samedi 12 juillet 2003
La liberté de se mouvoir et de se diriger à son gré est un sentiment vécu par l’être humain au plus profond de son âme.
Et - s’il admet la vérité -, il doit reconnaître qu’il s’égare lorsqu’il prétend qu’il a été contraint à commettre un mal ou à se détourner d’un bien. Néanmoins, par souci d’impartialité dans le développement de ces vérités, il faut reconnaître l’existence des nombreuses circonstances qui constituent le cadre de vie de l’être humain et qui influencent profondément ses comportements.
L’être humain peut ressentir - en ayant tout à fait raison - que sa liberté ressemble parfois à la liberté dont dispose un passager dans une voiture qui roule ou dans un bateau qui vogue, c’est-à-dire qu’il ressent que la liberté de mouvement qui lui est accordée est fort limitée à l’intérieur de ces deux moyens de locomotion.
Il ressent qu’il ne peut dépasser la rambarde du bateau, sous peine d’être avalé par les eaux, ni dépasser la portière de la voiture, sous peine d’être projeté sur la route.
Cela signifie qu’il existe des états extérieurs touchant à sa subsistance, à son échéance, à sa santé et à sa maladie et qui peuvent l’influencer, de telle manière qu’il ne peut leur échapper.
Ce sont ces états que nous, Musulmans, appelons le destin.
L’expérience d’une autorité supérieure existe dans toutes les religions révélées, et elle n’est pas l’apanage du seul Islam ! !
Cette rumeur, selon laquelle le destin serait une idée exclusivement islamique, s’est en effet répandue parmi les Européens. Écoutons plutôt le poète allemand Goethe qui critique cette rumeur dans son livre, Conversations de Goethe avec Eckermann.
« Vous devriez, dit Goethe, avoir étudié comme moi depuis cinquante ans l’histoire de l’Église pour comprendre comme tout cela se tient. Par contre, il est extrêmement curieux de voir avec quelles doctrines les mahométans [1] commencent leur éducation. Ils inculquent tout d’abord à leurs jeunes gens comme base de la religion la conviction, que rien ne peut arriver à l’homme qui ne lui soit déjà depuis longtemps prédestiné par une puissance divine, régulatrice de toutes choses, et les voilà cuirassés pour la vie ; ils sont tranquilles et n’ont presque plus besoin d’autre chose.
Je ne veux pas examiner pour l’instant ce qu’il peut y avoir de vrai, de faux, d’utile ou de nuisible dans la doctrine ; mais, au fond, il y a en nous tous un peu de cette croyance, bien qu’elle ne nous ait pas été enseignée. « La balle sur laquelle mon nom n’est pas inscrit ne saurait m’atteindre », dit le soldat dans la bataille. Et, sans cette assurance, comment conserverait-il son courage et sa sérénité au milieu des dangers les plus urgents ? L’enseignement de la foi chrétienne : « Pas un passereau ne tombe du toit sans la volonté de mon Père », n’a point d’autre origine. Il se réfère à une Providence, attentive aux choses les plus minimes et sans la volonté et le consentement de laquelle rien ne peut arriver. » [2]
Les savants musulmans établissent une distinction entre le domaine d’action et de prise de responsabilité de la volonté humaine, et entre le vaste domaine sur lequel s’étend de manière absolue la volonté divine.
Le premier domaine est un terrain où se déroulent des actions libres pour lesquelles l’auteur sera soit récompensé soit châtié.
Quant au second domaine, il s’agit du terrain consacré à ce destin dont les hommes recueillent volontiers et sans rechigner aussi bien les bienfaits que les méfaits. Les versets coraniques abondent dans l’un et l’autre sens.
Les savants ont ainsi déterminé les limites de chaque domaine et en ont donné des exemples probants, de telle sorte que les contradictions que s’illusionnent les Goldziher et consorts sont totalement levées.
Traduit de l’arabe aux éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Goethe entend par-là les Musulmans. La désignation qu’il utilise est erronnée, car le nom de notre communauté que Dieu nous a agréé est « Musulmans ». Il est faux d’assimiler notre relation avec Muhammad à celle des Chrétiens avec Jésus.
Nous attestons que Muhammad est le Serviteur et le Messager de Dieu. Les Chrétiens, quant à eux, considèrent que le Christ est Dieu, ou le Fils de Dieu. En conséquence de cela, ils se désignent comme Chrétiens. Ils veulent donc, de la même manière, nous faire porter le nom de mahométans, ce que nous refusons fermement.
[2] La traduction utilisée pour ce passage des Conversations de Goethe avec Eckermann est celle de Jean Chuzeville, Gallimard, 1988. NdT
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