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Défense du dogme et de la loi de l’Islam contre les atteintes des orientalistes
Section : Ascétisme et Soufisme

L’Islam au service du corps et de l’esprit

mardi 16 mars 2004

Nous avons déjà expliqué plus d’une fois la méthodologie employée par l’Islam pour anoblir aussi bien le corps que l’esprit. Nous avons également expliqué que la civilisation bâtie par l’Islam n’incline pas exclusivement vers l’une de ces deux parties. L’Islam propose plutôt une voie médiane et un comportement raisonnable et acceptable.

Il est vrai qu’on peut sacrifier sa vie dans le Sentier de Dieu, laissant son corps gisant sur le champ de bataille et s’en retournant à son Seigneur. L’on peut également perdre au cours de cette noble lutte quelque membre ou quelque sentiment.

L’on peut aussi réfréner et mater quelque brûlant désir, de sorte de ne jamais le laisser voir le jour, pour la simple et unique raison qu’il constituerait un vice entraînant avec lui l’injustice et la honte.

Toute nourriture qu’on convoite n’est pas bonne à manger, alors qu’elle appartient à autrui. Toute beauté plaisante n’est pas digne d’être poursuivie, alors qu’on n’y dispose d’aucun droit.

L’anoblissement du corps et l’entretien de ses instincts ne signifient en aucun cas qu’on doive l’abandonner à une vie d’anarchie et de libertinage. Il n’existe aucun argument pouvant soutenir une telle déviance. Les droits du corps sont définis par la Législation islamique qui lui a tracé la voie de la modération.

Ni outrance ni négligence... Dieu - Exalté soit-Il - dit :

« Ô vous qui avez cru : ne déclarez pas illicites les bonnes choses que Dieu vous a rendues licites. Et ne transgressez pas. » [1]

La civilisation européenne a incliné vers une vie de luxure et vers le culte du corps. Entraînée dans des bassesses, elle se creuse ainsi le gouffre dans lequel elle sera précipitée à sa perte.

D’autres communautés humaines ont incliné vers une vie de mortification et de surmenage du corps humain, le privant des nécessités et du confort dont il a besoin. Elles estiment que ce type d’agissements permet à l’âme de s’élever au-dessus de la condition matérielle de l’homme, et ainsi, d’obtenir l’Agrément de Dieu. Or ceci est une erreur.

Rejetant le mode de vie austère et stérile du monachisme, le Messager de Dieu affiche son amour pour le parfum et la gent féminine. C’est d’ailleurs à ce propos qu’a été révélé le verset précédent. L’Imâm At-Tabarî écrit dans l’exégèse de ce verset :

« Il n’est permis à aucun Musulman de s’interdire ce que Dieu a rendu licite à Ses Serviteurs croyants, que ce soit en termes de nourritures, de vêtements ou de partenaires conjugaux, même s’il craint pour son âme qu’elle subisse quelque désagrément ou quelque difficulté à cause de cela. »

C’est pour cette raison que le Prophète a rejeté le retranchement du monde d’Ibn Madhʿûn. Il montrait ainsi qu’il n’y a pas de mérite à renoncer à ce que Dieu a rendu licite à Ses Serviteurs.

Le mérite et la bienfaisance consistent à accomplir ce que Dieu a recommandé à Ses Serviteurs, ce que le Messager de Dieu lui-même a accompli et institué pour sa Communauté, puis qui a été suivi par les Imâms Bien-Guidés - car la meilleure guidance est certes la guidance de notre Prophète Muhammad.

S’il en est ainsi, on reconnaît alors l’erreur de ceux qui préféraient les habits de poil ou de laine aux habits de coton ou de lin, du moment qu’ils avaient les moyens licites de porter ces textiles. On reconnaît de même l’erreur de ceux qui préféraient consommer des nourritures grossières et renonçaient aux nourritures plus raffinées comme la viande, craignant d’éprouver alors quelque besoin pour les femmes.

Si une tierce personne estime que le Bien ne se situe pas dans que ce que nous avons indiqué - tout en sachant que s’habiller et manger grossièrement placent l’âme humaine dans la gêne - et préfère donner les nourritures et les habits de plus grande valeur aux nécessiteux, alors elle se trompe. L’homme doit en effet parfaire prioritairement son âme et l’aider à obéir à son Seigneur.

Rien n’est plus néfaste au corps humain que de mauvais aliments : ils corrompent la raison et affaiblissent notablement les potentialités que Dieu a assignées à l’homme afin qu’il lui soit d’autant plus obéissant.

Un homme vint voir Al-Hasan Al-Basrî et lui dit :

- J’ai un voisin qui ne mange pas les gâteaux au miel.

- Et pourquoi donc ?, demanda Al-Hasan Al-Basrî.

- Il dit que c’est une nourriture de bien trop de valeur pour qu’il puisse en remercier Dieu comme il se doit, répondit l’homme.

- Boit-il de l’eau fraîche ?, s’enquit Al-Hasan.

- Oui, acquiesca l’homme.

- Ton voisin que voici est un ignorant, trancha Al-Hasan, car le bienfait que lui accorde Dieu à travers l’eau fraîche a bien plus valeur que le bienfait qu’Il lui accorde à travers les gâteaux au miel.

Goldziher estime que lorsque les dévots musulmans ont vu que la vie publique s’engageait dans une voie distordue, ils ont préféré la réclusion, le renoncement au monde et la désertion des bonnes choses d’ici-bas.

Nous répondons : Il est possible que certaines gens, incommodées par certains aspects de la société dans laquelle elles vivaient, ont voulu vivre dans l’isolement. Mais les comportements de ces isolés doivent être soumis aux enseignements de l’Islam, sans quoi ils sont considérés comme des rebelles, non comme des dévots.

Ceux qui désertent la société et les communautés humaines - alors qu’il est en leur pouvoir de s’y intégrer - font certes partie des gens du Feu, non des gens du Paradis. Il en est de même pour ceux dont la devise est le célibat et le renoncement aux bonnes choses de ce monde.

Et supposons qu’un homme agisse de la sorte : il ne sera alors qu’un individu impuissant fuyant ses responsabilités... Et il sera alors stupide de le compter au nombre des pieux Serviteurs de Dieu.

C’est en vertu de cela que nous refusons de qualifier de croyants pieux et vertueux ceux que Goldziher, à la page 122, décrit en ces termes :

« Plus la vie publique se tournait vers les intérêts et les plaisirs matériels, plus aussi ceux qui recherchaient l’idéal de l’Islâm dans l’époque révolue de son origine trouvaient de motifs pour manifester leur réprobation par leur attitude personnelle en renonçant à tout intérêt terrestre. »

Il ajoute à la même page :

« [...] le penchant à l’ascétisme s’allie à la révolte contre l’autorité. Sous le khalife ʿOthmân une enquête fut ouverte contre un homme qui avait la réputation de décrier les Imâms, et qui ne prenait pas part aux cérémonies publiques du vendredi (pour protester par là contre le gouvernement reconnu) ; il vivait en végétarien et était célibataire. Devant un régime que leurs sentiments réprouvaient, beaucoup s’étaient retranchés dans une vie de retraite et de renoncement, et avaient inscrit sur leur bannière la devise : al-firâr min al-dunyâ, c’est-à-dire « la fuite du monde ». »

Cet orientaliste parle ensuite - avec admiration et respect bien entendu - de l’ascétisme chrétien que les Arabes auraient connu avant l’Islam puis après ! Cet ascétisme qui aurait conquis les cœurs par son raffinement et qui aurait amené les dévots musulmans à le suivre, tout du moins à en emprunter quelques enseignements.

A vrai dire, nous ne nous soucions pas outre mesure de connaître la source qui a inspiré aux ascètes musulmans cette vie austère qu’ils ont menée. Il est possible qu’ils aient été contaminés par le monachisme chrétien ou bouddhiste, ou qu’ils aient fait preuve d’imbécilité dans la compréhension de certaines traditions islamiques, ou qu’ils aient été influencés par des natures physiologiques et psychologiques particulières, ou encore que la chose est un mélange de toutes ces causes. L’important est que les savants musulmans ont clairement condamné ces modes de vie déviants.

Admettons que Abû Al-ʿAlâ’ Al-Maʿarrî et mille autres comme lui se soient interdits de consommer de la viande. Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces estomacs malades ? !

Admettons encore que certains autres ont déserté les femmes. Qu’est-ce que l’Islam a à voir avec ces continents ?

Et si certaines gens marchent avec lenteur et nonchalance, accablés qu’ils sont par le poids de la piété qui retombe sur leurs épaules, qu’est-ce que l’Islam actif et dynamique a à voir avec ces personnes lourdes et passives ?

Les savants religieux ont condamné ces comportements qui se sont infiltrés dans la société musulmane.

En vérité, notre Communauté n’est devenue sujette à la confusion intellectuelle et spirituelle que le jour où ces comportements se sont répandus en elle sans personne pour les condamner.

Goldziher a reconnu que les Musulmans les plus dignes se sont opposés à cette déficience. Il s’est néanmoins dévoué - qu’il n’en soit pas remercié - pour leur répondre. Il dit à la page 123 :

« Les croyants de commune sorte trouvent étranges ces dispositions ascétiques qui s’affirment de plus en plus dans la doctrine et dans la vie. C’est ce que montre par exemple cette anecdote : une dame vit un jour un groupe de jeunes gens qui montraient une grande circonspection dans leur démarche et une grande lenteur dans leurs discours - contraste remarquable avec la vivacité de parole et de mouvement de l’Arabe. Comme elle demandait qui étaient ces gens singuliers, on lui répondit : Ce sont des nussâk, c’est-à-dire des ascètes. Elle ne put se tenir de remarquer : « En vérité, ʿOmar se faisait entendre lorsqu’il parlait, et il se hâtait quand il marchait, et il faisait mal lorsqu’il frappait - c’était là le véritable homme pieux (nâsik) ». Si l’on regarde la sourate 31, v. 18 [2], on se dira que l’apparition de ces jeunes nussâk eût rencontré l’approbation de Muhammed. »

Nous répondons : Non, il ne les aurait pas approuvés pour cet ascétisme innové.

Et ʿUmar Ibn Al-Khattâb est plus proche de la guidance du Messager de Dieu, plus savant de sa tradition, et plus véridique dans son explication de l’Islam et de sa nature que cet orientaliste.

Quant au devoir d’être modeste dans sa démarche et de baisser sa voix, il s’agit là d’une règle de bienséance s’opposant à la démarche de l’arrogance et au timbre de l’orgueil, auxquels les despotes de cette terre aiment à recourir. Il ne s’agit pas de demander à l’homme de marcher à petits pas ou de parler en chuchotant en des situations où il se doit d’élever la voix...

Goldziher poursuit en rappelant que ces ascètes - qui, de sont point de vue, sont véridiques - se sont astreints à un jeûne excessif, se sont abstenus d’alimentation carnée et ont porté des vêtements grossiers afin de mieux se rapprocher de Dieu.

Et dans la mesure où le Hadith est - d’après lui - inventé puis attribué au Messager, il va de soi que la guerre déclarée contre l’ascétisme en milieu musulman déviant a permis de formuler toute une panoplie de hadiths qui répondent à ces ascètes. Il dit dans les pages 123 et 124 :

« [...] c’est contre de telles gens que seront dirigés les maximes et les récits traditionnels qui polémiquent contre le jeûne excessif. Nous rencontrons en outre l’abstinence d’alimentation carnée, forme d’ascèse dont on cite des exemples du temps même des « Compagnons ». Un Ziyâd b. Abî-Ziyâd, qui appartenait comme client à la tribu de Makhzûm, qui est dépeint comme un homme ascétique ayant renoncé au monde, qui accomplissait continuellement des exercices de dévotion, se couvrait de vêtements de laine grossière (sûf) et s’abstenait de viande, a dû être à l’époque de ʿOmar II le type représentatif de toute une catégorie. C’est contre ses pareils qu’est sans doute dirigée la parole attribuée au Prophète : « Celui qui ne mange pas de viande pendant quarante jours, son caractère devient mauvais ». »

Le hadith qu’est allé pêcher Goldziher, et qui rendrait obligatoire la consommation de viande ou répréhensible le renoncement à celle-ci, est un hadith très amusant. Sans doute a-t-il été forgé par quelque boucher voulant faire la publicité de ses viandes !

Il aurait été d’autant plus souhaitable que Goldziher fasse gracieusement présent de ce hadith à l’abattoir de Budapest, afin que le profit englobe tout le monde !

On n’étudie pas l’Islam de manière aussi burlesque.

Cet orientaliste, qui a dû lire des dizaines, voire des centaines de livres avant de coucher ce qu’il a écrit, aurait dû préalablement ôter un tant soit peu le voile qui l’aveugle, afin d’aboutir à des conclusions plus judicieuses à partir des récits qu’il rencontre, ou tout du moins, afin de séparer judicieusement le grain et l’ivraie qu’il rencontre dans ces récits.

P.-S.

Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.

Notes

[1Sourate 5 intitulée la Table servie, Al-Mâ’idah, verset 87.

[2Il s’agit du verset suivant : « Sois modeste dans ta démarche, et baisse ta voix, car la plus détestée des voix, c’est bien la voix des ânes. » NdT

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