samedi 25 novembre 2000
Cette sourate tire son nom du mot lahab dans le premier verset.
Bien que les commentateurs sont unanimement d’avis qu’il s’agisse d’une sourate mecquoise, il est néanmoins difficile de déterminer dans quelle phase de la période mecquoise elle a été révélée. Néanmoins, étant donné le rôle et l’attitude de Abû Lahab contre le message de Vérité du Saint Prophète, on peut supposer qu’elle a été révélée durant la période où il a dépassé toutes les limites dans son hostilité démente envers celui-ci, et où son attitude devenait un sérieux obstacle à la progression de l’Islam. Elle pourrait aussi avoir été révélée durant la période où les Qurayshites ont imposé un embargo contre le Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui — et les siens, les assignant de force à habiter Shiʿb Abî Tâlib, et où Abû Lahab fut la seule personne à rallier l’ennemi contre sa propre famille. Cette hypothèse est fondée sur le fait que Abû Lahab était l’oncle du Saint Prophète, et que la condamnation publique de l’oncle de la bouche du neveu n’était concevable qu’à partir du moment où les excès extrêmes commis par l’oncle sont devenus visibles pour tous. Si la sourate avait été révélée plus tôt, au début de la période mecquoise, les gens auraient jugé une telle condamnation d’un oncle par son neveu moralement inconvenante.
Il s’agit ici du seul endroit dans le Coran où l’un des ennemis de l’Islam est condamné nominalement, alors qu’à la Mecque aussi bien qu’à Médine, après la migration, il y avait beaucoup de gens tout aussi hostiles à l’Islam et au Prophète Muhammad — paix et bénédictions sur lui — qu’Abû Lahab. La question est, quel est le trait de caractère de cette personne qui suscita cette condamnation nominale ? Pour comprendre ceci, il faut comprendre la société Arabe de l’époque et le rôle qu’Abû Lahab y jouait.
Dans les temps anciens prévalaient en Arabie chaos et confusion, bains de sang et pillages. Depuis des lustres une personne n’avait aucune garantie quant à la protection de sa vie, de son honneur et de ses biens à l’exception de l’aide et du soutien des membres de son clan et de sa famille, donc silat ar-rahim (la bienfaisance et l’égard envers les proches) était une importante valeur morale dans la société Arabe et rompre ses liens avec la famille était considéré comme un grand péché. Sous l’influence de cette même tradition Arabe quand le Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui — commença de prêcher le message de l’Islam, les autres clans de Quraysh et leurs chefs résistèrent et s’opposèrent à lui bec et ongle, mais les Banî Hâshim et Banî Al-Muttalib (enfants d’Al-Muttalib, frère de Hâshim) non seulement ne s’opposèrent pas à lui mais continuèrent à le soutenir ouvertement, même si la plupart d’entre eux ne croyaient pas encore en sa mission prophétique. Les autres clans de Quraysh eux-mêmes considéraient ce soutien par ceux du même sang que le Saint Prophète comme en accord parfait avec les traditions morales d’Arabie. C’est pourquoi ils n’accusèrent jamais les Banî Hâshim et Banî Al-Muttalib d’avoir abandonné leur foi ancestrale en soutenant un personne qui prêchait une nouvelle foi. Ils savaient et croyaient qu’ils ne pouvaient en aucun cas livrer une personne de leur clan aux ennemis, et leur soutien et leur aide d’un des membres de leur clan était parfaitement naturel aux yeux des Quraysh et des peuples d’Arabie.
Ces principes moraux, que même les Arabes de la période d’ignorance pré-islamique, considéraient comme dignes de respect et inviolables n’ont été brisés que par un homme dans son inimité de l’Islam, et c’était Abû Lahab, fils de ʿAbd Al-Muttalib. Il était un oncle du Saint Prophète, dont le père et lui étaient fils du même père. En Arabie, l’oncle représentait le père, surtout lorsque le neveu n’avait plus son père. L’oncle était supposé s’occuper du neveu comme d’un de ses propres enfants. Mais cet homme dans son hostilité envers l’Islam et son amour du kufr foula toutes les traditions Arabes du pied.
Les narrateurs relatent d’après Ibn ʿAbbâs avec plusieurs chaînes de transmissions que quand le Saint Prophète fut ordonné de révéler ouvertement le message de l’Islam, et qu’il reçut l’instruction dans le Coran d’avertir d’abord tous ses parents les plus proches de la punition de Dieu, il gravit le mont Safâ un matin et donna l’alerte : Ya sabâhah (Ô, calamité du matin !). Cette alerte en Arabie était donnée par la personne qui à l’aube remarquait une tribu ennemie se dirigeant vers sa tribu. Quand le Saint Prophète fit cet appel, les gens s’enquirent de savoir qui l’avait émis. On leur dit que c’était Muhammad — paix et bénédictions sur lui —. Les gens de tous les clans de Quraysh se précipitèrent dehors. Tous ceux qui le pouvaient, vinrent ; ceux qui en étaient incapables envoyèrent un autre à leur place. Quand le peuple se fut rassemblé, le Saint Messager appelant chaque clan de son nom (O Banî Hâshim, O Banî ʿAbd Al-Muttalib, O Banî Fihr...) dit : "Si je devais vous dire que derrière la colline se tenait un ennemi près à s’abattre sur vous, me croiriez vous ?" Les gens répondirent d’une voix, disant qu’ils ne l’avaient jamais entendu dire un mensonge. Le Saint prophète dit : "Alors je vous préviens que vous vous allez droit vers le tourment." Avant que personne d’autre ne puisse parler, Abû Lahab, l’oncle du Saint prophète dit : "Puisses tu périr ! Nous as tu réunis pour cela ?" Une autre tradition ajoute qu’il saisit une pierre et la jeta sur le Saint Prophète. (Musnad Ahmad, Bukhari, Muslim, Tirmidhi, Ibn Jarîr, et d’autres).
Selon Ibn Zaid, un jour Abû Lahab demanda au Saint Prophète : "Si je souhaitais accepter ta religion, qu’obtiendrais-je ?" Le Saint prophète répondit : "Tu obtiendrais ce qu’obtiendraient les autres croyants." Il dit : "N’y a-t-il pas de préférence ou de distinction pour moi ?" Le Saint prophète répondit : "Que voudrais-tu d’autre ?" Il dit alors "Que périsse cette religion dans laquelle moi et tous les autres gens sont égaux et semblables !" (Ibn Jarîr).
A La Mecque Abû Lahab était le voisin immédiat du Saint Prophète. Leurs maisons étaient mitoyennes. A part lui, Al-Hakam Ibn Al-ʿÂs (Père de Marwân), ʿUqbah Ibn Abi Muait, Adi Ibn Hamra et Ibn Al- Asda il-Hudhali étaient aussi ses voisins. Ces gens ne le laissaient pas en paix même au sein de sa maison. Parfois quand il faisait la Prière, ils jetaient des tripes de chèvre sur lui ; parfois quand de la nourriture cuisait dans la cours, ils jetaient des saletés dedans. Le Saint Prophète sortait et disait : "O Banâ ʿAbd Manâf, quel type de voisinage est-ce là ?" La femme d’Abû Lahab, Umm Jamîl (la sœur d’Abû Sufyân), avait pour habitude de déposer des épines à sa porte la nuit pour qu’au petit matin ses enfants ou lui se plantent des épines dans le pied. (Al-Bayhaqî, Ibn Abi Hâtim, Ibn Jarir, Ibn ʿAsâkir, Ibn Hishâm).
Avant la proclamation de la mission prophétique, deux des filles du Saint Prophète étaient mariées à deux des fils d’Abû Lahab, ʿUtbah et ʿUtaybah. Après l’appel du Saint Prophète pour rallier les gens à l’Islam, Abû Lahab dit à ses deux fils : "Je ne m’autoriserai pas à vous voir tant que vous n’aurez pas divorcés des filles de Muhammad — paix et bénédictions sur lui —. Ils divorcèrent tous deux de leurs femmes. ʿUtaybah en particulier devint si méchant dans sa malveillance qu’un jour il vint au Prophète et dit : "Je répudie "An-najmi idha hawâ" et "Alladhi dana fatadalla" et cracha sur lui, mais son crachat ne l’atteint pas. Le Saint Prophète pria : "O Dieu, soumets-le à l’un de tes chiens." Plus tard, ʿUtaybah accompagna son père dans un voyage en Syrie. Durant le trajet, la caravane s’arrêta en un lieu qui, selon les habitants de l’endroit, était fréquenté par les bêtes sauvages la nuit. Abû Lahab dit à ses compagnons, les Quraysh : "Faites tout le nécessaire pour la protection de mon fils, car je crains la malédiction invoquée par Muhammad — paix et bénédictions sur lui —." Ainsi, les gens firent s’asseoir leurs chameaux tout autour de ʿUtaybah et allèrent dormir. La nuit, un tigre vint, traversa le cercle des chameaux et déchiqueta ʿUtaybah. (Ibn ʿAbd Al-Barr dans Al-Istîʿâb ; Ibn Hajar dans Al-Isâbah ; Abû Nuʿaym Al-Isfahânî dans Dalâ’il An-Nubuwwah ; As-Suhaylî dans Ar-Rawd Al-Anif). Il y a une divergence de points de vue. Certains observateurs disent que le divorce eut lieu après la proclamation de la mission prophétique et d’autres disent qu’il eut lieu après la révélation de Tabbat yadâ Abî Lahab [1]. Il y a aussi une divergence pour savoir si le fils d’Abû Lahab était ʿUtbah ou ʿUtaybah. Mais on sait qu’après la conquête de La Mecque (La Mecque), ʿUtbah embrassa l’Islam et prêta serment d’allégeance au Saint Prophète. Donc il s’avère qu’il s’agissait plutôt de ʿUtaybah.)
La méchanceté d’Abû Lahab s’illustre clairement par le fait qu’après la mort du fils du Saint Prophète, Qâsim, son deuxième fils, ʿAbd Allâh mourut aussi ; au lieu de compâtir avec son neveu dans son deuil, il s’empressa d’annoncer la nouvelle joyeusement aux chefs de Quraysh pour leur annoncer que Muhammad — paix et bénédictions sur lui — était maintenant sans enfants. Nous avons déjà relaté cet épisode dans le commentaire de la Surah Al-Kawthar.
Partout où le Saint Prophète se rendait pour prêcher le message de l’Islam, cet homme (i.e. Abû Lahab) le suivait et empêchait les gens de l’écouter. Rabîʿah Ibn ʿAbbâd Ad-Dill a rapporté : "J’étais un jeune garçon quand j’accompagnais mon père vers Dhul-Majâz. Là, je vis le Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui — disant : ’Ô peuple, dites : il n’y a d’autre divinité qu’Allah, vous atteindrez le succès.’ Derrière lui, je vis un homme qui disait aux gens : ’c’est un menteur : il se détourne de sa foi ancestrale.’ Je demandai : "Qui est-ce ?" On me répondit : c’est son oncle, Abû Lahab." (Musnad Ahmad, Al-Bayhaqî). Une autre tradition de Rabîʿah relate : "Je vis que le Saint Prophète allait au lieu de halte de chaque tribu et disait : ’O, enfants de tel ou tel, j’ai été nommé Prophète d’Allah pour vous. Je vous exhorte à n’adorer qu’Allah et à ne lui associer personne. Aussi, affirmez votre foi en moi et joignez vous à moi, que je puisse accomplir la mission pour laquelle j’ai été envoyé.’ Non loin derrière lui, il y avait un homme disant : ’O, enfants de tel ou tel, il vous détourne d’Al-Lât et Al-ʿUzzâ et vous invite à une religion d’erreur et d’innovation qu’il a amené. N’écoutez pas ce qu’il dit et ne le suivez pas.’ Je demandai à mon père : qui est ce ? Il me dit : c’est son oncle, Abû Lahab." (Musnad Ahmad, at-Tabarânî). Târiq Ibn ʿAbdullâh Al-Muhâribî rapporte une tradition similaire. Il dit : "Je vis à la foire de Dhul-Majâz que le Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui — exhortait les gens, disant : ’O, peuple, dites il n’y a de Dieu qu’Allâh, vous atteindrez le succès’, et derrière lui un homme le suivait et lui jetait des pierres jusqu’à ce que ses talons saignent, et disait aux gens : "Ne l’écoutez pas, c’est un menteur.’ Je demandai aux gens qui il était. Ils dirent que c’était son oncle, Abû Lahab." (Tirmidhi).
Dans la 7ème année de la mission prophétique, quand tous les clans de Quraysh boycottèrent les Banî Hâshim et Banî Al-Muttalib socialement et économiquement, et que ces deux clans restèrent fermes dans le soutien du Saint Prophète, et furent assiégés à Shiʿb Abî Tâlib, Abû Lahab fut la seule personne à s’allier avec les Quraysh mécréants contre son propre clan. Ce boycott dura trois ans, au point que les Banî Hâshim et Banî Al-Muttalib commencèrent à mourir de faim. Mais ceci n’émut Abû Lahab en aucune façon. Quand une caravane marchande arrivait à La Mecque et que l’une des personnes bannies dans Shiʿb Abî Tâlib s’en approchait pour acheter à manger, Abû Lahab criaient aux marchands d’exiger un prix prohibitif, leur disant qu’il compenserait leur manque à gagner. Ainsi, ils exigeaient un prix exorbitant et le pauvre client devait retourner les mains vides vers ses enfants affamés. Alors Abû Lahab leur achetait les mêmes articles au prix du marché. (cf. Ibn Saʿd & Ibn Hishâm).
Du fait des ces mauvais agissements, cet homme fut condamné nominativement dans cette Surah, et il y avait une nécessité particulière à cela. Quand le propre oncle du Saint Prophète le suivait et s’opposait à lui devant les Arabes venus pour le pélerinage de l’extérieur de La Mecque, ou ceux rassemblés aux diverses foires, ils voyaient cela comme allant à l’encontre des traditions Arabes établies qu’un oncle accable son neveu sans raison, lui lance des pierres et lui lance de fausses accusations en public. Ils étaient donc influencés par les dires d’Abû Lahab et étaient enclins à douter du Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Mais quand cette Surah fut révélée et qu’Abû Lahab, plein de rage, commença à proférer des absurdités, les gens réalisèrent que ce qu’il disait à l’encontre du Saint Prophète n’était pas digne de confiance du tout, car tout ce qu’il disait était à mettre sur le compte de sa folle hostilité envers son neveu.
De plus, quand son oncle fut condamné nominativement, les gens qui s’attendaient à ce que le Saint Prophète — paix et bénédictions sur lui — puisse favoriser ses proches en matière de religion furent frustrés à jamais. Quand le nom du propre oncle du Saint Messager fut mené sur la place publique, les gens comprirent qu’il n’y avait pas de place pour le favoritisme et la partialité dans la foi. Un étranger à la famille pouvait devenir un proche s’il croyait, et un proche parent pouvait devenir un étranger s’il mécroyait. Ainsi il n’y a pas de favoritisme pour les liens du sang en religion.
Traduit de l’anglais du site de l’association des étudiants musulmans de l’USC.
[1] Cette sourate est plus connue sous le nom de "Al-masad" (i.e. Les Fibres) d’après le dernier mot de la sourate ou encore sous le nom de "tabbat", le premier mot de la sourate comme c’est souvent le cas avec les courtes sourates de la fin du Coran.
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