lundi 12 avril 2004
Nous sommes satisfaits de lire que l’Islam n’est pas la source de cet extrémisme, mais que ce sont d’autres religions qui lui ont donné naissance puis qui l’ont conservé.
Écoutez-le dire aux pages 124 et 125 :
« Ce sont surtout deux éléments qui apparaissent, dans la plus ancienne période de l’ascétisme islamique, comme les objets d’une exagération de ce genre : un élément liturgique et un élément éthique. L’élément liturgique s’exprime par le terme dhikr « mention », qui a conservé sa place dans toute l’évolution du mysticisme musulman. L’Islâm officiel borne la prière liturgique à des moments déterminés du jour et de la nuit. Cette limitation est rompue par la conception ascétique en ce que celle-ci place au centre de la pratique religieuse l’exhortation du Qorân à « se souvenir fréquemment d’Allâh » (33 v. 14), et élève les exercices de dévotion auxquels elle donne le nom de dhikr au rang de pratique essentielle de la religion, auprès de laquelle d’autres pratiques voient leur valeur profondément rabaissée et sont réduites au rôle de choses accessoires et indifférentes. Ce sont les litanies mystiques qui forment encore aujourd’hui l’ossature des confréries, héritières de ces vieux ascètes.
La particularité éthique qui tranche nettement dans l’ascétisme de cette période ancienne est l’exagération de la confiance en Dieu (tawakkul), qui a porté ces ascètes musulmans jusqu’à la plus extrême limite du quiétisme passif. C’est l’indifférence complète et le refus de toute initiative pour leurs intérêts personnels. Ils s’abandonnent absolument à la providence de Dieu et à son destin. Ils sont dans la main de Dieu comme les cadavres dans la main du laveur des morts : sans aucune volonté et indifférents. Ils se nomment dans ce sens mutawakkilûn, c’est-à-dire qui se fient à Dieu. On rapporte, en leur imputant, une série de principes qui montrent qu’ils dédaignent de chercher à subvenir eux-mêmes à leurs besoins vitaux. Ce serait manquer de confiance en Dieu. Ils ne se soucient pas des « moyens », mais ils s’en remettent directement à Dieu de leurs besoins et appellent leur inaction confiante, par opposition au tracas des gens d’affaires, à l’humilité des artisans et à l’avilissement des mendiants, la forme la plus élevée de la sustentation de soi-même : « Ils éprouvent le Très-Haut et reçoivent leur nourriture directement de sa main sans chercher les « moyens ». On mentionne comme la vertu spéciale de ces gens qu’ils ne comptent pas le lendemain au nombre des jours ; l’avenir et le souci de ses nécessités sont complètement exclus du cercle de leurs pensées. On cite ce hadîth (très suspect il est vrai) : « La sagesse descend du ciel, mais elle ne s’enfonce dans le cœur d’aucun homme qui pense au lendemain ». Celui qui se fie à Dieu est « le fils de l’instant » (du temps, ibn al-waqt), « il ne regarde ni en arrière vers le passé, ni en avant vers le futur ».
Il faut s’attendre à ce que l’άχτημοσύνη, le dénûment complet, le rejet des biens matériels, soit l’une des idées dominantes de ces gens. Quiconque est des leurs est un faqîr, un pauvre. »
Au sujet de cet ascétisme noyé dans le renoncement au monde et la quête de Dieu par toutes sortes d’innovations, Goldziher écrit ensuite aux pages 126 et 127 :
« Nous avons déjà indiqué que [la conception de vie quiétiste] puise son aliment dans la conception du monachisme chrétien, avec l’idéal duquel les principes que nous venons d’exposer coïncident presque à la lettre. Il est très remarquable que les passages de l’Évangile très utilisés dans les maximes ascétiques, Matth., 6, 25-34, Luc, 12, 22-30, où il est question d’oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent, qui n’amassent pas dans des granges, mais qui sont nourris par le Père céleste, se retrouvent presque textuellement au centre des doctrines du tawakkul. Imitant le costume des ermites ou des moines chrétiens, ces pénitents et ascètes de l’Islâm qui renoncent au monde revêtent volontiers des vêtements de laine grossière (sûf) ; on peut faire remonter cet usage tout au moins jusqu’à l’époque du khalife ʿAbdalmalik (685-705), et il a donné naissance à la dénomination de sûfî, que les représentants de l’esprit ascétique porteront à une époque où leur ascèse pratique parvient à un plus haut point de développement et se joint à une philosophie originale, qui exerce aussi sur la conception religieuse une influence déterminante. »
Nous répondons : Que Dieu maudisse cette philosophie louée par Goldziher ! Nous lui demandons :
L’Europe a-t-elle pu échapper à son passé ténébreux autrement qu’en jetant à terre cette philosophie et ses sources ?
Quoiqu’il en soit, nous ne rechignons pas à approuver que cette philosophie est née du monachisme chrétien.
Et qu’elle n’est pas née de la vie islamique, car nous n’accepterons jamais que l’Islam en soit la source.
Quant à ses propos sur le soufisme musulman, je préfèrerais les garder à part pour les discuter lorsque - si Dieu le veut - je publierai mon livre intitulé Inhirâf At-Tasawwuf (La Dérive du Soufisme) [1], qui sera un complément à notre ouvrage Al-Jânib Al-ʿÂtifî fî Al-Islâm (L’Aspect sentimental de l’Islam).
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Il eût probablement été plus judicieux que le Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî donne un titre plus nuancé à son ouvrage, dans la mesure où lui-même fait la part des choses entre le soufisme authentique et les déviances que certains faux-prétendants du tasawwuf revendiquent. On signale à ce titre un débat intéressant autour du soufisme qui a pris place sur les pages des journaux égyptiens entre Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî — dans une position critique par rapport aux soufis — et Sheikh Muhammad Zakî Ibrâhîm — digne représentant du tasawwuf —. NdT
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