mardi 11 mars 2003
Muhammad est un homme comme les autres. Il ne se distingue que par deux choses.
La première, c’est que toutes les héroïcités de l’espèce humaine se réunissent dans sa personne. Ainsi donc, si la loyauté, la sagacité, la fidélité, la miséricorde, la véridicité et l’amour sont des vertus grâce auxquelles resplendissent certaines personnes, considérées dès lors comme des âmes célestes, alors Muhammad a devancé dans ce domaine les anciens et les contemporains.
Il est - par le témoignage des événements survenus pendant sa vie - le héros des héros, le plus généreux des hommes, le Suzerain de la création, par sa noblesse spirituelle, sa magnanimité, sa compassion et sa fidélité...
En abordant sa vie, l’on se rend compte qu’il éblouit toute l’humanité, les masses comme l’élite, par la lumière de la perfection qui sévit dans tous les aspects du message islamique, lequel régit l’ensemble des habitudes comportementales de l’être humain...
Les modèles de la perfection qui se sont concrétisés chez ce Messager apparaissent comme étant de simples œuvres humaines tout au plus éclairées, ou comme étant des œuvres faciles de réalisation. Mais Dieu a fait en sorte qu’ils apparaissent ainsi afin que s’accomplisse l’imitatio tant recherchée. On pourrait tout aussi bien les comparer au Soleil, que l’observateur voit à quelques milles de lui, alors que des distances astronomiques l’en séparent...
Ce Prophète a lutté vigoureusement pour la Cause de Dieu. Et nous, nous sommes également tenus de lutter pour la Cause de Dieu ; nous ne devons en aucun cas nous laisser influencer par des occupations matérielles ou par des relations familiales, si cela doit empiéter sur le travail au service de la vérité ou sur le sacrifice pour celle-ci...
Le modèle de Muhammad dans ce jihâd, dans cet effort de lutte, ne pourrait convenir si ce dernier était un Ange céleste ou un homme pénétré par les caractéristiques humaines. Mais lorsque nous nous imaginons que ce Prophète était le père d’un certain nombre de filles... Puis nous nous imaginons qu’il était la cible - lors de sa prédication à l’Unicité divine dans un milieu ambiant idolâtre - des moqueries et de l’humiliation.
Puis nous continuons à observer ce type de lutte prédicatrice ; nous voyons alors le Messager, le père - alors qu’il était prosterné pendant sa prière dans la Mosquée Sacrée - humilié à un tel degré qu’un des notables de la Mecque vint jeter sur lui les tripes d’un animal qu’on venait d’égorger, afin de le salir et d’en faire la risée de l’assistance... Là nous voyons sa fille venir vers son père le débarrasser des ordures qui le souillaient. Toute fille aime vivre au sein d’une famille honorable et reconnue. Toute fille aime voir son père au-dessus des humiliations. Mais l’affaire dans notre cas appelle à la douleur.
Si nous laissons de côté cette image, et que nous observons une autre des filles de ce Messager, qui, enceinte, quitte la Mecque après l’Hégire. Quelques sots la suivent et l’importunent jusqu’à la faire avorter. Le Messager, apprenant la nouvelle, l’encaisse avec toute l’endurance du croyant prêt à subir toute épreuve pour la Cause de Dieu...
L’on ne cesse de poursuivre l’examen minutieux de la vie de cet homme Messager qu’on se rend compte que les images qui défilent sont celles d’un humain grandiose traçant en profondeur la voie de la perfection, jusqu’à la faire atteindre de lointains horizons, alors qu’il s’agit toujours de ce même homme qui endure toutes les vicissitudes de la vie terrestre qu’endurent le commun des mortels...
Quel modèle serait à imiter si ce n’est celui de cet homme dévoué, de ce champion de l’Islam ?
« Dieu - Exalté soit-il - a envoyé un grand nombre de Messagers qui se sont acquittés du devoir de la prédication à Dieu et qui se sont hérités les uns les autres la mission de guider la création et soutenir la vérité. Ils ont ainsi sauvé l’humanité de ses propres vices et lui ont fait connaître son Seigneur.
Mais Muhammad, par sa personnalité et par la nature de son Message, est l’Imâm des Prophètes. Il est, en vérité, le plus grand prédicateur à Dieu. Mais quel est donc le secret de cette grandeur ? A quoi est due cette faveur manifeste ?
Le secret réside dans le fait que le Messager Muhammad a reçu la responsabilité d’implanter dans les cœurs de ses contemporains une foi, dont l’implantation ne nécessite que des moyens admissibles par la capacité humaine. Il a réussi à accomplir cela sans avoir à changer la terre en autre chose qu’elle-même.
Et ce, contrairement à ce qui s’est passé avec Moïse par exemple, lorsque le Mont fut brandi au-dessus des têtes pour que les gens crussent en Dieu et souscrivissent à l’Alliance ! « Et quand Nous avons contracté une Alliance avec vous et brandi sur vous le Mont : ‹Tenez ferme à ce que Nous vous avons donné et souvenez-vous de ce qui s’y trouve afin que vous soyez pieux !› » [1]
Par ailleurs, tout comme notre Prophète était un humain entre ses disciples, il restait humain avec ses ennemis. Aucune force céleste ne s’est abattue sur eux malgré toutes les persécutions qu’ils lui ont fait subir.
Et ce, contrairement à ce qui s’est passé avec Moïse lorsque Dieu châtia ses ennemis d’un châtiment implacable, les transformant en singes et en porcs : [2]
Il ne faut néanmoins pas croire que la vie du Messager est dépourvue de miracles. Non. Car les missions prophétiques sont nécessairement mêlées à des miracles, dans grand nombre de leurs manifestations. L’important est que l’établissement de la foi dans les cœurs des croyants et l’élimination du vice chez les âmes rebelles soit essentiellement dû au facteur humain, symbolisé par cet être qui, dans son corps et dans son âme, est accompli de tous les éléments constituant la perfection humaine, par cet être dont la personnalité est l’ultime stade auquel peuvent prétendre les héroïcités de la pure nature primordiale humaine. Ses disciples figuraient ainsi parmi les gens qui lui vouaient l’amour le plus intense, car il était digne de tout amour. Ses ennemis figuraient parmi les gens qui éprouvaient pour lui la plus respectueuse des craintes, car ils savaient qu’ils étaient face à une épopée qu’il était difficile de cerner et contre laquelle il leur coûtait de comploter.
Quant à lui, il était dans son amour des croyants, plein de sollicitude et de compassion. Son noble esprit était la source lustrale et intarissable de sentiments bouillonnants embrassant à la fois les premiers et les derniers de sa Communauté, ceux qu’il a vus et ceux qu’il n’a pas vus.
Ses Compagnons l’entendirent un jour dire : « J’aimerais tellement voir nos frères. » Ils demandèrent : « Mais ne sommes-nous pas tes frères, ô Messager de Dieu ? » Il répondit : « Non, vous, vous êtes mes Compagnons. Nos frères sont ceux qui ne sont pas encore venus. » [3]
Quel amour est-ce là, se projetant ainsi sur des époques ultérieures, pour s’unir aux cœurs d’hommes appartenant encore au monde de l’Inconnu ?
Quant à ses ennemis, il nous suffira, pour montrer la pureté de son cœur, de rappeler qu’Ibn Ubayy - celui-là même qui attenta à l’honneur du Messager en calomniant son épouse - fut enveloppé, le jour de sa mort, dans la toge du Messager, en guise de linceul.
Par ailleurs, le Prophète magnanime n’objecta nullement à demander pour lui le pardon auprès de Dieu, jusqu’à ce qu’il reçût l’ordre de cesser ses supplications... » [4]
Telle est la première chose qui distingue Muhammad en tant qu’être humain.
La seconde chose est naturellement la révélation que Dieu lui a choisie. Cette révélation inclut la religion dans son ensemble, de toute éternité... Le Noble Coran rassemble ainsi tout ce qu’il faut savoir sur Dieu et sur Sa Pureté de tout ce qui ne correspond pas à Sa Majesté. Le discours sur le Coran peut s’avérer long à ce sujet.
La fin de la sourate 18, la Caverne, fait mention de ces deux éléments qui distinguent le Prophète : « Dis : ‹Je ne suis qu’un être humain comme vous. Il m’a été révélé que votre Dieu est un Dieu unique ! Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur, qu’il fasse de bonnes actions et qu’il n’associe dans son adoration rien d’autre à son Seigneur›. » [5]
Après avoir brièvement fait remarquer ce que nous venons de mentionner, nous comprenons dès lors pourquoi Goldziher ment sciemment lorsqu’il dit : « Néanmoins il y a là des aberrations mythologiques que la façon dont Muhammed conçoit Dieu entraîne fatalement dès qu’Allâh descend de sa hauteur transcendentale pour devenir le collaborateur actif du Prophète aux prises avec les luttes de ce monde. » (page 23)
C’est là un mensonge criant, car ni Muhammad n’a prétendu cela pour lui-même ni les Musulmans ne le lui ont attribué. Rien, ni dans le Coran, ni dans la vie de Muhammad, ni même dans les hadiths, les plus fiables d’entre eux comme les plus faibles, ne suggère de près ou de loin que Dieu descend collaborer avec le Prophète, aux prises avec les luttes de ce monde...
Les plus dignes d’être accusés de la sorte sont ceux qui croient à l’incarnation et qui mélangent dans leurs dogmes la divinité avec l’humanité.
Nous avons vu comment les preuves démontrent que Muhammad n’est qu’un être humain, sans plus. Un être humain qu’orne l’élévation spirituelle et que la révélation divine rend infaillible. Un être humain qui donne l’exemple par la voie qu’il a suivie aussi bien en public qu’en privé. Nous avons vu la guidance de son accomplissement humain tant au niveau de son adoration qu’au niveau de son autorité.
Le Coran a clarifié les sages raisons pour lesquelles le Messager a été un homme, non un Ange : cela revient au fait que l’humanité a besoin d’un individu auprès duquel il lui sera aisé de s’instruire et derrière lequel il lui sera aisé de cheminer. « Dis : ‹Gloire à mon Seigneur ! Ne suis-je qu’un être humain Messager ?› Et rien n’empêcha les gens de croire, quand le guide leur est parvenu, si ce n’est qu’ils disaient : ‹Dieu envoie-t-Il un être humain Messager ?› Dis : ‹S’il y avait sur terre des Anges marchant tranquillement, Nous aurions certes fait descendre sur eux du ciel un Ange Messager›. » La place de l’imitatio dans la vie du Messager est apparente.
C’est par son imitation que les piliers pratiques de l’Islam - la prière, le jeûne, le pèlerinage - nous sont parvenus. C’est en l’aimant et en suivant ses traces que parmi les Compagnons ont surgi des hommes dont le monde n’a pas vu d’équivalent.
Le plus étrange, c’est que cet orientaliste dit malignement au sujet du Noble Messager qu’il ne s’est jamais senti un saint ! Oui, ni Muhammad ne s’est décrit, ni ses disciples ne l’ont décrit par ce terme tellement répandu chez les Chrétiens. Mais parmi les élèves de Muhammad, certains ont eu une vie témoignant d’un cœur bien plus pur et d’une œuvre bien plus intègre que ces prétendus saints.
En outre, si ce terme désigne l’incarnation de l’Esprit de Dieu dans un homme, alors il est le type d’un grand mensonge et d’un crime manifeste.
Muhammad est venu de la part de Dieu Le réhabiliter de ces idées aussi aberrantes que fourvoyées. C’est pour cette raison qu’il s’est efforcé de se présenter invariablement comme le Serviteur et le Messager de Dieu. Cette Servitude envers Dieu est une vérité qui honore tous les Messagers de Dieu, sans exception. Ni Moïse, ni Jésus, ni Muhammad n’y trouveraient à redire.
Quiconque prétend qu’il est une partie de Dieu est un menteur. Et quiconque prétend que l’Esprit de Dieu s’est incarné en lui est un plus grand menteur.
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 63.
[2] Sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, versets 65 et 66.
[3] Hadith rapporté par Muslim, Ahmad, Mâlik, An-Nasâ’î, Ibn Mâjah et Ash-Shâfiʿî, d’après Abû Hurayrah.
[4] Extrait de notre livre, Ta’ammulât fî Ad-Dîn wa Al-Hayâh (Méditations sur la religion et sur la vie).
[5] Sourate 18 intitulée la Caverne, Al-Kahf, verset 110.
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