As-Sûfiyyah (Les générations des soufis) d’As-Sulamî, page 87.
[13] Sourate 47, Muhammad, verset 21.
[14] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 119.
[15] Rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh, dans le Livre de l’éthique et par Muslim dans le livre de la bonté (Al-Birr) d’après Ibn Masʿûd — qu’Allâh l’agrée —.
[16] Rapporté par At-Tirmidhî dans le livre de la description du jour de la résurrection. Il qualifia ce hadith de bon et authentique (Hasan Sahîh).
[17] Sourate 39, Az-Zumar, Les groupes, verset 33.
[18] Commentaire de Riyâd As-Sâlihîn (Les jardins des vertueux) d’Ibn ʿIllân, volume 1, page 284.
[19] Rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh dans le Livre de la foi, et par Muslim dans le Livre de la foi d’après Abû Hurayrah — qu’Allâh l’agrée —.
[20] Fayd Al-Qadîr Sharh Al-Jâmiʿ As-Saghîr (Exubérance du Tout-Puissant : Commentaire de la Somme Mineure) d’Al-Munâwî, volume 1, page 63.
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