mercredi 14 novembre 2001
La sourate tire son nom Ar-Rum du verset 2 où apparaissent les mots ghulibat’ir-Rûm (Les Romains ont été vaincus).
La période de révélation de cette sourate est très exactement déterminée par l’événement historique mentionné en son début. Il est dit : "Les Romains ont été vaincus, dans une contrée proche". A cette époque , les Byzantins occupaient les territoires voisins de l’Arabie, Jordanie, Syrie, Palestine et ils y furent vaincus par les Persans en 615 E.C. On peut donc dire avec une certitude absolue que cette sourate fut révélée la même année et cette année-là fut également celle où eut lieu la migration vers l’Abyssinie.
La prédiction qui apparaît dans les premiers versets de cette sourate est l’un des signes les plus extraordinaires prouvant que le Coran est la Parole d’Allah et que le Prophète Mohammad est un vrai Messager d’Allah. Jetons un coup d’œil sur le contexte historique auquel font allusion ces versets.
Huit ans avant l’avènement de la mission prophétique de notre maître Muhammad, paix et bénédiction de Dieu sur lui, l’empereur byzantin Maurice fut détrôné par Phocus qui s’empara du trône et devint roi. Phocus fit d’abord exécuter les cinq fils de l’empereur devant lui, puis fit tuer l’empereur et leurs têtes furent exposées sur la route dans Constantinople. Quelques jours plus tard, il fit tuer également l’impératrice et ses filles. l’événement fournit à Khusrau Parvez, le roi de Perse sassanide un bon prétexte moral pour attaquer Byzance.
En effet, l’empereur Maurice avait été son bienfaiteur, c’est avec son aide qu’il était monté sur le trône de Perse. Aussi déclara-t-il qu’il allait venger le meurtre de son parrain et des enfants de celui-ci, commis par l’usurpateur Phocus. Il partit en guerre contre Byzance en 603 E.C. et en quelques années, infligeant plusieurs défaites successives aux armées de Phocus, il atteignit Edessa ( aujourd’hui Urfa) en Asie Mineure d’un coté, Alep et Antioche en Syrie de l’autre. Quand les ministres byzantins virent que Phocus ne pouvait pas sauver le pays, ils demandèrent de l’aide au gouverneur de la province africaine qui envoya son fils Héraclius à Constantinople avec une flotte de guerre puissante. Phocus fut immédiatement déposé et Héraclius fut couronné empereur. Il fit subir à Phocus le traitement que ce dernier avait infligé à Maurice. Ces événements eurent lieu en 610 E.C., l’année où Muhammad— paix et bénédictions sur lui — reçut la prophétie.
Le prétexte moral invoqué par Khusrau au début de la guerre était devenu caduc avec la chute et la mort de Phocus . Si son véritable objectif avait été de venger la mort de son allié et châtier Phocus pour sa cruauté, il aurait du s’entendre avec le nouvel empereur et régler la situation, une fois Phocus mort. Mais il poursuivit la guerre et lui donna la couleur d’une croisade opposant le zoroastrisme au christianisme. Les envahisseurs zoroastriens reçurent le soutien des sectes chrétiennes (Nestoriens, jacobins, etc..) qui avaient été excommuniées par les autorités ecclésiastiques romaines, persécutées pendant des années, et les Juifs se joignirent à eux également, de sorte que le nombre de Juifs enrôlés dans l’armée de Khusrau atteignit 26 mille hommes.
Héraclius ne pouvait endiguer ce flot. La première nouvelle qu’il reçut venant de l’Est après son accession au trône, fut l’occupation d’Antioche par les Perses. Ce fut ensuite le tour de Damas en 613. En 614, les Perses qui occupaient Jérusalem, ont fait des ravages. 90 000 Chrétiens furent massacrés et le Saint Sépulcre fut profané. La Croix, sur laquelle selon les Chrétiens Jésus était mort fut saisie et emportée à Madâ’in. Le grand prêtre Zacharia fut emprisonné et toutes les églises importantes de la ville furent détruites. On peut voir à quel point Khusrau fut gonflé par cette victoire, en lisant la lettre qu’il envoya de Jérusalem à Héraclius : "De Khusrau, le plus grand des dieux, maître de l’univers à Héraclius, son serviteur le plus misérable et le plus stupide : Tu dis que tu as foi en ton Seigneur. Pourquoi ton Seigneur n’a-t-il donc pas sauvé Jérusalem et pourquoi ne l’a-t-il pas sauvé de ma menace ?"
Un an après cette victoire, les armées perses envahirent la Jordanie, la Palestine, l’ensemble de la péninsule du Sinaï et atteignirent les frontières de l’Égypte. A cette même époque, un autre conflit dont la portée historique était de loin plus importante avait lieu à la Mecque. Les hommes croyants en un Dieu unique, sous la conduite de Mohammad — paix et bénédictions sur lui — luttaient pour défendre leurs vies contre les associateurs qui avaient à leur tête les chefs Qurayshites, et le conflit avait pris de telles proportions qu’en 615 E.C., un nombre conséquent de Musulmans avaient dû quitter leurs maisons et trouver refuge dans le royaume chrétien d’Abyssinie, lequel était allié de l’Empire byzantin. A cette époque les victoires des Sassanides contre Byzance étaient le principal sujet de conversation en ville, et les païens se réjouissaient et se moquaient des musulmans de la sorte : "Voyez, les adorateurs du feu en Perse remportent des victoires sur les Chrétiens, croyants en la révélation et la prophétie, qui se retrouvent défaits en tout lieu. De la même façon, nous, adorateurs des idoles d’Arabie, nous vous exterminerons ainsi que votre religion". C’est dans ces conditions que la sourate fut révélée et elle contenait une prédiction, disant : "Les Romains ont été vaincus dans un pays voisin, mais peu d’années après leur défaite, ils seront victorieux. Et ce sera le jour où les croyants se réjouiront de la victoire accordée par Allah.".
Elle contenait non pas une, mais deux prédictions : premièrement, les Romains seront victorieux, et deuxièmement, les Musulmans remporteront la victoire à la même époque. Selon les apparences, il n’y avait pas la moindre chance que l’une ou l’autre des deux prédictions se réalise dans les prochaines années. D’un coté, les Musulmans n’étaient qu’une poignée, maltraités et persécutés à la Mecque, et pendant huit ans encore leurs chances de victoires semblèrent très faibles, voire inexistantes. De l’autre, Les Romains chaque jour perdaient un peu plus de leur territoire. Vers 619 E.C. l’Égypte entière était passée entre les mains des Sassanides et les armées perses avaient atteint Tripoli. En Asie Mineure ils avaient battu les Romains et les avaient repoussés jusqu’au Bosphore, et en 617, ils avaient pris Chalcedon (aujourd’hui Kadikoy) qui se trouve en face de Constantinople.
L’ Empereur dépêcha un émissaire à Khusrau, pour lui dire qu’il acceptait la paix quel qu’en soit le prix ; mais Khusrau répondit : "Je n’accorderai pas ma protection à l’empereur à moins qu’il ne me soit amené, enchaîné, qu’il ne renie sa foi en le dieu crucifié et ne se soumette au dieu Feu. Finalement, l’Empereur fut si affligé par ses défaites qu’Il quitta Constantinople et partit pour Carthage.
En bref, comme le dit l’historien britannique Gibbon, Les conditions alors étaient telles que nul n’aurait imaginé que l’Empire byzantin pourrait un jour l’emporter sur la Perse. Ne parlons pas même de domination, on ne pouvait plus même espérer, étant donné les circonstances que l’Empire survivrait.
Quand ces versets furent révélés, les mécréants de la Mecque s’en moquèrent et Ubayy Ibn Khalaf paria 10 chameaux à notre maître Abû Bakr que les Romains ne seraient pas victorieux avant trois ans. Quand le saint Prophète eut connaissance de ce pari, il dit :" Le Coran a employé les mots "bidʿi sinîn" et le mot "bidʿ" en arabe s’applique à un nombre qui peut aller jusqu’à 10. Donc parie pour une période de dix ans et multiplie par dix le nombre de chameaux". Aussi notre maître Abû Bakr s’entretint à nouveau avec Ubayy et paria sur 100 chameaux pour dix ans.
En 622 E.C., tandis que le saint Prophète émigrait vers Médine, l’empereur Héraclius quitta Constantinople pour Trabzon tranquillement, en empruntant la Mer Noire et prépara des plans en vie d’attaquer la Perse. A cette fin, il demanda à l’Église de l’argent et le pape Sergius lui envoya les collectes faites par l’Eglise, dans le but de sauver a Chrétienté du zoroastrisme. Héraclius lança sa contre attaque en 623 depuis l’Arménie. L’année suivante, en 624 il pénétra en Azerbaidjan et ravagea Clorumnia, lieu de naissance de Zoroastre et détruisit le principal temple dédié au feu en Iran. Grande est la puissance d’Allah, la même année précisément, les Musulmans remportèrent une victoire décisive contre les mécréants pour la première fois, à Badr. C’est ainsi que les deux prédictions contenues dans la sourate Ar-Rûm s’accomplirent simultanément dans le temps fixé, à savoir dix ans.
Les forces byzantines continuèrent à presser les Perses rudement et, à la bataille décisive de Ninive, elles leurs portèrent un coup fatal. Les Romains s’emparèrent de la résidence de royale de Dastagerd et exerçant toujours leur pression vers l’avant, ils parvinrent bientôt en face de Ctésiphon, la capitale de la Perse alors. En 628 E.C., lors d’une révolte interne, Khusrau Parvez fut emprisonné, 18 de ses fils exécutés et lui-même mourut peu après en prison. C’était l’année où le traité de Hudaybiya fut conclu, que le Coran qualifie d’éclatante victoire, et cette même année, le fils de Khusrau, Qubad II renonça à tous les territoires romains que son père avait occupés, restaura la Croix et fit la paix avec Byzance. En 628, l’Empereur lui-meme vint à Jérusalem installer la "sainte Croix" à sa place, et la même année, le Saint Prophète entra à la Mecque pour la première fois depuis le Hajj pour y accomplir la "Umra-tul-Qada"
Après cela nul ne pouvait plus douter de la véracité de la prophétie coranique, et la principale conséquence fut que la majeure partie des Arabes polythéistes embrassa l’islam. Les héritiers de Ubayy Ibn Khalaf perdirent leu pari et durent donner cent chameaux à notre maître Abû Bakr As-Siddîq. Il les prit en présence du Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, qui ordonna qu’on les distribue aux pauvres, car le pari avait été fait en un temps où le jeu n’avait pas encore été interdit par la Législation Islamique ; c’était interdit à présent. Aussi, il était permis d’accepter l’enjeu du pari de la part des mécréants mais il était précisé qu’il faillait s’en défaire par un acte de charité et ne pas en disposer à des fins personnelles.
La sourate introduit comme premier thème la défaite des Romains, qui amène le monde entier à penser que l’Empire byzantin va s’effondrer mais le fait est que dix ans plus tard la situation se retourne en sa faveur et les vaincus d’hier sont les vainqueurs d’aujourd’hui.
Ce premier thème illustre cette grande vérité : l’homme a pour habitude de s’arrêter aux apparences et à la surface des choses. Il ignore tout ce qui se cache derrière l’apparent et le superficiel. Lorsque dans les situations courantes de la vie, cette habitude peut entraîner des malentendus et des erreurs, quand l’homme est si enclin à faire des estimations erronées du fait de son ignorance de "ce qui va arriver demain", combien énorme sera son erreur s’il risque l’œuvre de toute une vie en se fondant sur les seules apparences dans sa vie. Ensuite, après avoir évoqué le conflit entre Byzance et la Perse, le texte aborde la question de la vie future, jusqu’au verset 27, il est expliqué à l’homme de maintes façons que l’au-delà est une chose possible, et également rationnelle et nécessaire ; aussi afin de préserver l’équilibre dans le système que constitue sa vie, il est absolument nécessaire qu’il ordonne et organise sa vie présente en fonction de la vie future, autrement il commettra la même erreur qu’ont commise tous ceux qui se sont fondés sur les seules apparences.
En relation avec ceci, les Signes de l’Univers qui ont servi de preuves étayant la doctrine de l’Au-delà sont les mêmes qui sont repris pour appuyer la doctrine du Tawhîd (Monothéisme Pur). Ainsi, à partir du verset 28, il est question de l’affirmation du Tawhîd et de la réfutation du Shirk (Polythéisme) et l’accent est mis sur le fait que le modèle de vie naturel à l’homme n’est qu’une vie vouée à l’adoration d’Allah, le Dieu unique. Le shirk est contraire à la nature de l’univers comme à la nature de l’homme. C’est pourquoi, chaque fois que l’homme prend ce chemin dévié, le chaos s’installe.
Ici encore on lit une allusion au chaos né du conflit des deux grandes puissances de l’époque, et il est indiqué que ce chaos, lui aussi résulte du shirk, et que toutes les nations qui, un jour, ont commis des méfaits et fait régner le chaos étaient des nations polythéistes.
En guise de conclusion, une parabole nous est proposée pour nous faire comprendre que, de même que la terre morte retrouve la vie grâce à une averse de pluie envoyée par Allah et se couvre de verdure et de végétation, de même en va-t-il avec l’humanité. Lorsque Dieu nous envoie une pluie bienfaisante sous la forme de la Révélation et de la mission prophétique, c’est une nouvelle vie qui est accordée à l’humanité, qui lui permet de croître et de prospérer.
Aussi : "Si vous saisissez pleinement l’opportunité qui vous est faite, la terre aride d’Arabie deviendra verdoyante par la grâce d’Allah et vous en recueillerez tout l’avantage. Mais si vous n’en faites rien, vous ne causerez de tort qu’à vous-mêmes. Tout regret alors sera vain et nulle autre opportunité vous sera donnée de réparer le passé".
Traduit de l’anglais du site de l’association des étudiants musulmans de l’USC.
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