mercredi 31 mars 2004
Le lecteur pourra découvrir la réalité du soufisme d’un point de vue islamique, par exemple dans notre livre Al-Jânib Al-ʿÂtifî fî Al-Islâm (L’Aspect sentimental de l’Islam).
Je me contenterais ici de rappeler une signification liée à l’ascétisme.
L’ascétisme découlant de la privation ou de l’impuissance n’est pas une vertu accomplie.
Il est vrai que la maxime dit que « la pauvreté est une vertu ». Les dispositions morales de certaines personnes peuvent en effet être réformées vers quelque chose de meilleur lorsqu’elles souffrent d’un manque d’argent ou de notoriété. Il se peut également que soit purifiée l’âme d’un homme reclus dans un lointain village.
Moi-même ressens d’ailleurs en de nombreuses circonstances que le retranchement du monde est un bonheur. J’ai été arrêté par quelque gouvernement. Et lorsque j’ai été libéré et que j’ai dû supporter à nouveau la responsabilité de ma liberté et de mes activités publiques, j’ai envié ces détenus qui n’avaient plus à se préoccuper de toutes ces obligations. Puis, je me suis rendu compte, à la lumière de mon expérience, que le monachisme n’était en fait qu’un faux-fuyant par lequel on évite de se confronter à la vie, faisant croire qu’on a réussi à la vaincre !
L’Islam est bien au-dessus de tout cela.
L’Islam est une prise d’assaut de la bataille de la vie, une immersion dans ses joies et dans ses peines, une force accompagnatrice qui permet de la maîtriser et de l’orienter vers la fin espérée, et ce, en conformité avec cette foi qui emplit les cœurs.
Dans mon livre Min Maʿâlim Al-Haqq (Des Jalons de la Vérité), j’ai tenu les propos suivants :
« La meilleure chose qu’on puisse dire d’un prédicateur est qu’il s’est dispensé du monde des hommes - de sorte que ces derniers ne craignent pas qu’il le leur séquestre - et qu’il a donné tout le bien qu’il possédait - de sorte que les délégations humaines se succèdent à sa porte pour quémander sa sollicitude.
Et c’est là le sens que Noé a voulu inculquer à son peuple : « Si vous vous détournez, alors je ne vous ai pas demandé de salaire... Mon salaire n’incombe qu’à Dieu. Et il m’a été commandé d’être du nombre des soumis. » [1]
Le proverbe est on ne peut plus vrai : L’avidité a humilié les hommes.
Rien n’est plus difficile à conquérir, par les diverses figures de la tentation, qu’un ascète qui observe les hommes, en étant immunisé contre le sentiment de l’envie qui le rapprocherait du monde alors qu’il doit s’en éloigner, ou contre le sentiment de la crainte qui l’éloignerait du monde alors qu’il doit s’en rapprocher. Non, la richesse qu’il détient en son cœur le protège définitivement de ces brèches qui humilient les rois. Sereine est son âme, fière est son allure du fait des trésors qu’il possède exclusivement auprès de Dieu.
Épurer ses principes de tout dessein lucratif est la signification de cet ascétisme en lequel trouvaient refuge les Imâms et qui fut célébré par les savants.
L’ascétisme n’est ni une ignorance des choses de la vie, ni une désertion de l’activité humaine, ni une incapacité à pratiquer tel ou tel métier, ni encore un renoncement aux délices de la vie, soit parce qu’on ne parvient pas à les atteindre, soit parce qu’on est suffisamment stupide pour ne pas goûter à la beauté que Dieu y a placée.
Que de Prophètes ont joui de biens terrestres et d’une descendance, en étant malgré tout des ascètes ! Et que de déshérités ont passé leur vie à envier un sort meilleur et à s’en lécher les lèvres, sans que leur pauvreté ne relève pour autant leur statut moral, ni augmente le nombre de leurs mérites.
L’ascétisme consiste à ne pas échanger ses idéaux contre tous les trésors du monde, si jamais on est amené à effectuer un choix entre ceux-ci et ceux-là.
Dieu a blâmé ces gens qui ont préféré le bas monde à l’au-delà : « Il en est ainsi, parce qu’ils ont aimé la vie présente plus que l’au-delà. Et Dieu, vraiment, ne guide pas les gens mécréants. Voilà ceux dont Dieu a scellé les cœurs, les oreilles et et les yeux. Ce sont eux les insouciants. » [2]
Quant au fait de sentir les bienfaits de Dieu, d’en jouir et d’en goûter la douceur à travers son corps et son esprit, il n’y a là rien qui entache les vertus d’un homme croyant, militant et fidèle à ses principes.
Ne voyons-nous pas le Noble Coran attirer l’attention sur un aspect des bienfaits que Dieu a accordés aux hommes, lorsqu’il leur dit au sujet de la domestication des bestiaux : « Vous contemplez leur beauté quand vous les ramenez, le soir, ainsi que le matin quand vous les lâchez pour le pâturage. » [3] ?
Cette beauté-là est déjà une faveur qui mérite d’être rappelée. Que dire alors des autres formes de beauté supérieure, et que Dieu a accordées - toutes sans exception - aux croyants ?
Les hommes de principes peuvent éprouver quelque amour pour certaines choses de ce monde, mais rien qui puisse leur plaire ne s’interposera entre eux et leur Seigneur, ni rabaissera à leurs yeux la valeur de la vérité, ni les humiliera à la face de l’humanité... »
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Sourate 11 intitulée Jonas, Yûnus, verset 72.
[2] Sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, versets 107 et 108.
[3] Sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 6.
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