jeudi 19 février 2004
« Sans vouloir provoquer la colère des historiens, nous pouvons dire que l’apparition de l’Islam constitue la limite temporelle entre un monde ancien qui souffrait les affres de la mort et un monde nouveau qui retrouve la vie. Nous pouvons désigner par le monde de l’obscurantisme tout le monde ancien, qu’il soit oriental ou occidental. Et nous pouvons désigner par le monde de l’islamité tout le monde nouveau, qu’il soit chrétien ou muhammadien.
Ce partage est notamment justifié par le fait que Dieu - Exalté soit-Il - a envoyé son Messager Muhammad pour guider l’humanité entière. Auparavant, Dieu envoyait ses Émissaires aux cités qui s’étaient corrompues et aux peuples qui s’étaient égarés.
Mais lorsque l’ignorance a enveloppé le monde et que l’égarement s’est répandu sur terre, la Sagesse du Créateur a voulu que le message destiné à cette humanité soit général et que sa prédication soit globale.
Cette législation générale devait tout naturellement être parfaite, ne souffrant d’aucun manque, apte à être rénovée sans subir les vicissitudes des siècles, valable pour tout humain et dans tous les horizons. Cette législation se devait de contenir les remèdes à tous les maux, d’offrir une voie à tous les peuples et de donner la solution à tous les problèmes.
Telles sont les caractéristiques distinguant la législation islamique, après laquelle toute révélation a cessé et dont le Prophète fut le Sceau des Messagers. » [1]
L’ère de l’obscurantisme mondial qui a précédé l’ère de l’islamité mondiale était plongée dans la plus éternelle, la plus ténébreuse et la plus angoissante des nuits. D’époque en époque, ce ciel assombri était néanmoins illuminé par des éclats de raison humaine, à Thèbes ou à Athènes, ou par une lueur de révélation divine au Sinaï ou à Jérusalem. Hélas, la lumière de la raison fut soufflée par la bestialité des Romains et la voix de la révélation fut étouffée par le matérialisme des Juifs. Les ténèbres recouvrirent une nouvelle fois tous les horizons et l’égarement se répandit sur toute la terre. Ainsi allait la caravane de la vie, errant dans l’immensité de l’inconnu, menée de l’Est par les Perses et conduite vers l’Ouest par les Byzantins.
Byzance n’était rien d’autre, aux sixième et septième siècles chrétiens, qu’un Empire déliquescent, rongé par l’outrance du faste, le luxe de la vie, la corruption des principes et les divergences doctrinales. La religion elle-même ne sut en réchapper : c’était en effet à cette époque qu’un conflit éclata à Byzance au sujet de la nature du Christ et que fut soutenue une rude polémique sur les attributs de cette nature.
A Rome, la vie profane était plongée dans la concupiscence des instincts et les errements de l’âme, ce qui eut pour conséquence de réduire notablement le pouvoir de la raison et de rabaisser l’autorité de l’esprit. Ce fut sur une religion aussi affadie et une vie profane aussi licencieuse que s’érigea sur les deux moitiés de l’Empire conquérant un système politique aussi impudent que débauché : il accabla les populations par de multiples impôts, il répandit la corruption parmi les membres de la classe dirigeante, il souilla la société par d’innombrables vices, il inculqua aux hommes le sentiment de l’humiliation, de sorte qu’ils finirent par glorifier les chefs, sacraliser les seigneurs, diviniser les Empereurs, tant et si bien que le gouvernant et le gouverné, l’adorant et l’adoré, furent précipités dans un gouffre infini.
Les Perses ne faisaient pas meilleure figure : ils n’étaient à la même époque qu’un Empire ruiné et une nation émiettée. Comme les Byzantins, ils eurent leur lot de décomposition des principes, de putridité des mœurs, de dictature des instincts, de disparité des castes, de tyrannie des rois et de fausseté de la religion. La Perse est notamment connue pour l’apparition violente en son sein de doctrines bancales ainsi que pour sa propension à la perversion. Entre le symbolisme de Zoroastre qui a posé les bases de l’imbécile religion mage et le nihilisme de Manès qui a interdit le mariage pour accélérer l’extinction de l’espèce humaine, en passant par l’existentialisme de Mazdak qui considère que les hommes doivent mettre en commun leurs biens et partager leurs femmes, nous entrevoyons ici une situation sociale putride et un système politique maladif au sein desquels aucun homme libre ne saurait vivre, et sur la base desquels aucune autorité ne pourrait persister.
Les hommes qui vivaient au-dehors de ces deux Empires étaient dans une situation bien plus précaire et dans un gouffre bien plus béant que ce que nous venons de décrire. Quant aux Arabes et aux Juifs, la description qu’en fait le Noble Livre se passe de tout commentaire. Les Indiens et les Chinois, adeptes du Bouddhisme et du Brahmanisme, étaient plongés pour leur part dans une idolâtrie dévergondée, aux innombrables statues, aux chimères infinies, et sans nul remède contre les maux moraux et sociaux qui les avaient assaillis, certains de ces maux pouvant anénantir à eux seuls des pans entiers de la planète.
En ce qui concerne les peuples du Nord et de l’Ouest de l’Europe, ils étaient encore étrangers à l’existence civilisée. Ils ne s’intéressaient à personne et personne ne s’intéressait à eux.
La caravane de la vie poursuivait ainsi son parcours au milieu de cette situation douloureuse et de cette gouvernance trompeuse !
Des ténèbres recouvrant le monde entier ! Des légendes effrayant les cœurs, des obstacles se heurtant aux corps, et des démons insufflant ici la tentation, là la perversion, et badinant plus loin avec la religion. Tout cela bien entendu, en utilisant Eve pour enfoncer davantage Adam !
Dieu - Exalté soit-Il - n’allait pas abandonner à lui-même et à l’errance le convoi de la création, alors qu’Il avait décrété que cette humanité devait traverser toutes les étapes de l’existence et parvenir jusqu’au terme de son échéance.
Pour cette raison, par Sa Clémence et Sa Miséricorde, Il permit à l’aube de se lever sur cette nuit et, par Sa Science et Son Omniscience, Il voulut que l’apparition de cette aube se fît dans la grotte de Hirâ’.
Ce fut ainsi que l’Islam posa ses premiers pas sur le terrain de la vie : une pureté du cœur, un firmament de la pensée, un travail au service de la vérité, une miséricorde pour les humains et une surveillance continue, envers Dieu, des actes publics et privés.
Le mépris des choses terrestres et leur déconsidération est une vertu caractérisant les premiers Musulmans, avant l’Hégire puis après.
A la Mecque, le Musulman était astreint par sa foi à sacrifier sa vie, ses biens et sa sérénité en résistant aux autorités qui le persécutaient pour sa religion. A Médine, le Musulman endossa les mêmes responsabilités, voire bien pire encore, car cette fois-ci, il était aux prises dans un combat de vie ou de mort avec les ennemis de l’Islam qui accouraient de tous les horizons pour venir le combattre.
Les Musulmans apprirent de leur Messager que le mérite d’une œuvre est fonction de l’intention qui l’accompagne : celui qui mêle à sa lutte des considérations mondaines tels la quête des richesses et de la renommée, voit sa récompense perdue et son œuvre vaine.
Dans nos autres livres [2], nous avons listé les versets et les hadiths soutenant avec insistance cette vérité.
A partir de ces textes lumineux et des chroniques des conquêtes elles-mêmes, tout chercheur objectif ne peut que reconnaître que ces conquêtes furent une miséricorde pour l’univers, que les hommes qui ont mené ces batailles sont des modèles de détachement de la vie terrestre et d’attachement à l’au-delà.
Goldziher veut néanmoins nous faire croire qu’à la Mecque, l’Islam était une religion de désintérêt pour les choses matérielles ou - selon son expression - une religion de renoncement au monde, alors qu’à Médine, il devint une religion de cupidité et de poursuite des biens terrestres. Au sujet des motivations matérielles des conquêtes, il écrit à la page 111 :
« C’est ce que le Prophète lui-même a bien vu lorsqu’il cherche à exciter le zèle des combattants au moyen des maghânim kathîra (butin considérable) promis par Allâh (48 v. 19). Et lorsqu’on lit les vieux récits des maghâzî (expéditions guerrières) du Prophète, on est véritablement surpris des renseignements sur les grandioses partages de butin qui suivent, avec l’inflexibilité d’une loi naturelle, la relation de chaque guerre sainte.
Toutefois le Prophète ne renie pas les buts plus élevés auxquels ces combats doivent conduire ; il continue à prêcher contre la poursuite exclusive des biens terrestres, de la dunyâ : « Chez Allâh, il y a de nombreux maghânim » (4 v. 96). « Vous vous efforcez vers les vanités de ce monde ; mais Allâh veut ce qui est au-delà » (8 v. 68). Le ton ascétique des premières prédications mekkoises persiste comme élément doctrinal dans le réalisme de Médine. Mais la réalité avait engagé l’esprit de la jeune communauté islamique dans des voies tout autres que celles où le Prophète à ses débuts marchait et faisait marcher ses fidèles. »
Nous répondons : Il suffit, pour démontrer son mensonge, de signaler que les versets qu’il a pris à témoin sont des versets médinois, révélés à Médine, pour réprimer les inclinations naturelles et humaines vers la poursuite des biens terrestres en tant que fin en soi, et vers l’amour du monde en tant que fin en soi également. Ces versets n’ont nullement été révélés à la Mecque.
Mais entrons dans le vif du sujet : Quel est donc cet ascétisme que Goldziher aurait souhaité voir chez les Musulmans, et pour lequel il les blâme de s’en être écartés ?
Naturellement, il fulmine de rage à cause de la destruction et de la disparition de la puissance byzantine. Il décrit cette destruction menée par les Musulmans comme ayant été motivée par l’acquisition des richesses. Il aurait préféré voir les Arabes rester immobiles dans leur Péninsule.
Nous ajoutons : Si les Musulmans étaient restés terrés en Arabie, ils auraient été en contradiction avec leur Livre. Et cet orientaliste aurait été le premier à relever cette contradiction. Il aurait alors dit : « Comment pouvons-nous concilier l’universalité de la prédication islamique et son confinement à l’intérieur de l’Arabie ? »
Nous avons expliqué dans nos autres livres comment ces Empires avaient emprisonné les populations dominées derrière des remparts de fer, de telle sorte que ces peuples soient totalement isolés du monde extérieur. Nous y avons également expliqué que pour détruire ces remparts, il n’y avait aucun moyen sinon l’épée. Puis, après que les hommes se soient libérés des prisons de leurs chefs, ils avaient tout loisir d’accepter ou de refuser l’Islam, sans aucune restriction.
Mais laissons de côté ce sujet et discutons ce que Goldziher demande aux Musulmans, afin qu’ils deviennent - de son point de vue - de gentils ascètes !
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Conférer Majallat Al-Azhar (La Revue d’Al-Azhar), volume premier, 1944, article du rédacteur en chef.
[2] Conférer nos livres suivants : At-Taʿassub Wat-Tasâmuh bayn Al-Masîhiyyah Wal-Islâm (Le Fanatisme et la Tolérance entre le Christianisme et l’Islam), Al-Istiʿmâr Ahqâd wa Atmâʿ (Le Colonialisme : rancœurs et convoitises), Al-Islâm Wal-Istibdâd As-Siyâsî (L’Islam et le Totalitarisme politique).
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