lundi 23 juin 2003
Nous estimons que nous sommes tenus de nous arrêter ici quelques instants, afin de souffler la poussière que cet orientaliste a voulu répandre sur les textes relatifs au dogme du destin et à la question du libre arbitre de l’être humain. Il a écrit une dizaine de pages, à commencer par la page 70, dans lesquelles il a essayé tant bien que mal de faire ressortir que les versets coraniques sont contradictoires et conflictuels, prétendant que ces versets ont desservi de manière égale les différentes écoles de pensée opposées sur la question !
De tous temps, la question de la prédestination et du libre arbitre a fait l’objet d’investigation de la part des théologiens et des moralistes. Plusieurs écoles divergentes ont alors émergé, et l’intérêt pour cette question n’est nullement une innovation islamique.
Ce qui nous intéresse, c’est de montrer la position de l’Islam vis-à-vis de cette question.
Les spécialistes sont aujourd’hui d’avis que l’Islam a apporté à ce problème la réponse décisive.
Laissons la réalité arbitrer entre nous et nos adversaires, avant de retourner vers la révélation pour voir si l’Islam a dit vrai ou faux…
Pouvons-nous dire, après l’expérience et l’observation, que l’activité humaine est entièrement soumise à un libre arbitre découlant d’un individu immunisé contre les influences extérieures, de telle sorte qu’il puisse accomplir tout ce qu’il décide de faire, sans obstacle, et de telle sorte que sa volonté émerge en lui sans être entravée par un caractère prédominant ni une hérédité génétique ? Non… Nous ne pouvons dire cela.
Comme les moralistes, nous affirmons que l’hérédité et l’environnement - alors même qu’ils ne sont pas l’œuvre de l’individu - ont néanmoins une influence profonde dans la détermination de son caractère, et dans l’agencement de ses affaires. Il suffit, pour se convaincre que l’être humain est prédestiné dans une certaine mesure, de savoir que la nature de l’esprit et du corps avec lesquels il naît ne sont pas de sa fabrication.
Autre question… Pouvons-nous dire, après l’expérience et l’observation, que l’Homme est un être paralysé, dont les caractéristiques ne dépassent guère celles des autres créatures comme les minéraux et les animaux, et qu’il est semblable à une plume emportée par le vent ou à un cadavre éteint ?
Non, car l’Homme se distingue par une raison avec laquelle il se meut de droite à gauche, avec laquelle il sait ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire, avec laquelle il sait quand il peut aller de l’avant et quand il doit s’arrêter.
Par conséquent, l’être humain est à la fois prédestiné et libre d’arbitre. Et c’est ce qu’affirme l’Islam. Ceux qui disent que l’Homme ne dispose d’aucun libre arbitre démentent à la fois le Coran et la réalité. Et ceux qui disent que l’Homme n’est en rien prédestiné démentent aussi à la fois le Coran et la réalité.
Ceci d’une part…
D’autre part, peut-on qualifier l’être humain de créateur ?
Si les architectes et les maçons bâtissent un gigantesque immeuble sur un terrain auparavant désert, peut-on considérer que leur ouvrage est une création à partir du néant ? On pourrait assimiler leur travail à une véritable création s’ils avaient fait en sorte que les pierres, le bois, l’acier, les cailloux et la couleur soient apparus spontanément à partir du néant.
Mais comme ils ont rassemblé des matériaux qui existaient déjà et qu’ils n’ont fait que transformer pour leur donner une nouvelle allure, on ne peut les considérer comme des créateurs, à moins d’utiliser le terme par extension.
Le Coran aborde la question de la volonté humaine à la lumière des vérités que nous venons d’ébaucher ici [1]. Il déclare ainsi que cette volonté est libre et responsable de ses actes dans le domaine indubitable de la liberté et de la responsabilité ; il affirme également que cette volonté est soumise à un état supérieur dans le deuxième domaine. Il attribue en conséquence les actions, d’une part à leur véritable Créateur, et d’autre part à la cause qui a permis leur création. Et cette répartition est parfaitement indéfectible :
« Et c’est en toute vérité que Nous l’avons fait descendre, et avec la vérité il est descendu, et Nous ne t’avons envoyé qu’en annonciateur et avertisseur. » [2]
Aucune contradiction donc entre les différents versets, sauf si nous disons qu’il est contradictoire de parler d’un homme à la peau blanche et aux cheveux noirs, étant donné que nous assemblons simultanément la blancheur à la noirceur !
Dans un seul verset du Coran mecquois, Dieu - Exalté et Loué soit-Il - réunit les deux significations authentiques et univoques : « Si Dieu avait voulu, Il aurait certes fait de vous une seule communauté. Mais Il égare qui Il veut et guide qui Il veut. Et vous serez, certes, interrogés sur ce que vous faisiez. » [3]
La fin du verset entérine la responsabilité de l’individu face à ses actions, alors que le début du verset fait allusion à la suprême destinée !
Dieu aurait pu créer les hommes semblables aux anges. Mais Il ne l’a pas fait : Il les a plutôt créés de telle manière qu’ils soient susceptibles d’être éprouvés, de prendre leurs responsabilités, de réussir ou d’échouer.
Celui qui se dirige vers la droite, Dieu lui raffermit ses pas dans la voie du bien et le prédispose à l’accomplir. Et celui qui se dirige vers la gauche, Dieu ne lui arrête pas les battements de son cœur ni n’empêche ses pieds de se mouvoir : Il dirige l’Homme là où l’Homme se dirige lui-même…
L’étude de la question de la prédestination et du libre arbitre est vieille comme le monde. Les philosophes comme les théologiens, tous s’y sont intéressés. L’abord de cette question n’est donc pas une innovation par laquelle l’Islam s’est distingué.
Nous pensons donc qu’il est de notre devoir de rapporter, parmi les explications avancées par les savants qui ont approfondi le sujet, celles qui éclairent le mieux ses facettes et qui font le jour sur ses aspects obscurs.
Traduit de l’arabe aux éditions Nahdat Misr, cinquième édition, 1988.
[1] Dans notre livre ʿAqîdat Al-Muslim (La Foi du Musulman), nous nous sommes longuement étendus sur cette question. Nous y avons énuméré un certain nombre de textes dont l’apparence indique ou bien le libre arbitre ou bien la prédestination. Nous y avons également montré qu’il est très facile de concilier les deux idées. Nous ne nous étendrons donc pas davantage sur le sujet dans ce modeste ouvrage.
[2] Sourate 17 intitulée le Voyage nocturne, Al-Isrâ’, verset 105.
[3] Sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 93.
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