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Défense du dogme et de la loi de l’Islam contre les atteintes des orientalistes
Section : Développement dogmatique

La position musulmane vis-à-vis du principe de causalité

mercredi 4 février 2004

La position musulmane majoritaire vis-à-vis de la causalité nécessite quelques explications. Ces explications sont d’autant plus impérieuses que Goldziher a abordé la position des savants ashʿarites et a résumé leur pensée de manière sournoise et obscure.

Les Sunnites n’ont pas brisé le lien robuste qui relie les causes à leurs effets respectifs. Ils n’ont pas non plus feint d’ignorer les lois immuables reliant l’antécédent au conséquent.

Tous ont dit que l’eau irrigue, que la terre fait germer les plantes, que le feu brûle, que la lumière donne lieu à l’ombre, etc. Bref, ainsi va le cours normal des choses et cela correspond quasiment sans exception aux observations effectuées.

La chose que les Sunnites ont néanmoins voulu soutenir et démontrer est la Volonté suprême. Ils ont ainsi dit que le feu brûle par la Volonté de Dieu. Ils n’ont donc pas démenti le fait qu’intrinsèquement, le feu a cette propriété de brûler. Ils ont seulement soutenu que la Volonté divine tient une place capitale dans le lien qui, de la cause, implique l’effet respectif.

Pour notre part, nous respectons les motivations de cette pensée, et rendons hommage à la noble fin qui en est visée. S’il y a dans ce monde des gens qui nient l’existence de Dieu, qui attribuent les choses de la vie et de la mort, du mouvement et de l’inertie à la seule nature des éléments, alors il est du devoir des croyants de barrer le chemin à ce mode de pensée.

Les penseurs de l’Islam se sont levés pour mener cette bataille, afin de défendre la Vérité suprême. Cette attitude courageuse devrait leur valoir l’estime et la reconnaissance de tout penseur juif ou chrétien.

C’est pour cette raison que nous trouvons fort disgracieux qu’un orientaliste ou qu’un missionaire chrétien tombe aussi bas avec ce genre d’attitude.

Mais revenons-en au sujet lui-même : La cause est-elle la véritable créatrice de ce qu’elle implique ? Ou bien n’est-elle que la manifestation d’une force qui l’accompagne, qui l’imprègne et qui émane sur elle de l’extérieur ?

Les savants musulmans ne voient pas la cause comme la véritable créatrice de ce qu’elle induit.

L’eau n’implique la germination que parce que cette propriété intrinsèque lui a été assignée de la part du Créateur. Nous ne doutons pas un seul instant que l’eau fait germer les plantes et qu’elle est capable de transporter les navires par exemple.

Mais ce sur quoi nous voulons insister, c’est que ces propriétés émanent du Créateur Omnipotent. C’est Lui qui a fait que l’eau soit ainsi.

Se pose alors une autre question : La divinité qui a créé ce monde a-t-elle abandonné la gestion de l’existence, la laissant ainsi suivre son cours d’elle-même ? Ou bien gère-t-elle encore et toujours tout atome de ce vaste et grandiose Royaume ?

Les savants musulmans répondent : Cette divinité a une mainmise absolue et une hégémonie totale sur toute particule de cet univers. Une cause n’implique sa conséquence que parce qu’elle tire continuellement son existence originelle et les propriétés de cette existence, de Dieu, Seigneur, Créateur et Guide de toute chose. Cela signifie très simplement que - s’Il le veut - Dieu peut très bien faire qu’une cause n’implique plus la conséquence escomptée.

Ce sont ces significations que les savants musulmans ont voulu entériner, et leurs propos sur les causes et les effets entrent dans ce cadre. L’objectif - encore une fois - est véridique et louable. Et même si les termes utilisés et les moyens mis en œuvre peuvent parfois prêter à confusion, il demeure que le plus important, c’est l’objectif qui, lui, est véridique.

L’entérinement de cet objectif est inéluctable dès lors que nous nous confrontons aux athées, tels les existentialistes, les communistes et autres bestioles babillardes que nous rencontrons ces jours-ci.

Les savants de l’Islam n’ont jamais pensé à détruire la cohésion du système cause-effet. Ils ont seulement voulu répondre aux négateurs de la divinité, ou à ceux qui s’imaginent la divinité comme une machine à l’influence et au pouvoir limités.

Si les Juifs et les Chrétiens, qui sont dépositaires de religions révélées, ont à nous proposer une pensée plus noble que celle-ci en ce qu’elle réfute tout attribut d’imperfection assigné à Dieu et en ce qu’elle Lui rend tout attribut de gloire, alors qu’ils veuillent bien avoir la délicatesse de nous la présenter, même si c’est à travers les orientalistes et les missionnaires chrétiens. Nous l’accepterons aussitôt, car jamais nous ne nous alanguissons pour accepter un argument, quel qu’il soit, qui rende gloire à Dieu.

Les termes utilisés par les Ashʿarites peuvent avoir tendance à affirmer que la Providence divine intervient dans toute chose. On peut alors être enclin à croire qu’il s’agit là d’une attaque franche du principe de causalité. Mais je pense que cette tendance revient moins à la négation du principe de causalité qu’à la nature de la réponse formulée par les Ashʿarites à l’intention de leurs adversaires. Surtout si l’on garde à l’esprit les polémiques démentes qui ont battu leur plein dans le domaine de la théologie.

Nous apprécions tout particulièrement les propos du Sheikh Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî à ce sujet :

« Les sectes musulmanes qui ont abordé la question des causes et des effets sont souvent tombées soit dans le piège de l’outrance, soit dans celui du laxisme. Les rationalistes énoncent quant à eux que le monde est tout entier soumis à une chaîne ininterrompue de causes et d’effets. L’effet ne fait jamais défaut à la cause, et le conséquent ne saurait se détacher de l’antécédent. Les Muʿtazilites penchent pour cette opinion. S’ils établissent la cause d’un événement, ou s’ils découvrent une propriété intrinsèquement liée à leur objet d’étude ou ayant sur lui une influence certaine, ils proclament aussitôt que cette relation de causalité est nécessairement vérifiée, de sorte qu’observer autre chose serait d’une rareté improbable. C’est pour cette raison qu’ils écartent systématiquement toute occurrence contraire à ce qu’impliquent ses propriétés intrinsèques, ou tout événement n’ayant pas de cause. Ils s’efforceront ainsi de démontrer les événements spectaculaires et les miracles relatés dans le Coran ou le Hadith en leur attribuant des causes ordinaires et des antécédents naturels. S’ils échouent - chose rarissime - ils reconnaissent bien malgré eux qu’ils ont affaire à un miracle.

A l’inverse, les Ashʿarites déclarent que rien n’est la cause de quelque chose. Rien n’a de propriété intrinsèque ou d’influence. Cet extrémisme a également porté préjudice à la question et a provoqué une confusion générale. Chacun disait ainsi ce qu’il voulait et réfutait ce qu’il voulait.

Un grand nombre de gens ont penché pour cette opinion, réfutant et refusant la notion de cause, pour sombrer dans l’inactivité et l’oisiveté. »

Le Sheikh Jalâl Ad-Dîn adopte une opinion médiane entre les deux extrémités. Il entérine ainsi le fait que les causes sont une réalité, que les antécédents et les conséquents, les causes et les effets sont liés les uns aux autres, et qu’il n’est ni objectif, ni raisonnable, ni possible de nier cela. La règle que Dieu a établie est que les effets sont soumis à leurs causes respectives et que les choses ont des propriétés intrinsèques qui les influencent. Mais la rupture de ce cours normal des choses, l’événement extraordinaire, demeure possible et réaliste. Car le Créateur des causes et le Façonneur des antécédents ne s’est nullement retranché après Sa Création du monde. Ni n’a-t-Il écarté les causes de Son Pouvoir et de Son Action.

Il demeure toujours le Seigneur des causes et l’Omnipotent absolu. S’Il le veut, Il peut garder les effets reliés aux causes et soumises à leurs implications. C’est ce qui se passe le plus souvent. Et s’Il le veut, Il peut ôter aux effets leurs causes respectives et les créer sans cause ou en dépit d’une cause. Et là, c’est la rupture du cours normal : l’extraordinaire.

Le Sheikh Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî poursuit :

« La majeure partie des situations et des événements sont régulés suivant la loi divine courante. Mais Dieu peut parfois rompre ce cours normal et déroger à cette loi, par Sa Volonté et Son Omnipotence, en faveur de Ses Prophètes ou de Ses pieux Serviteurs. En conséquence, si nous voyons les causes exercer une influence effective dans la plupart des cas, il ne faudrait pas en déduire pour autant que le Pouvoir divin est impuissant et impotent, que la Volonté divine est sans effet et sans influence, ou que Dieu n’est pas Capable de séparer les effets de leurs causes et de disjoindre les conséquents de leurs antécédents.

Les causes ne se limitent pas à ce que nous avons connu et expérimenté, ni à ce que nous observons et connaissons. Il existe en réalité des causes invisibles, inaccessibles à notre perception. Ces causes cachées sont les causes motrices des causes apparentes. Elles peuvent les activer et les pourvoir tout comme elles peuvent les désactiver. L’être humain perçoit facilement les causes apparentes, mais le plus souvent, il ignore les causes cachées.

Il remarque par exemple que si l’on frotte deux allumettes pour créer une étincelle, on allume un feu. Il saisira ainsi que l’étincelle est la cause provoquant l’apparition de la flamme, mais il ignorera la cause cachée, de même d’ailleurs que la cause des causes vers laquelle converge la chaîne des antécédents. La cause véritable et fondamentale est en fait l’Ordre divin et la Volonté suprême, qui surplombent toute cause et fondent tout événement : « Quand Il veut une chose, Son commandement consiste à dire : ‹Sois›, et c’est. » [1]

Les Prophètes connaissent et voient les causes cachées tout comme nous, nous connaissons et voyons les causes apparentes. Par ailleurs, ils croient que la cause véritable, vers laquelle convergent toutes les causes et tous les antécédents, et qui est en outre la source de tout événement et de tout acte, est la Volonté divine.

Ils contemplent cette Volonté divine disposant des créatures, gérant cet univers et dominant toute volonté et tout principe. C’est à elle qu’est soumis le schéma de cette existence. C’est elle qui assigne aux choses leurs propriétés intrinsèques et qui les leur retire si elle le désire. C’est elle qui peut changer le caractère et la nature des choses, de sorte que le feu puisse devenir une fraîcheur salutaire [2].

Ils considèrent que les causes apparentes sont faibles, insignifiantes et absurdes devant les causes cachées. Puis ils considèrent que ces causes cachées sont tout aussi faibles, insignifiantes et absurdes devant la cause véritable : la Volonté divine.

« Ainsi avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux qui croient avec conviction. » [3]

Les personnes qui ont une vision étriquée - sous l’influence de l’obscurantisme et du matérialisme - exagèrent la sacralisation des causes et la croyance à leur puissance et à leur influence. Ils s’y accrochent et s’y attachent alors avec démesure, prenant les causes pour des divinités en-dehors de Dieu et faisant mine d’ignorer la Cause des causes et le Seigneur des seigneurs. Ils rendent ainsi un culte aux phénomènes et aux apparences.

C’est à ce niveau que se lèvent les Prophètes pour combattre cette idolâtrie - l’idolâtrie des causes - et pour appeler les hommes à quitter ces considérations causales pour la Cause ultime. Dieu occasionne ainsi par leur intermédiaire - en guise d’avertissement et d’enseignement - des événements défiant les lois de la nature. Se révèlent ainsi la faiblesse et l’impuissance des causes, et se manifestent la Toute-Puissance et la libre Volonté de Dieu. Lui-Seul détient les rênes de l’univers, et à Lui-Seul revient la souveraineté sur toute chose existante. Il est Tout-Puissant, n’ayant nul besoin des causes et n’ayant guère à s’y conformer. Voici alors que les mers se sont ouvertes pour les Prophètes, que les fleuves ont jailli sans cause habituelle et ordinaire. Des champs apparaissent en leur faveur sans activité agricole préalable ; le sable devient semoule ; la laine devient soie. La partie peu nombreuse vainc la partie nombreuse ; l’homme pauvre et faible s’enrichit tandis que périt l’homme fort et opulent.

« Et les gens qui étaient opprimés, Nous les avons fait hériter des contrées orientales et occidentales de la terre, que Nous avons bénies. Et la très belle promesse de ton Seigneur s’accomplit sur les enfants d’Israël pour prix de leur endurance. Et Nous avons détruit ce que faisaient Pharaon et son peuple, ainsi que ce qu’ils construisaient. » [4] »

P.-S.

Traduit de l’arabe aux éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.

Notes

[1Sourate 36 intitulée Yâ-Sîn, verset 82.

[2Allusion à l’histoire d’Abraham, rapportée dans la sourate 21, les Prophètes, Al-Ambiyâ’ : « Ils dirent : ‹Brûlez-le et secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose pour elles›. Nous dîmes : ‹Ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire›. » NdT

[3Sourate 6 intitulée les Bestiaux, Al-Anʿâm, verset 75.

[4Sourate 7 intitulée les Limbes, Al-Aʿrâf, verset 137.

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