mardi 6 avril 2004
Nous aimerions maintenant répondre à la question suivante : L’ascétisme outrancier s’est-il infliltré dans l’environnement islamique du fait de parties extérieures et de cultures intruses, ou bien y a-t-il d’autres raisons ?
Ce que soutiennent les chroniques, c’est que les tendances outrancières ont commencé à apparaître du vivant même du Messager.
Nous connaissons tous l’histoire de ces trois hommes qui voulaient accomplir davantage d’actes de dévotion.
Le premier dit : « Moi, je jeûne tous les jours, sans jamais manger. »
Le deuxième dit : « Et moi, je prie toutes les nuits, sans jamais dormir. »
Le troisième dit : « Quant à moi, je reste célibataire. »
Nous savons également que le grandiose Messager a rejeté ce mode de vie austère, et l’a considéré comme contraire à sa tradition, et opposé à sa voie et à sa législation. Il leur répondit : « Mais moi, je jeûne et je mange, je prie et je dors, et j’épouse les femmes. Et celui qui s’écarte de ma tradition n’est pas des miens. » [1]
Apparurent ensuite les Khârijites, ces Arabes à la rustrerie légendaire. Leurs connaissances ne dépassaient guère l’entendement personnel qu’ils avaient de l’Islam. Ils ont alors fait preuve d’outrance aussi bien dans leur compréhension que dans leur pratique.
Ils considéraient le péché comme un acte d’infidélité. Ils se sont ainsi tracé une voie escarpée, par laquelle ils pensaient pouvoir atteindre l’Agrément de Dieu. Ce faisant, ils n’ont guère prêté attention à l’authentique moyen qui les ferait parvenir à leurs aspirations.
La majorité des Musulmans n’a pas agréé leurs comportements, malgré leur grande motivation religieuse, grâce à laquelle ils passaient de longues nuits à prier, à réciter le Coran, à s’incliner et à se prosterner.
Mais par souci d’impartialité, nous devons innocenter les Khârijites : ils ne menaient pas une vie monacale.
Bien que leur dévotions dépassaient de loin celle des moines, bien que leur amour de Dieu était plus intense, il n’en demeure pas moins qu’ils n’avaient pas déserté le monde et ses activités profanes. Ils avaient constitué des familles pour lesquelles ils devaient travailler durement pour leur assurer une subsistance et un habillement.
Je me souviens notamment de l’histoire de ce Khârijite [2] qui avait veillé toute une nuit à réfléchir au sort de ses filles s’il était tué le lendemain dans la bataille qui s’annonçait. Il se disait :
Wa qad zâdal-hayâta ilayya hubban *** Banâtî : innahunna min ad-diʿâfi
Uhâdhiru ay-yaraynadh-dhulla baʿdî *** Wa ay-yashrabna raniqam baʿda sâfî
Traduction
La vie m’est d’autant plus chère que mes filles sont faibles.
Je crains qu’après ma mort, elles ne vivent dans l’opprobre, et qu’elles ne boivent de l’eau trouble après avoir bu de l’eau pure.
Je me retrouve ainsi devant un humain au cœur noble et aux sentiments déployés, aimant ses enfants d’un amour infini, bien que son amour pour sa religion soit encore plus grand.
La bataille fait rage dans la conscience de cet homme. Que doit-il faire ? Doit-il se battre jusqu’au martyre pour défendre les principes auxquels il adhère ? Ou bien doit-il demeurer en vie pour ses filles ? Cette bataille a une magnifique portée.
Car s’il décide de tracer son chemin vers une mort certaine, abandonnant à Dieu le dépôt que constituent ses enfants, il aura alors fait un sacrifice dont la valeur demeurera inaccessible aux moines à tout jamais.
Quel sacrifice pourrait faire un homme cloîtré dans un monastère, ou reclus au sommet d’une grande montagne, n’ayant pas à se préoccuper des souffrances de la vie ni de la difficulté du chemin ?
Et pensez-vous que l’injustice sera bannie et la justice rétablie par les efforts de ces ermites ou bien par les épées de ceux-là qui vendent leurs enfants et leurs biens à Dieu ?
L’Islam a élevé la position de la piété, lorsqu’il a assigné le monachisme de sa Communauté à être l’effort de lutte. C’est une position que ne pourront atteindre les inactifs, quand bien même leurs langues s’embarrasseraient du fait de leurs longues invocations et de leurs non moins longues prières.
Bien que la graine de l’outrance ait commencé à pousser dans un cadre purement islamique, et que sont apparus de nombreux ascètes dont les desseins n’avaient pas le moindre lien avec les cultures étrangères, nous ne nions pas que l’environnement islamique a également connu des idées éloignées de l’Islam.
Toutefois, ces idées n’ont pas trouvé leur chemin jusqu’à notre Communauté à partir d’un emprunt aux traditions byzantines, perses ou indiennes.
L’Islam trouvait une fort meilleure reconnaissance auprès de ses adeptes. Les Musulmans étaient trop puissants et leur niveau civilisationnel trop élevé pour qu’ils se laissent mener par autrui.
Le vainqueur ne suit pas le vaincu. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un conquérant, fier de ses principes et de ses fondements, accepte de renoncer à ses opinions pour les remplacer par les doctrines et les conceptions des pays conquis, surtout lorsqu’il s’agit de croyances et de cultes.
Dans les pires crises et malheurs que les Musulmans ont dû traverser, il n’a jamais traversé leur esprit qu’il puisse exister un Livre plus juste que le Coran, ni un homme plus digne d’être suivi que Muhammad - paix et bénédiction sur lui...
L’infiltration d’innovations et d’idées étrangères dans l’ascétisme, ou dans d’autres domaines, provient de la conversion à l’Islam de foules innombrables issues des populations chrétiennes, mages, bouddhistes, etc. Ces convertis ont apporté avec eux leur héritage et leurs coutumes dont ils ne peuvent que rarement se défaire avant une certaine durée...
Il ne faut pas s’attendre d’une génération récemment convertie à l’Islam, et qui était auparavant bouddhiste ou chrétienne, à ce qu’elle abandonne totalement et définitivement ses conceptions primitives dans le domaine des choses secondaires de la religion, qui peuvent être sujettes à divers points de vue et à différentes opinions.
Une telle génération croira en Dieu l’Unique. Elle légitimera ce qu’Il a légitimé, prohibera ce qu’Il a prohibé. Mais, malgré tout, elle aura une préférence pour telle œuvre de culte plutôt que pour telle autre ou pratiquera de telle manière plutôt que de telle autre.
Nous tendons donc à penser que la propagation de l’ascétisme outrancier, avec ses deux facettes - l’outrance dans le culte et le renoncement au monde - est le fait de ces masses converties à l’Islam, qui n’ont pas pu en avoir une profonde compréhension, ni une pratique conforme à sa tradition.
Goldziher tente de faire croire aux gens que l’Islam, en tant que religion, a emprunté cet ascétisme au Christianisme.
Bien que nous rejetions cette prétention en vertu des preuves que nous venons d’exposer, nous admettrons à tort que celle-ci est vraie. Qu’est-ce que cela apporterait donc à Goldziher ?
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Hadith authentique rapporté d’après Anas par Al-Bukhârî, Muslim, l’Imâm Ahmad et An-Nasâ’î en ces termes : « Par Dieu, je crains certainement Dieu plus que vous, et je Lui suis plus dévoué que vous. Mais moi, je jeûne et je mange, je prie et je dors, et j’épouse les femmes. Et celui qui s’écarte de ma tradition n’est pas des miens. »
[2] Il s’agit de Abû Khâlid Al-Qanânî. NdT
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